États-Unis, 2023
Note : ★★★ 1/2
Là où les amateurs de Scorsese célébreront la virtuosité, les autres n’auront pas d’autre choix que celui de respecter l’œuvre d’une longueur qui peut épuiser de 206 minutes. Le film divisera, certes, mais il permettra une conversation intéressante, et c’est souvent le signe d’une grande œuvre, au minimum le signe d’une œuvre utile.
D’entrée de jeu, il faut aborder l’éléphant métaphorique dans la pièce : Killers of the Flower Moon n’est PAS un film sur les autochtones d’Osage, c’est un film sur les Américains à Osage County. Nécessairement, les autochtones sont présents, mais Scorsese et Eric Roth ne montrent pas leur perspective, nous sommes dès le début du point de vue des Blancs et nous ne le quitterons jamais, même dans la scène épilogue qui nous sort de la narration.
Synopsis
Dans les années 1920 à Osage County, une communauté d’autochtones découvre une grande quantité de pétrole sur leurs terres, devenant, par leur exploitation, la communauté la plus riche des Premières Nations au sein des frontières américaines et même, plus riche que la grande majorité des Américains. Qui dit argent, dit Blancs… et manigances. Osage voit donc une multitude de Blancs, majoritairement des hommes, s’installer à cause d’occasions de travail dans l’industrie du pétrole. Le shériff du comté, surnommé à sa demande King, William Hale (Robert De Niro) se présente comme allié au grand jour mais conspire pour récupérer, par alliances stratégiques, la richesse des autochtones. Ainsi, il encourage son neveu Ernest Buckhart (Leonardo DiCaprio) à marier une autochtone héritière (Lily Gladstone). Progressivement, la famille sera décimée par assassinats commandités par King, réduisant ainsi les héritiers possibles à Burkhart et ses enfants. Ce dernier ira même jusqu’à empoisonner sa femme par petites doses à l’aide de médicaments pour traiter son diabète. En est-il conscient ou est-il manipulé par son oncle?
Histoire d’amour particulière qu’est Killers of the Flower Moon. Particulière parce que le personnage d’Ernest marie par amour, mais vole et manigance la mort des autochtones, ami·e·s et famille de sa conjointe sans véritable scrupules. Il suit aveuglément son oncle sans trop le questionner pour la majorité de sa vie. King est une figure paternelle autoritaire et violente qui utilise son neveu et sa position familiale pour récupérer la fortune qui revient, selon les lois même des Blancs, aux autochtones d’Osage.
Basé sur des faits véridiques, Scorsese fait un excellent portrait de la situation violente de cette histoire extrêmement sombre d’Osage County. À mi-chemin entre ses grandes fresques mafieuses et ses films plus historiques, le maître américain du septième art sait rendre la complexité émotionnelle de cette histoire vraie à ses spectateurs. Beaucoup passe par sa direction d’acteurs chevronnée et habitués de Scorsese; De Niro et DiCaprio. Ce dernier incarne un Ernest Burkhart niais, sympathique, un peu charmant, mais inquiétant à la fois. Lily Gladstone est sans faute en Mollie Burkhart, mais son personnage, même s’il est le principal féminin, n’a pas tant de temps d’écran.
On revient donc au point de vue : Killers of the Flower Moon n’est pas celui de Mollie ou sa famille même s’il rend, factuellement, les événements du drame d’Osage. Martin Scorsese est dans une situation particulière. Il n’est pas autochtone et dans le climat actuel, il aurait difficilement pu prendre le point de vue des autochtones d’Osage. D’un autre côté, les autochtones subissent les actions et manigances des Blancs, les Américains. Ils sont, somme toute, passifs… du moins dans le film. Là où Scorsese s’en tire brillamment, c’est qu’il fait avec Killers of the Flower Moon un portrait de l’Amérique tout aussi pertinent et pessimiste que dans un de ses films les plus populaires, Taxi Driver (1976). La note américaine, le titre de la version française au Québec, est peut-être moins poétique que Killers of the Flower Moon, mais dévoile davantage le non-conflit au cœur de cette histoire : la note, dans le sens de dette ou facture à payer, celle d’être sur le « territoire » américain pour les autochtones. Le problème est qu’ils ont une dette qu’ils ignorent, ils ne peuvent donc pas agir, ils ne font que subir. Pour les Blancs, les Osage sont riches, mais « ils n’ont pas travaillé pour », alors cette richesse ne devrait pas leur revenir. C’est le constat bien triste (et violent) que fait Scorsese de l’Amérique.
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Durée : 3h26
Crédit photos : Paramount Pictures