Japon, 2022
Note : ★★★★
Dans son tout premier long métrage, la réalisatrice japonaise Chie Hayakawa expose une réalité trop souvent oubliée. Plan 75 est un drame de science-fiction mémorable et déstabilisant, qui charme par la pureté de ses thèmes.
Si la science-fiction sert souvent à commenter le présent en accentuant ses traits à travers un miroir déformant, il arrive parfois qu’il laisse la réalité presque telle quelle. Plan 75 n’a pas besoin de grosses explosions ou de situer son intrigue dans un futur lointain. Son histoire dérange parce qu’elle se déroule plutôt dans le Japon d’un futur très très proche, voire annexé au présent.
Le Japon est, depuis longtemps, l’un des pays dont la population est la plus âgée. Et si cette proportion enflait jusqu’à en causer un problème? C’est ce que Chie Hayakawa imagine dans son film. Dans cette éventualité, âgisme, problèmes économiques et crises du logement en seraient les symptômes. Alors, la solution serait le Plan 75. Soit, un programme gouvernemental qui offre — fortement — aux individus de 75 ans et plus, le choix de volontairement mourir par « euthanasie » et donc d’aider la société à se balancer et permettre aux plus jeunes générations de s’épanouir.
Ce qui percute le plus dans cette résolution déconcertante, qui est en fonction depuis déjà plusieurs années dans ce Japon dystopique, est que la société représentée semble dans l’ensemble trouver banale cette situation. Certains personnages y voient même une échappatoire à la vie difficile, une « belle mort ».
L’intrigue suit le parcours du personnage de Mishi Kakutani (Chieko Baisho) qui a 78 ans et envisage ce sacrifice ultime. Avec peu de dialogues et un regard intime dans la quotidienneté de Mishi, le film devient vite contemplatif. Se faire témoin de la suite des événements la menant au bas du mur est bouleversant.
En effet, si l’essentiel du récit tient sur la progression de son personnage principal dans sa réflexion sur la vie et la mort, Plan 75 suscite aussi une désillusion pour un programme de la sorte qui peut malheureusement se produire dans un possible futur. Au cœur de cette déstabilisante vision d’un avenir beaucoup trop réaliste se retrouve une femme d’un âge avancé qui expérimente la notion de fatalité.
À l’aide d’un merveilleux groupe de solides personnages, interprétés par Hayato Isomura, Yuumi Kawai et Stefanie Arianne, cette triste aventure de la vieillesse change rapidement pour le thème général de la mortalité où chacun·e la vit à sa manière, individuellement, jusqu’à finir par se croiser au fil du film à travers leurs histoires respectives.
Présenté à la 75e édition du Festival de Cannes, sous la catégorie « Un Certain Regard » et sélectionné pour représenter le Japon aux prochains Oscars, Plan 75 est une réussite pour ses plans intimistes, le talent de ses acteurs et actrices et surtout le courage de pousser toujours profondément la limite du confort dans des sujets si familiers, mais redoutés, de la fatalité et de la mort.
Bande-annonce :
Durée : 1h45
Crédit photos : Dongyu Club, Fusee, Happinet Phantom Studios
Ce film a été vu dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma.
Vive le cinéma japonais! Retrouvez ici la critique de Drive my car.