Canada. 1996
Note : ★★★ 1/2
Gagnant du prix spécial du jury à Cannes en 1996 pour son originalité, son côté provocateur ainsi que son audace, le film Crash de David Cronenberg a été restauré dans une version 4K, distribuée par MK2 Mile End pour projections en salle. La nouvelle version est impeccable, ce qui rend le film d’autant plus troublant.

Adaptation du roman éponyme de J. G. Ballard de 1973, ce 12e long métrage du réalisateur canadien raconte l’histoire de James Ballard (James Spader), un réalisateur de télévision qui est victime d’un terrible accident de voiture. À l’hôpital, il fait la rencontre de Vaughan (Elias Koteas) et d’Helen (Holly Hunter) qui lui fait découvrir une sous-culture marginale dans laquelle se réunissent des victimes d’accidents de voiture à la recherche d’une énergie sexuelle brute procurée par ces mêmes accidents. Et ce Vaughan, par ses idées et ses projets singuliers de reconstitutions d’accidents de voiture, entraîne son entourage, y compris Catherine (Deborah Unger) la femme de James, dans un cercle vicieux de violence, de sexe et de balades en voiture.
Dans cette version restaurée, Cronenberg nous offre, assis dans sa voiture, un commentaire en prélude sur la sortie du film en 1996. Il nous parle des réactions extrêmement vives que le film a reçues, d’amour et de mépris, et nous laisse avec ceci « At the press conference, in Cannes, for the movie, Jim Ballard was there, was asked what did he think would be the best way to see this movie? And he said, it would be best seen in a car that was travelling 100 miles an hour. And of course that seems like a fantasy at that time. But right now, I’m sitting in a Tesla that has a 17 inch screen, high definition. The movie would look fantastic on that and this car definitely go on 100 miles an hour. So, I’m not encouraging you to try this, but I’m just saying, it’s a possibility now. I hope you’ll enjoy the ride ».

Le film est aussi fascinant qu’il est dérangeant. Cronenberg nous a habitué à toutes sortes de réflexions sur le corps, la plupart sur le corps en mutation. Ces transformations sont souvent les symptômes d’une contamination ou d’une problématique plus profonde, inconsciente (la force décuplée de Jack dans The Fly, l’excroissance abdominale dans Videodrome, les hallucinations dans Naked Lunch). Dans le cas de Crash, la perspective nouvelle d’un corps accidenté provoque chez le personnage de James de nouveaux et singuliers désirs sexuels. Et littéralement proposé dans le film comme un projet, une ambition, par Vaughan « The car crash is a fertilizing rather than a destructive event. A liberation of sexuel energy mediating the sexuality of those who died with an intensity. That’s impossible in any other form. To experience that, to live that, that is … that’s my project ». Celui-ci, obsédé par les accidents de voiture historiques, et particulièrement celui de James Dean qu’il s’amuse morbidement à reproduire, se transforme peu en peu en gourou de cette nouvelle perspective sexuelle. Son obsession pour les voitures se transmet, tel un virus, au travers des nouveaux membres de son groupe. Et de manière radicale et définitive, dans la dernière scène du film.

Sur papier, cette proposition du cinéaste peut sembler plutôt attirante. Le choix des mots participe à ce plaisir : telle la carrosserie de la voiture accidentée, les chairs sont fraîchement meurtries ou longuement cicatrisées, fragiles et vulnérables aux organismes et organes qui pourraient y pénétrer. Or, le film dans sa durée est lent et provocateur, multipliant les scènes de sexe, faisant ainsi souffrir le spectateur comme les personnages dans le film. À la fois troublant et dérangeant par son contenu et sa mise en scène, mais en même temps stimulant au niveau intellectuel, le film cherche à souligner les contradictions, celles du corps et de l’intellect. Cette contradiction ressentie, cet amour/haine, est d’autant plus partagée par les personnages qui trouvent à la fois désir et jouissance à mettre leur vie en danger au volant de leur voiture, cherchant désespérément cet équilibre fragile entre souffrance et plaisir.
À sa sortie, ce film fut rapidement pointé du doigt, désigné comme objet obscène, crasseux et pornographique. Pratiquement chacune des scènes du film contient des relations sexuelles. Celles-ci, déjà dérangeantes par leur durée et leur intensité au début du film, se multiplient et la déviance qu’elles proposent en fait croître le malaise. Décidément, la polarité que provoque le film dans notre esprit est ce qui crée son charme. Une sorte de voyeurisme morbide, peut-être?
Pour ceux et celles qui n’avaient pas eu l’occasion de le voir dans sa version originale (en VHS ou en DVD), la nouvelle version restaurée 4K sera présentée en salle à partir du vendredi 14 août.
Durée: 1h40