États-Unis, 2017
★★★★
Au cours des dernières années, A24 a su se démarquer sur la scène cinématographique indépendante. Avec des titres tels que Ex Machina, The Lobster, Moonlight, Midsommar, The Lighthouse et plus récemment The Green Knight, la compagnie de production montre un éventail impressionnant mettant de l’avant des cinéastes aux idées novatrices ainsi que des visions uniques sur le cinéma de genre. A Ghost Story, écrit, réalisé et monté par David Lowery en 2017, vient s’inscrire dans l’impressionnant répertoire de A24 avec une approche subversive du film de poltergeist.
Mettant en vedette Rooney Mara ainsi que Casey Affleck, le film ouvre sur un épisode charnière de la vie d’un couple : décider de vendre leur propriété pour vivre ailleurs. L’un des deux personnages, attaché au lieu, est hésitant. Assez tôt dans l’intrigue, celui-ci meurt et son fantôme revient errer sur la propriété. Cet esprit devient témoin du deuil de sa partenaire, du temps qui passe et des allées et venues à travers l’espace qu’il habite. Dans une approche formelle des plus minimaliste, le film n’a pas recourt à des effets visuels afin de dépeindre les fantômes, un simple drap avec deux trous suffit. Aussi absurde que cela puisse sembler, c’est un choix qui s’agence à merveille à la poésie qui règne dans A Ghost Story. Tourné sur pellicule et en format 1:33:1, le travail de l’image, de la lumière et des contrastes (utilisés pour décrire deux réalités bien distinctes) donne à voir un résultat de satin.
Avec son film, Lowery tente une approche radicale du deuil. La longueur des plans et la lenteur du montage (amalgamées à un format d’image contraignant, qui donne peu d’échappatoires au regard) imposent des plans fixes qui peuvent parfois s’étirer jusqu’à cinq minutes. Ainsi les spectateurs sont mis à l’épreuve, surtout lors de l’expérience en salle, où parler est proscrit. L’on peut y vivre, de manière assez directe, la peine du personnage en temps réel ainsi qu’un malaise de seconde main face à la durée d’images crues dans des étapes clés du deuil.
Ainsi, A Ghost Story met en scène le quotidien de solitudes : celle du personnage endeuillé et, ultimement, celle du fantôme. Démonstration d’un défi narratif relevé ainsi que d’une prouesse de jeux d’acteurs, ces derniers doivent essentiellement interagir avec leur environnement, plutôt qu’avec l’Autre, afin de montrer et suggérer les états du personnage et leurs transformations. Bien que le fantôme existe dans le même espace que les vivants, celui-ci n’éprouve pas le temps de la même façon. Ainsi, dans un seul mouvement du personnage drapé, il y a parfois des jours, des mois ou peut-être même des décennies qui s’écoulent… La notion du temps se perd dans le décalage. Cela dit, il est intéressant d’assister à un film de poltergeist focalisé presque entièrement du côté du fantôme.
À cet effet, A Ghost Story agit comme l’envers du décor du film d’apparitions. En s’appropriant les codes du genre, le film s’inspire des croyances populaires concernant les esprits et les maisons hantées afin d’en exploiter les potentialités narratives. Par exemple, les personnes mourantes et les enfants arrivent à le voir, l’esprit peut interagir avec les objets, mais pas directement avec les gens, il peut être tolérant, mais reste territorial, etc. Ce détournement des codifications, agencé à la focalisation du film, accorde un grand capital de sympathie pour le fantôme ainsi que pour ses gestes.
L’un des éléments toujours cryptiques à la fin du générique est la conception du temps que le film propose. Il est difficile à dire si celui-ci avance une théorie telle que le Big Crunch ou si le temps prend plutôt la forme d’une boucle. Dans tous les cas, ce dernier se recoupe et fait partie des grands questionnements métaphysiques du film aux côtés de la place cosmique de l’Homme, de ce que celui-ci laisse derrière et de comment ces fragments peuvent trouver résonnances auprès de ceux qui restent.
Bande-annonce originale :
Durée : 1h32
Crédit Photos : Métropole Films Distribution
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