États-Unis, Canada, 2022
Notes : ★★★★
Ce n’est pas qu’une histoire d’amour ou de volcan, mais les deux à la fois et par synthèse beaucoup plus que ça en même temps. Fire of Love est une relation polyamoureuse entre un couple de volcanologues et leur sujet d’étude. Un triangle amoureux qui détermine leurs existences, structure leur vie et redéfinit leur rapport à l’humanité et au vivant. Entamons cette nouvelle année de cinéma avec espoir. Conjurons le sort des mauvais films en écrivant quelques lignes sur celui qui m’a le plus enthousiasmé en 2022. Une bouteille jetée à la mer des meilleurs documentaires.
Si la qualité d’un film n’est pas réductible à la splendeur des plans qu’il agence, il est impossible de ne pas mentionner la beauté des images d’archives recomposant l’histoire de Maurice et Katia Krafft. Deux scientifiques ayant voué leurs vies, jusqu’à mourir en 1991 dans une éruption au Japon, à l’étude des volcans et à la prévention contre leurs dangers. Dans cette entreprise iels se rendent au bord des cratères pour filmer et documenter ce phénomène naturel à la fois source de vie et de destructions. Une pulsion de vie et de mort centrale à leur travail et à l’esthétique de Sara Dosa, la réalisatrice. Les éruptions volcaniques filmées par le couple explosent à l’écran et nous fascinent autant qu’elles nous effraient. Il est à saluer l’immense travail de restauration faisant honneur aux kilomètres de pellicule tournés par les Krafft. On ne sera jamais assez reconnaissants de nous avoir donné la chance de pouvoir apercevoir ce qui représente une infime partie de leur travail.
C’est là toute la force de Fire of love, il ne se contente pas d’être la plus belle soirée diapositive de l’année et ne se limite pas au simple documentaire d’archives sur les volcans. Sara Dosa et ses deux monteuses, Erin Casper et Jocelyne Chaput, alternent dans un rythme organique, vie privée, volcanologie, humour et captation extraordinaire d’événements qui ne le sont pas moins. Le film ne semble jamais vraiment pressé de passer au sujet suivant et laisse respirer ces cataclysmes géologiques sur pellicules, autant que des moments de vie plus anodins. On se rappellera longtemps de la scène du bateau gonflable sur le lac d’acide. À travers cet enchaînement hétéroclite, on s’attache aux deux Français et petit à petit on commence à les connaître. Des phrases toutes simples, toutes clichées, toutes romantiques, viennent nous percer droit au cœur par leur sincérité. Quand Katia dit qu’elle préfère marcher derrière son mari, « car comme ça, s’il meurt (elle) part avec lui », on y croit et on accède à l’émotion derrière le lieu commun.
Tout en manipulant cette matière incandescente, Fire Of Love n’est jamais uniquement le porte-parole d’une histoire déjà extraordinaire. Sara Dosa réorganise sans cesse un matériel cinématographique dont elle est seulement l’héritière, actualisant constamment sa mise en scène aux enjeux présentés. Je reproche souvent aux documentaires de ne pas suffisamment creuser leurs dispositifs. Ici au contraire la réalisatrice se sert de sa proposition esthétique de base, le remontage d’archives, pour en multiplier les lectures. Elle prend des pauses, s’arrête, décide de référencer Indiana Jones and the Last Crusade (1989) ou de monter sur de la musique, juste pour le plaisir. En prenant le temps sur l’inutile et le trivial Sara Dosa rend son histoire et ses personnages vivants. On écoute de la bonne musique, devant des scènes de bonheur et d’insouciance, c’est tout, ça suffit.
La cinéaste rentre ainsi en écho avec le propre travail de mise en scène des Krafft. Ce que l’on croyait être depuis le début un matériel pur, capté pour la science et réarrangé pour le cinéma, était en réalité déjà du cinéma. Iels réfléchissent à leurs cadres, répètent les prises, jouent des rôles. La réalisatrice en ne cherchant pas à camoufler la nature de ses images nous donne à voir la matérialité du monde, de son film et de ces archives dans un seul et même geste.
Cette alternance constante de sujets déploie dans ses interstices et ses contradictions un propos à la fois profondément touchant sur la mort et l’amour et d’une grande lucidité par rapport à notre propre destruction et à notre condition même d’êtres humains. C’est en s’isolant avec ces géants de pierre que Maurice et Katia ont pu finalement se rapprocher de leur nature terrienne. Pensant après toutes ces années s’être extraits de l’histoire civilisationnelle, ce n’est que plus fort qu’iels subissent le choc de ne finalement qu’être des humains forcés par leur conscience de protéger les populations mises en danger par les volcans.
Fire Of Love se dessine au fur et à mesure comme une coréalisation posthume pour Maurice et Katia. Le montage d’un film jamais destiné à sortir. Un florilège de leurs vies devant lequel on ne peut que se sentir plein et heureux.
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Durée : 1h37
Crédit photos : National Geographic Documentary Films