Sex, Lies, and Videotape : Quand la volupté émane de la confrontation des moeurs

États-Unis, 1989
Note : ★★★★

James Spader. Andie MacDowell. Peter Gallagher. Laura San Giacomo. Le premier long-métrage écrit et réalisé par le cinéaste américain Steven Soderbergh, Sex, Lies, and Videotape, s’est avéré un succès tant en sol américain qu’à l’échelle planétaire lors de sa sortie en 1989. Le film a beaucoup fait parler de lui et a remporté plusieurs prix. Il est notamment détenteur de la Palme d’or, du prix FIPRESCI ainsi que du prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes, récompensant le brio de l’acteur James Spader. Le film est une œuvre déconcertante, qui brille en s’attaquant à la complexité des mœurs et de la sexualité avec finesse, affront et intelligence. Plongeons.

Le long-métrage signé Steven Soderbergh (Erin Brockovich, Traffic, la série Ocean’s) présente d’entrée de jeu ce qui semble meubler l’intrigue ralliant les quatre personnages principaux, Graham (James Spader), Ann (Andie MacDowell), John (Peter Gallagher) et Cynthia (Laura San Giacomo). Ann et John sont mariés et déconnectés l’un de l’autre, maintenus par les apparences d’une promesse matrimoniale vide de sens. John trompe Ann avec Cynthia, et Graham, vieil ami de John, est le personnage marginal dont l’arrivée bouleverse le portrait déjà chaotique du ménage qui se déroule à l’écran. Il serait alors possible de croire que Sex, Lies, and Videotape n’est qu’une histoire de tromperie et de désir sexuel.

Oui, mais non.

D’abord, Ann est en thérapie et parle de son anxiété liée à la quantité d’ordures sur la planète, et avoue d’emblée qu’elle a des problèmes d’intimité avec John. Ainsi, ce cinéma désavoue partiellement l’aveuglement que pourrait avoir le personnage d’Ann face à son mariage trouble. Elle sait qu’elle a des problèmes, et le film ne joue pas à cache-cache avec la folie et les particularités des personnages. Il les aborde de front, permettant ainsi au long-métrage de délaisser rapidement le premier degré de l’histoire. Lorsque Graham entre en scène, ce personnage qui, incapable d’avoir une érection, meuble ses fantasmes avec les vidéocassettes où les femmes témoignent de leur parcours autoérotique, le spectateur est fin prêt pour un labyrinthe relationnel des plus atypiques soulevant la carapace des protagonistes.

Ensuite, le film présente l’opposition entre les personnages d’Ann et de Cynthia, mais jamais il ne s’autorise à devenir moralisateur. Il ne fait que présenter férocement deux extrêmes opposés flagrants, Ann exprimant candidement son malaise face à la sexualité débridée que Cynthia assume haut et fort. Graham, pour sa part, est au centre, car il pose un regard fasciné sur l’une comme sur l’autre.

Ce qui est plutôt amusant scénaristiquement parlant, c’est que le personnage de Graham affirme être un menteur pathologique, mais il semble pourtant être le personnage le plus honnête, celui qui a les réflexions et les idées les plus véritables, et le mode de vie le plus éloigné de la prison des apparences. John, lui, est un avocat ridicule qui voit la vie comme un tribunal. Ann se soucie de ce qu’elle présente aux autres plus que de tout autre chose, et Cynthia est une femme qui semble libre et assumée mais qui apparait aussi emprisonnée, à sa manière, dans cette relation toxique avec John. Pour revenir à la curiosité que pose Graham sur les deux femmes, il est somme toute inévitable que sa façon de normaliser et de s’intéresser à la différence puisse permettre aux deux femmes d’embrasser davantage qui elles sont en normalisant leur sexualité, et de devenir ainsi moins à l’opposé. En ce qui a trait à John, les choses sont différentes. Il semble être plus ou moins au courant qu’il ne vaut rien lorsqu’il balance candidement les mots les plus caricaturaux qui soient. Mention spéciale aux dialogues du film, qui sont en tous points délicieux. Que dire de la magnifique Cynthia, puissante, répondant à John et à son « Drive safe » paternaliste en disant « Yeah right ». En somme, le portrait des mœurs du film place les personnalités à l’avant-plan, permettant de reléguer la trahison au second plan et de briser les règles pour laisser place au véritable visage du film.

Ce vrai visage, que nous pourrions appeler celui de la confrontation des mœurs par le biais, entre autres, de la sexualité, se manifeste un peu partout dans l’œuvre. Si nous nous intéressons par exemple au moment où John se met en colère contre Graham, John semble éprouver un sentiment de trahison en apprenant que les deux femmes gravitant autour de lui se sont prêtées à l’exercice de la vidéocassette. Cette trahison n’en est pas une ; il s’agit plutôt d’être forcé de constater que le monde autour de lui s’écroule. Qu’en plus d’être un menteur, John vit dans un mensonge. Il s’agit d’un moyen habile de revenir aux thématiques beaucoup plus intéressantes et enfouies que présente l’œuvre, au détriment de cette banale idée de trahison, maintes fois abordée, niée, révélée et détournée. La colère de l’avocat implique qu’il n’accepte pas que les femmes ne soient pas ses marionnettes, mais bien des individus possédant une sexualité vaste et riche qui ont eu l’occasion d’en déployer le récit à son vieil ami Graham. Il vit enfermé dans sa masculinité toxique, et cette prison l’amène à frapper Graham comme s’il frappait la vérité qu’il ne veut pas voir, celle qui démolit les conventions, celle qui lui révèle frontalement qu’Ann a glissé hors du rôle de femme trompée dans lequel elle était enfermée à ses côtés. Graham en vient néanmoins à brûler les témoignages, ce qui ne fait en quelque sorte que marquer la finalité du film, la création des vidéocassettes ne se poursuivant pas lorsque le film s’achève parce qu’ils sont tous arrivés à la croisée des chemins. Les altercations entre les personnages ne nourrissent donc pas l’intrigue sentimentale qu’aurait pu être le film, mais parviennent à circonscrire toujours davantage les personnages et comment ils se redéfinissent au contact de l’autre, en relation constante avec l’affect suscité par le vécu et la personnalité des autres, déambulation extérieure interférant inévitablement dans notre parcours intérieur.

Cette orchestration des mœurs permet de créer une volupté qui se révèle bien différente de ce qu’aurait pu donner la sexualité explicite. Si la caméra filme bien entendu la convoitise et le désir, elle permet surtout de se placer à l’intérieur du personnage qui observe sa propre sexualité, à la lumière de ce que cette sexualité accepte, rejette ou même démonise de celle des autres. Le titre un peu bancal donné à l’œuvre est d’une fine intelligence en soi, car il permet de tromper habilement les spectateurs en attente d’un érotisme au premier degré. Il s’agit d’une délicieuse supercherie, le film étant très exaltant par la mise de l’avant du parcours autoérotique vécu d’une manière ou d’une autre par chaque individu, qu’il s’agisse d’un être prude et réservé comme Ann ou bien d’une personne aussi sexuellement libérée que peut l’être sa sœur Cynthia. L’esthétique visuelle de Sex, Lies, and Videotape renferme donc ce côté confessionnal très érotisant en soi, par exemple lorsque Graham capte la beauté magistrale d’Andie MacDowell avec l’effet bleuté et la neige du médium qu’il utilise. Ces instants cinématographiques sont porteurs d’une atmosphère torturée et sensuelle que vient appuyer la trame sonore du toujours envoûtant Cliff Martinez (Drive, The Neon Demon), collaboration avec Soderbergh qui sera répétée à plusieurs reprises.

 

Bande annonce :

Durée : 1h40

Crédit photos : Global News et Filmgrab

 

Vous en voulez plus? Retrouvez ici notre article sur Crash, un autre grand film mettant en vedette James Spader. 

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