La tête haute: la détention d’émotions d’un adolescent qui s’est forgé sa propre prison

France, 2015

Note:★★★★

Après Diane Kurys et son film L’homme amoureux en 1987, la réalisatrice, scénariste et actrice Emmanuelle Bercot (prix d’interprétation pour Mon Roi) n’est que la seconde femme à avoir inauguré le Festival de Cannes. La manifestation débute généralement avec un film moins intellectuel et plutôt grand public, ce qui fait de La tête haute un parti pris atypique et surprenant, mettant l’emphase, non pas sur des artifices, mais sur son sujet : la désastreuse scolarité adolescente de Malony (Rod Paradot) et son apprentissage à réfréner ses émotions. Secondé par Yann (Benoît Magimel), un éducateur, la juge pour enfants Florence Blaque (touchante Catherine Deneuve) ne se laisse pas décourager par le comportement désobligeant du garçon et tente coûte que coûte de sauver cette jeune âme en peine.

Dès la première scène, la metteur en scène cherche à enraciner la condition de son personnage, perdu dans un tourbillon d’émotions, après le renoncement des obligations d’une mère qui l’abandonne dans le cabinet de la juge. La caméra, du point de vue de l’enfant, intercepte cris, larmes, agitations des mains et désassemble les corps aux visages manquants, figurant ainsi toute l’anxiété et les tensions par lesquelles ce dernier passe. Dès lors, il se forgera une carapace difficile à percer, prémisses d’une adolescence explosive construite dans l’adversité.

La Tête haute : Photo Benoît Magimel, Rod Paradot

À 15 ans, tête basse sous son capuchon, Malony fait du cabinet de la juge une deuxième maison où l’agressivité est encore au rendez-vous. Même le cadrage resserré sur cette porte capitonnée ne parvient pas à canaliser la colère que le garçon renferme. Il ne cherche qu’à attirer l’attention, se moquant de tout, des règles de bienséance comme de l’autorité sous toutes ses formes, qu’il bafoue à outrance. Pourtant, son seul crime est de vouloir être aimé. Il est alors aisé de comprendre le conflit permanent qu’il provoque avec ses éducateurs, symboles d’une image paternelle absente. Avec le premier, il utilisera la force dans une relation passive/agressive dans laquelle il remettra en cause les motivations et les résultats de son travail. Mais c’est surtout au contact de Yann, son remplaçant, qu’il va progressivement s’ouvrir et faire de son cheminement intérieur, une quête vers la réussite. Benoît Magimel incarne avec charisme et fragilité cet ancien délinquant qui, grâce à la persévérance du même juge, a réussi devant sa porte le déblaiement d’un passé trop lourd à nettoyer. Il voit en Malony, sorte d’alter ego qu’il tente désespérément de sauver, une occasion de racheter ses péchés et faire amende honorable auprès de la société. Lui seul arrive à comprendre et à tempérer cette bombe humaine qu’il cherche à désamorcer.

Malony est un être brutal simplement gauche de part l’ignorance et la naïveté que lui confère son jeune âge. Ses actes ne cachent au fond qu’une grande maladresse à ne pas savoir comment donner et surtout recevoir. C’est dans un centre éducatif fermé, où il est contraint d’aller en pénitence, qu’il fera la rencontre de Tess, une jeune fille à la féminité réprimée qui cherche à le rassurer. Issus d’une génération qui écarte les jambes avant d’être capable d’ouvrir son cœur, ce sera un travail de longue haleine pour les deux adolescents que d’apprendre à s’apprivoiser et se faire confiance. Malony est terrifiant en bête sauvage traquée par ses propres démons intérieurs. Il tourne en rond, dans des accès de colère, en voiture comme à pied, s’enfermant dans une cage dont lui seul à la clef.

La Tête haute : Photo Rod Paradot

Si pour lui Yann est l’image d’un père, Florence sera celui de la mère qui instruit, réprimande au besoin, mais surtout récompense. Il lui donnera un caillou en espérant récolter autre chose qu’une correction : de l’affection et de l’intérêt, ce que sa propre mère n’a jamais su lui donner (il se sent redevable et a néanmoins un sens de la famille très développé). Sara Forestier campe ce parent égoïste dans le déni et sans véritable éducation. Si sa composition offre une palette de couleurs des plus variées, on émet toutefois des réserves quant à la fausse dentition dont elle est affublée. Le trait alors forcé pour crédibiliser l’indigence morale et physique de son personnage ne séduit pas.

Parfois, la caméra intrusive d’Emmanuelle Bercot étouffe le spectateur par l’absence de plans larges afin de mieux pénétrer les émotions d’un personnage introverti. C’est pourquoi dans ce film on apprécie tout particulièrement l’intelligence de la réalisatrice qui égrène ici et là quelques légères notes d’humour à la saveur aigre-douce mais néanmoins apaisantes, comme cette scène où les objets coupants sont mis au rencart en raison des accès de violence de Malony. En outre, son travail sur la musique n’est pas en reste, elle se joue des clichés en ne nourrissant pas l’idée reçue d’associer la délinquance au rap. Exit les stéréotypes, c’est sur du classique qu’elle réconcilie son personnage avec la nature, sa propre nature en utilisant les violons de Schubert (le trio andante con moto) qu’elle préfère à ceux de Voyouschanson du groupe Fauve plus attendue au vu du contexte social du film .

La Tête haute : Photo

Au centre de réadaptation, on leur apprendra à pratiquer le sport pour évacuer le stress, et découvrir de nouveaux métiers. Au final, on cherchera surtout à les responsabiliser, à valoriser leurs forces afin de regagner une estime de soi qui leur permettra de relever la tête. Une forme d’éducation que leurs parents n’ont parfois même jamais essayée.

Avec La tête haute, la réalisatrice nous coupe le souffle d’un direct à l’estomac, à la fois inattendu et réconfortant, car servant d’exutoire. On bouillonne avec le personnage, on endure sa souffrance et on sent chaque montée de colère faire écho à la nôtre. Révélation du dernier Festival de Cannes, le jeune Rod Paradot est arrivé comme une fleur dans le cinéma français et, malgré les épines, la réalisatrice ne prend pas de gants pour nous présenter celui qui restera sûrement l’une des plus belles cueillettes de la Croisette.

Durée: 2h00

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