Jean-Luc Godard

Le cinéma comme arme de destruction massive.

Comment introduire Jean-Luc Godard… Réalisateur autant inclassable qu’incontournable, il est le Tom Waits ou le Sonic Youth du cinéma, mais avec un leg sur le cinéma équivalent à celui de Picasso en peinture ou  Mozart en musique. Pop art des cinéphiles dans le vent et chouchou des critiques depuis un demi-siècle, Godard ne laisse personne indifférent. Impossible de résumer une carrière et une vie si invraisemblable; en voici quelques parcelles.

Les débuts, la légende

C’est avec son premier long-métrage en 1960, À bout de Souffle, que Godard a soufflé l’ensemble de la planète cinéma et il ne suffit que de voir les 3 premières minutes du film pour s’en rendre compte. Faux raccords, apartés, tout est là pour déstabiliser le spectateur et le sortir de sa zone de confort. Cette histoire d’un amour impossible fait entrer d’un seul coup Godard dans la légende et met la table pour une période de 5 ans parmi les plus mémorables du cinéma; de 1960 à 1965, Godard réalisera en plus d’À bout de Souffle, Une femme est une femme, Vivre sa vie, Le Petit Soldat, Les Carabiniers, Le Mépris, Bande à Part, Alphaville et Pierrot le fou.

Bande à part

Les films de cette période sont caractérisés par la liberté, thème cher à Godard, autant dans le narratif que dans la forme. Les personnages de Godard sont furieusement libres autant que sa mise en scène qui l’illustre magnifiquement avec les constantes ruptures de ton. Son approche postmoderne l’amène à mélanger la fiction, le documentaire, la musique, la peinture, la philosophie, la poésie…une renaissance du cinéma façon melting-pot dans laquelle il assume autant ses influences (film-noir, série B, cinéma américain) qu’il les revisitent. C’est sans doute dans les 5 premières années d’une carrière de 50 ans que Godard a connu le plus de succès en produisant nombre de classiques du cinéma tout en rejoignant un vaste public.

Cinéma de la contestation, contestation de cinéma

Alors que les années 1960 avancent, le cinéma de Godard avance avec lui. Si Truffaut est plutôt allé en s’adoucissant avec le temps, se confortant dans une posture ressemblant parfois presque à celle qu’il dénonçait à grand trait à l’époque des cahiers, Godard s’est renouvelé à outrance, a innové sans cesse, ce qui a autant contribué à le marginaliser qu’à consolider sa légende et au final, à se distancier de son ami et autre figure de prou de la nouvelle vague. Cette rupture est particulièrement marquée lors des évènements de mai 68.

Cet évènement marque une rupture autant dans la société française que dans le cinéma de Godard. Si des films tels que La Chinoise ou Weekend marquaient clairement le coup au niveau de l’engagement de Godard, la forme suivra le propos de façon encore plus virulente à partir de mai 1968. Le message politique est fort, la forme l’est tout autant. Des œuvres comme Le Gai Savoir ou Tout va Bien illustre la modification de son approche et sont annonciatrices de la période vidéo à venir, marquée par une expérimentation encore plus profonde qui, s’il l’amène à se perdre parfois, notamment au sein du Groupe Dziga Vertov, donne également à l’auteur la possibilité de faire des films aussi libres et originaux que marquants (pensons à Ici et Ailleurs).

Jean-Pierre Léaud dans Le Gai Savoir

Plus le cinéaste chemine, plus il nous rappelle l’artificialité du cinéma, la nécessité de la lutte. La distanciation est de plus en plus violente; on ralentit ou arrête la pellicule, on coupe le son, on enterre les dialogues avec la musique ou les bruits ambiants… Ses positions politiques tranchées l’isole et le marginalise de la société alors que sa forme l’isole en tant que cinéaste. Godard en est bien conscient et l’illustre même parfois, notamment en se mettant lui-même en scène dans Prénom Carmen en tant qu’écrivain dans une maison de fous.

Lorsque les années 1970 l’amèneront à se marginaliser encore plus et à perde parfois son idiosyncrasie au sein du groupe Dziga Vertov, les spectateurs bouderont encore davantage son cinéma jugé trop expérimental. Il faudrait attendre les années 1980 et Sauve qui peut (la vie) pour que Godard renoue avec le succès critique et public. S’en suivra une poignée de titres légèrement plus consensuels (Passion, Je vous salue Marie, Soigne ta Droite) sans pour autant renoncer à l’expérimentation (Hélas pour Moi).

Histoire(s) du cinéma

Naissance et évolution d’une cinéphilie

Le processus de création fascine ainsi Godard; le sien autant que celui des autres. Ses films se font un point d’honneur à expliquer leur processus, à montrer le matériel créatif; de la production d’un film dans Le Mépris aux séances de dactylo de Comment ça Va? en passant par les expérimentations vidéos de Numéro Deux ou les interminables discussions sur le cinéma qui ponctuent l’ensemble de son œuvre, la création (cinématographique comme artistique) est omniprésente chez Godard. Dans cet apparent fouillis, chacun va chercher ce qu’il a à aller chercher; on grappille une phrase, une pensée, une émotion, qui nous bouleverse.

Cette obsession atteint son apogée dans la série titanesque que constituent les Histoire(s) du Cinéma. Une bible cinéphilique d’une humilité et d’une splendeur inégalée; la quadruple connotation typiquement godardienne du titre introduit une série de 5h00 composée d’extraits de films, de citations visuelles et collages en tout genre. Considérée comme incontournable par tous les cinéphiles grâce à des épisodes savoureux tels que Toutes les histoire, Une Histoire Seule ou Seul le cinéma, il s’agit de l’un des testaments les plus majeurs et incontournables de l’oeuvre de Godard.

Avant son temps en 1960, il l’est encore plus en 2015. On n’a qu’à penser à la poigné de films sortis dans le nouveau millénaire; d’abord Éloges de l’Amour, puis Notre Musique et Film Socialisme. Il continue de repousser les limites de la forme du cinéma d’une façon impensable. Dans Adieu au Langage, son premier film en 3D, il nous montre les possibilités infinies de cette nouvelle forme pour les cinéastes d’arts et d’essai et, à 84 ans, constitue autant un nouveau leg majeur que le développement d’un nouveau pan de la carrière d’un cinéaste plus pertinent que jamais.

adieuaulangage

 

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