Par Marc-Antoine Lévesque, voyeur de l’artistique
Star Académie a repris l’assaut des ondes (et des bandes passantes) après neuf années d’absence au Québec. Comme beaucoup de shows télé catégorisés dans la téléréalité, le contexte de la pandémie est en quelque sorte sans importance; les participant.e.s étant isolé.e.s dans tous les cas. Une quarantaine et c’est réglé. Comment renouveler un concept d’une vingtaine d’années alors que les artistes bâtissent maintenant des carrières sur le voyeurisme de leur vie privée… publique? Les médias sociaux ont chamboulé, ou plutôt accentué, la propension des spectateurs à avoir accès à l’intime de l’objet de leur admiration. Comment ce voyeurisme primaire et direct de l’époque peut-il être encore le facteur de succès maintenant qu’Instagram et Tik Tok ne sont qu’à un toucher de doigt?
Le concept demeure somme toute le même dans ses ingrédients de base : des candidat.e.s (15) isolé.e.s dans une grande maison développent leur talent vocal en se préparant aux performances du variété du dimanche. S’ajoutent à cela, quatre épisodes quotidiens (du lundi au jeudi). Si cette base est respectée, Star Académie 2021 a changé quelques petits détails qui font toute la différence.
Documentaire avant spectaculaire
Les mots « documentaire avant spectaculaire » peuvent ne plus avoir de véritable signification lorsque associés à la téléréalité, mais la version 2021 de Star Académie s’intéresse à l’expérience artistique, humaine avant le spectaculaire. Certes, il y a des dizaines de caméras dans le Manoir Maplewood de Waterloo où résident les participant.e.s, mais elles semblent davantage capter une réalité transformatrice plutôt que d’espionner une intimité comme pouvaient le faire d’anciennes versions et comme le fait la majorité des téléréalités. Les personnages mis en scène ici nous intéressent parce que leur parcours transformateur et leur talent sont mis de l’avant, non pas parce que leur intimité est révélée sans pudeur. Out les caméras 24h de l’époque, in les cours intégraux (sur Facebook et le site web). Un choix lourd de conséquences pour la première impression que l’émission projette à son spectateur. Tout comme le peu d’images des chambres (voyeurisme par excellence s’il en est un) qui sont sélectionnées pour les quotidiennes.
Les personnalités télévisuelles des participant.e.s semblent être le résultat d’aucun formatage. Il n’y a pas d’antagoniste ou de chouchou ou encore de timide reclus; ils ont chacun leurs couleurs et la production semble s’appuyer sur celles-ci, sans intervenir dans la construction de leur personnage télévisuel. Un exercice de comparaison entre l’intégral des cours et les quotidiennes montre bien l’absence de manipulation en postproduction dans l’essence même de qui sont les candidat.e.s au quotidien. La production repose et s’appuie sur les sujets devant leurs caméras, elle ne fabrique pas de scénario (outre le processus d’élimination) pour provoquer des situations spectaculaires tout comme elle ne crée pas d’archétype par montage trompeur. C’est en ce sens que le processus semble tout de même plus fidèle à l’esprit documentaire qu’à celui d’une téléréalité vouée purement au divertissement en créant de toute pièce une supposée réalité.
N’en demeure que les académicien.ne.s sont des personnages, mais la construction télévisuelle de ces personnages se fait bien à partir de la personne qu’ils sont, beaucoup plus qu’une construction fictionnelle comme pouvaient l’être les autres éditions. Cette construction a été la recette du succès de plusieurs téléréalités où l’ont demande souvent aujourd’hui des participant.e.s d’arriver en jouant un personnage (voir Kevin Lapierre, participant quasi professionnel de téléréalités québécoises ayant participé à deux Occupation double, Le goût de l’amour (Canal Vie, 2016) et à Big Brother Célébrités (Noovo, 2021)).
Diversité et talent
Nul besoin d’être spécialiste en chant pour reconnaître la diversité des voix qui sont entrées au manoir de Waterloo. Ce mélange (beaucoup plus hétérogène que dans les moutures précédentes) n’est que bénéfique pour le spectateur. Cette richesse des voix permet étrangement un processus plus juste dans l’aspect compétition de Star Académie; les académicien.ne.s n’étant pas facilement victimes des jeux de comparaison. Le meilleur (donc le pire) exemple serait le cas des jumelles Annie et Suzie Villeneuve en 2003. Et cette diversité vocale est surtout présente parce qu’il y a une diversité dans les origines culturelles des talents mis de l’avant. La voix prédomine, mais impossible de ne pas reconnaître que cette diversité culturelle est responsable de la qualité artistique à laquelle le spectateur est témoin. Chacune des voix présentes y est de par l’unicité de son talent.
Cours et spectacle
Les sujets des cours que suivent les Académicien.ne.s sont terre à terre, concrets et professionnels. Star Académie révèle l’« académie » en elle au sens propre du terme. Ce changement d’approche nuit presque aux variétés du dimanche soir, variétés qui ne sont que spectacles. Ce sont les règles du jeu évidemment : offrir des performances (en direct) pour valoriser les talents sélectionnés. Le succès de la première mouture de la Star Ac reposait surtout sur l’absence de programmes de type variétés rassembleurs aux réseaux de télévision québécois, outre La Fureur qui mêlait jeu et musique sur les ondes de Radio-Canada. Ici les variétés du dimanche sont longs et chargés. Si les duos étaient mis de l’avant dans les années 2000, le choix des medleys alourdit ce spectacle. De manière générale, il y en a toujours un de trop dans les 150 minutes que durent ces variétés. Les postmortems de la directrice Lara Fabian où elle analyse les différentes performances des académicien.ne.s en leur présence sont plus intéressants, surtout si l’on est attiré par ce voyeurisme du processus créatif. La critique fait partie de l’académie. Dans la vague des reaction videos qui ont la cote sur YouTube, la popularité grandissante¹ de ces contenus semblent pointer vers un intérêt d’analyse du spectacle.
Les quotidiennes sont le cœur de cette nouvelle version de la Star Académie; avec les académicien.ne.s, les spectateurs et spectatrices suivent les cours. La structure de diffusion des contenus dont sont tirés la majorité des épisodes correspond presque à un horaire scolaire que le spectateur peut suivre. Dans cette pandémie où l’école est virtuelle, le sentiment d’appartenance à cette académie est décuplé. Nous assistons avec eux à ces cours (le pouvoir d’interventions en moins), nous entendons avec eux les conseils des Marc Séguin, Mika, Anne Dorval, Mariana Mazza, Yannick Nézet-Séguin, Patrick Huard ou Xavier Dolan. Même si pour plusieurs qui regardent ces contenus la voie artistique n’est pas leur gagne-pain, la réflexion sur la création est pertinente pour toute personne. Et si ce n’est pas la création, c’est la réalité de la vie publique qui porte à réflexion. C’est ce qui rend Star Académie pertinent dans cette nouvelle version : ils ont fait le pari de miser sur le processus créatif, non pas uniquement sur le spectacle qui en résulte. Les drames entre académicien.ne.s ont été expulsés de la trame dite narrative des quotidiennes (reste à savoir s’il y en a à présenter à l’écran). Les défis, combats et épreuves personnels cependant sont mis de l’avant, surtout ceux reliés au processus créatif et au grand partage exempt de pudeur qu’il nécessite.
Safe space Académie
Ne réduire le résultat obtenu qu’aux académicien.ne.s serait injuste envers la production. Parce que si les personnalités des participant.e.s ne sont pas désagréables (du moins à partir de ce que nous avons accès, et ceci inclut des cours intégraux), c’est surtout l’environnement, on pourrait même dire le cocon, créé par la production qui permet ce résultat. Star Académie est un safe space où l’objectif est de révéler la personne que tu es pour permettre une meilleure pratique artistique. Paradoxale certes puisque nous savons maintenant, après vingt ans de productions de téléréalité, que ces concepts sont truqués, que les situations sont provoquées et forcées, que l’objectif premier est de produire un spectacle, peu importe le coût personnel des participant.e.s. L’Académie de 2021 semble bienveillante envers ses élèves et le safe space est amplifié et révélé par le choix des intervenants (Séguin, Dorval, Mazza, Dolan, ou encore Roxane Bruneau, Pepe Muñoz, etc.). La directrice (Lara Fabian) et les professeurs (Ariane Moffatt et Gregory Charles) installent une ambiance de bienveillance, mais professionnelle où le travail est constant.
Ces mots de la directrice lors du postmortem du 21 mars 2021 résume bien l’expérience : « La Star Académie ce n’est pas Martine à la plage. C’est une étape de vie pour vous tous qui va passer super vite dans laquelle finalement si Gregory, Ari ou moi quand c’était le temps on ne vous dit pas les choses, vous allez avoir l’impression d’avoir juste fait un show de télé. Pour chacun de vous, si j’avais manqué à un moment donné de véritable lucidité tout en l’enveloppant dans de la bienveillance, ben j’aurais pas fait mon travail. » L’édition 2021 de Star Académie n’est pas un spectacle, c’est une école à laquelle nous avons accès.
Tant dans son contenu que dans son approche de construction de l’émission, Star Académie 2021 a tenté autre chose en se concentrant davantage sur le mot « Académie » de son nom, plutôt que le « Star ». Et nous les en remercions.
La chanson thème de l’édition 2021 :
Crédits photo et logo : TVA Publications
Crédits photos des variétés : TVA Publication-Éric Myre
1 Les visionnements Facebook live sont passés de 5000 spectateurs à près de 10 000 du 21 février au 21 mars. Les postmortems suivants ayant migré directement sur la plateforme TVA Plus, il est maintenant impossible de voir la quantité de spectateurs.