États-Unis, 2022
★★★½
À défaut d’aspirer à renouveler la sémantique du film d’horreur, Barbarian du cinéaste Zach Cregger propose une catharsis finement menée, articulée par une technique souple et intuitive. Nul désir de s’affranchir des formes passées, le long métrage, situé au confluent des diverses matrices du genre – entre slasher et dérivé de Ring (1998) (on l’évoque ici) –, révise plutôt la signification des structures du genre qu’il émule, actualisant les mécaniques rigides de la frayeur américaine en donnant corps à un portrait décati des États-Unis.
Esthétique de l’inconfort
La promesse liminaire peut certes sembler précaire : une femme, Tess (Georgina Campbell) s’apprête à s’installer dans un Airbnb, situé dans les quartiers interlopes de Détroit, lequel se révèle déjà habité d’un homme, Keith (Bill Skarsgård) prétendant lui aussi avoir loué le lieu. Chassés-croisés d’explications confuses, logorrhées de justifications malhabiles suivies d’un silence pesant, témoin de la mise en cause par Tess de l’honnêteté des propos de Keith. Habilement, le metteur en scène insinue l’inconfort, jouant de la frontière poreuse entre amicalité et prédation séductrice. Préambule resserré alternant sous deux formes – le métadiscours et la voie dialogique – une réflexion portée sur les affres de la menace masculine, c’est pourtant loin de ce qu’il préfigure que va ultimement se définir la couleur du long métrage.
Discontinuité calculée
Car la narration marque une grande virtuosité dans les bifurcations qu’elle emprunte, interrompant continuellement ses points d’orgue dans ce qui ressemble à une sorte de frustration de la pulsion scopique, nourrissant tout le principe de l’œuvre. Au climax qui ouvrirait à un découvrement du noyau scénaristique (ici, une créature qui rôde, invisible), le metteur en scène Zach Cregger se refuse à plusieurs reprises. Mais la logique de cette construction alambiquée – susceptible de verser dans un conceptuel lassant – sert un désir d’essaimer le récit de diverses tonalités. Ainsi, le ton est successivement stratifié d’une angoisse sourde, puis d’un comique burlesque, avant de sombrer dans un thriller glacé, où le motif horrifique est surmonté d’un propos difficilement plus évocateur du désenchantement post-Trump.
Au moyen d’une direction artistique épurée, jouant d’éclairages minimalistes, Barbarian ouvre son dispositif à un tableau décapé où les États-Unis font figure de paysage névrosé. Lecture moderne des traumatismes s’originant dans la période reaganienne, c’est par le prisme des territoires ravagés – la ghettoïsation de Détroit – que s’exprime la mouture horrifique du récit. Curieusement, l’intrigue apparaît contingente tant la saveur politique du corps narratif préside et supplante l’épouvante. Parce que le film pense avant tout sa nature de divertissement sanglant comme un porte-à-faux au véritable point d’ancrage dialectique, qui consiste en une réaction brûlante à la désagrégation des mirages étasuniens.
Autopsier la déstructuration
Se distinguant de la ritournelle aliénante que proposent les rejetons du cinéma d’horreur façon sérielle, Barbarian est une pièce savamment élaborée, visitant par la psychanalyse les démons que sous-tendent les mœurs puristes de l’american way of life. Les climats disparates de la déliquescence américaine s’y croisent tantôt avec acuité – la crise de la médiocrité masculine comme nouveau fléau sociologique – tantôt avec suremphase – l’inélégant mais pertinent commentaire sur l’incapacité policière –, dans une orchestration qui, à l’image de son emploi géométrique des travellings, jouit d’une maîtrise carrée des jointures esthétiques dans ce qu’elles véhiculent en termes d’affectivité. Ourdi de quelques hiatus en décalage avec la rigueur stylistique du film – le recours artificiel au 4:3, la bande originale trop suggestive – qui n’entament qu’un peu de sa souplesse, Barbarian doit se lire comme une œuvre profondément enracinée dans la subversion de la morale occidentale.
Le métrage achève ainsi de prouver la désuétude des mythes capitalistes en portant à son paroxysme l’image instrumentalisée des femmes dans leur seul rôle maternel, jouissive représentation qui tourne au tragique dans une clôture infiniment âpre, adieu clinique d’un cinéaste qui sait refermer au moment crucial sa diatribe politique déguisée en film d’horreur.
Bande-annonce :
Durée : 1h47
Crédit photos : 20th Century Studios