Pour l’éternité : L’inépuisable poésie des tableaux d’Andersson

Suède, Allemagne, Norvège, France, 2021
Note : ★★★★

Pour l’éternité, le dernier volet d’une tétralogie existentielle absurde du réalisateur suédois Roy Andersson, sortait en salles vendredi dernier au Québec. En 76 minutes découpées en 32 saynètes, Andersson nous a livré l’éternité. Il y interroge les éléments intemporels de l’existence humaine, dans un style toujours aussi unique, mais qu’il continue de raffiner, où se croisent les influences de Bob Dylan et des Mille et Une Nuits

Récompensé du Lion d’argent pour la meilleure réalisation, ce dernier opus d’Andersson saura à la fois rassurer et surprendre les adeptes de son style lent et décalé, qu’il qualifie lui-même de cinéma abstrait. Fidèle à ses habitudes depuis Chansons du deuxième étage (2000), Pour l’éternité rassemble des histoires individuelles, filmées en plans séquences fixes tels de magnifiques tableaux, toujours empreints d’une lenteur et d’un cynisme qui rappellent le théâtre de l’absurde.

Pour la première fois dans la filmographie du réalisateur, les saynètes deviennent reliées par les interventions poétiques et mélancoliques d’une narratrice omnisciente en voix off. Elle nous raconte, depuis un futur incertain, les déboires de personnages déjantés dont elle seule semble connaître le destin. 

On y découvre, entre autres, un prêtre qui se saoule clandestinement au vin de messe pour oublier son mal-être, une bagarre qui éclate dans une poissonnerie, ou une angoissante visite chez le dentiste. 

Malgré quelques éléments de décors qui situent le film dans un contexte plus ou moins contemporain, toutes les scènes paraissent intemporelles, grâce à leur esthétique dépouillée et la simplicité de leurs actions. Andersson assume d’ailleurs son penchant pour les anachronismes comiques dans tous ses films, donc celui-ci, où se côtoient une caricature des derniers moments d’Hitler dans son bunker et le douloureux trajet de tramway d’un homme qui semble se diriger vers son travail.

À quelques reprises, on retrouve aussi un couple (photo de couverture), qui s’enlace en volant tels des anges, au-dessus de Cologne en ruines, comme s’ils observaient tous les autres depuis là-haut. On a l’impression des anges de Wim Wenders s’ils étaient peints par Marc Chagall. D’autres scènes renvoient plutôt aux tableaux d’Edward Hopper, dont une qui s’avère tout particulièrement poignante, où un dentiste vient tristement boire un whisky dans un petit bar de quartier rétro, dont les baies vitrées laissent entrevoir une belle neige qui tombe doucement dehors.

Si Andersson ne cache jamais son affection pour l’histoire de l’art et son importance dans son oeuvre (son film d’avant, Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence [on en parlait ici] est d’ailleurs presque entièrement basé sur une toile de Bruegel), il demeure aussi profondément marqué par une grande variété d’influences.

Le réalisateur raconte notamment avoir été interpellé par une chanson de Bob Dylan, A Hard Rain’s a-Gonna Fall, dans l’idéation du point de vue de sa narratrice. Les Mille et Une Nuits est aussi une inspiration fondatrice, en ce sens, pour Andersson. Comme Shéhérazade, sa narratrice nous guide dans des contes où l’on prend plaisir à se perdre, où l’on se demande quels sont les liens avec le récit-cadre et jusqu’à quel point ils sont reliés les uns aux autres.

Comme dans les films et les publicités qu’on connaissait déjà du cinéaste, Pour l’éternité demeure donc un essai sur la condition humaine qui, à travers son regard sur des histoires individuelles, interprète le collectif.

Toutefois, grâce à sa structure narrative et ses images (certes, toujours aussi froides et calculées, mais plus sensibles et poétiques), ce dernier film s’avère encore plus abouti que les autres. Alors qu’il a déjà été question que cette œuvre était la dernière du réalisateur de 78 ans, je me dis qu’il nous aurait laissé un testament honorable, mais je me réjouis d’autant plus que Roy Andersson pourrait encore perfectionner sa démarche et nous surprendre.

 

Bande annonce originale :

Durée : 1h16

Crédit photos : EyeSteelFilm Distribution

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