États-Unis, 2020
Note: ★★★★ 1/2
Une décennie après avoir écrit et réalisé Somewhere, une réflexion semi-autobiographique sur la célébrité et le rapport père-fille, Sofia Coppola s’aventure de nouveau dans la contemplation de la thématique patriarcale, cette fois-ci de façon encore plus nuancée et touchante. Sa toute nouvelle comédie dramatique, On the Rocks, est une oeuvre mature et complexe qui sert de point de lancement pour une discussion féministe sur les répercussions de l’influence paternelle.
Exploration du rapport père-fille
Malgré leurs différences, le duo père-fille au centre du film est exceptionnellement compatible, et leur relation s’avère être riche et intime. Felix (Bill Murray) a l’air de passer ses jours à faire la fête et flirter avec toutes les femmes qu’il croise. Décontracté, blagueur, charismatique, il apparaît et disparaît de la vie des gens à sa guise, mais donne toujours son cent pour cent et toute son attention à sa fille Laura (Rashida Jones).
Laura est tout le contraire : écrivaine névrosée en manque d’inspiration, elle passe ses journées à être perpétuellement en retard et à essayer de gérer ses deux fillettes. C’est le portrait parfait de la maman cool et moderne, mais qui a toutefois des problèmes classiques féminins, notamment l’incapacité de se concentrer sur son travail à cause des responsabilités liées à ses enfants.
Lorsqu’elle commence à suspecter son mari Dean (Marlon Wayans) d’infidélité, Laura se tourne vers son père afin d’avoir son opinion et son support moral. Felix décide de jouer au détective, entraînant Laura dans une aventure à travers New York. Cependant, la question de l’infidélité de Dean reste toujours secondaire à l’exploration du rapport entre Felix et Laura, qui est le focus principal du film.
Briser le mythe freudien
S’il y a bien une chose que On the Rocks réussit sans défaut, c’est d’illustrer une relation père-fille qui est aussi familière qu’elle est comiquement non conventionnelle. On n’a pas tous un papa playboy riche qui flirte avec notre serveuse au resto devant nos yeux, mais on peut tous se retrouver dans l’effort perpétuel de Laura d’accepter son père tel qu’il est, et de l’aimer malgré leurs différences de style de vie et autres opinions divergentes issues de leur écart générationnel.
On dit souvent que les femmes ont tendance à marier un homme qui ressemble à leur père (assumant qu’elles marient un homme, ou qu’elles se marient tout court). Cependant, On the Rocks est loin de valider ce fait, allant même jusqu’à suggérer que nos relations seront d’autant plus saines si l’on établit une barrière ferme entre nos partenaires amoureux et nos parents.
Dans une des scènes les plus touchantes du film, Felix offre son ancienne montre à Laura, lui racontant la première fois qu’il a ressenti une vraie connexion envers elle. C’est un moment tendre, mais aussi profondément symbolique : il lui offre une partie de lui-même, un objet qu’elle peut toujours avoir sur elle, comme un rappel qu’elle sera toujours la fille de son papa. Cette scène fait écho au monologue du début du film.
Plus tard, Dean offre également une montre à Laura. Contrairement à celle offerte par Félix, qui lui appartenait, celle-ci est nouvelle et personnalisée avec un message gravé, représentant un nouveau départ pour Laura. La caméra reste braquée sur elle alors qu’elle enfile la nouvelle montre et dépose celle de son père dans le coffret, tendrement mais décidément, comme pour dire «je t’aime, mais je dois vivre à ma façon maintenant».
En seulement deux scènes qui se reflètent harmonieusement, Coppola parvient à nous faire comprendre la nécessité de créer une balance entre l’amour et l’attachement que l’on ressent envers notre père, et le degré d’influence que sa présence exerce sur notre perspective de vie et nos relations. C’est essentiel de garder un œil critique et de confronter ses valeurs patriarcales, chose que Laura fait lorsqu’elle indique à son père qu’il doit apprendre à entendre et écouter les perspectives des femmes qui l’entourent.
Ego et répercussions conjugales
Le film ouvre également une conversation sur le sujet de l’infidélité maritale et ses répercussions sur les enfants. On sent la difficulté de Laura à accepter le fait que son père ait laissé sa mère pour une autre femme, instaurant un manque de confiance envers les hommes en elle. Lorsqu’elle confronte Felix, lui demandant pourquoi il l’a fait, ce dernier répond que c’était dû à un manque d’attention. Il voulait juste être aimé à nouveau. Il voulait que le monde tourne autour de lui. Est-ce trop demander?
À première vue, il a été égoïste. Cependant, au moment où il décrit le sentiment de rejet qu’il ressentait lorsque la mère de Laura ne portait attention qu’à ses enfants et ses passe-temps, les yeux de Laura regardent vers le bas. À ce moment, elle n’a pas besoin de parler pour qu’on entende exactement la question qui doit lui passer par la tête : est-elle en train de faire la même chose? Après tout, ça prend deux personnes pour briser un couple.
Ces moments de confrontation et de négociation entre deux générations sont le cœur du film. Une grande partie de leur réussite est due à l’écriture mature et multidimensionnelle de Coppola, alors que c’est le talent des acteurs qui brille le plus fort lors des moments silencieux.
Invitation à la méditation
C’est si facile, si tentant de laisser la relation de nos parents former notre perception de la vie de couple… c’est beaucoup plus compliqué de se rentrer dans la tête qu’on est tous différents, et juste parce que ça a été d’une façon pour nos parents, cela ne veut pas dire que ça sera pareil pour nous. Tout en reconnaissant l’ampleur de l’influence parentale, le film invite ses spectateurs à s’en éloigner, sans bien sûr négliger nos liens avec notre famille. Une invitation à méditer sur notre propre relation avec notre père, un appel à la responsabilisation, une aventure à travers New York, et beaucoup plus encore, c’est une œuvre nuancée, chaleureuse et palpitante. S’il y a bien une chose que On the Rocks n’est pas, c’est un film ennuyeux.
Bande-annonce originale :
Durée : 1h36
Crédits photo : AppleTV+