États-Unis, 2020
★★★ ½
Viggo Mortensen admet avoir voulu réaliser un film depuis les 25 dernières années. L’acteur des plus dévoués, derrière de nombreux rôles iconiques tels qu’Aragorn dans la trilogie The Lord of the Rings et ses personnages de gangsters dans A History of Violence et Eastern Promises de David Cronenberg, a essuyé de nombreux refus avant d’être financé. L’idée pour Falling lui vient après le décès de sa mère. Celle-ci a mené un combat avec la démence jusqu’à la fin de sa vie. La maladie dégénérative est présente des deux côtés de la famille de Viggo. Endeuillé, cet « homme de la Renaissance » qui pratique également la poésie, la photographie, la peinture, la musique et le chant se met alors à écrire des souvenirs de sa mère. Il voit rapidement une histoire se tisser entre les mémoires. Afin de ne pas s’enclaver au réel, Viggo favorise une approche fictionnelle pour le récit qu’il construit peu à peu. Falling permet à Mortensen d’explorer et d’apprivoiser la condition infligée à sa famille par la maladie.
Willis (Lance Henriksen) est un père et grand-père atteint de démence qui séjourne chez son fils, John (Viggo Mortensen) pour un rendez-vous médical. Le passé refait inévitablement surface et ajoute aux tensions entre père et fils. Willis, d’une mentalité des plus conservatrices, est inapproprié et désagréable de toutes les manières imaginables et n’approuve pas le mode de vie de John. Ce dernier, ancien militaire, vit désormais ouvertement son homosexualité. Pour Willis, il n’y a aucun problème à passer ses journées à dire qu’untel est un « fag », qu’unetelle est une « whore » et tous les autres des « assholes ». Quelque part entre rancœur et désolation pour son père, John tente tant bien que mal de se contenir. Cette dynamique entre les personnages donne bienséance à des performances des plus mémorables, tant pour Henriksen que pour Mortensen. Tourné au Canada et aux États-Unis, Falling offre une chance pour de nombreux talents danois, pays d’origine du cinéaste, de se forger une visibilité ailleurs.
Dès l’ouverture, avant même que la première image se profile à l’écran, un « tic » récurrent laisse déjà miroiter la place du temps dans l’intrigue. Le film est un dialogue constant entre passé et présent. D’abord par la maladie de Willis, qui rend plus poreuses ces frontières temporelles, mais également par tout le bagage et les conflits encore noués que le temps laisse peser sur John et son père. Ces coexistences entre les temporalités, montrant d’abord la proximité puis la distance, et les conflits qui se dressent entre père et fils avant de revenir à leur latence, se font sentir dans tous les aspects du long métrage. Le montage saisit les occasions de raccorder des mouvements, mais également des compositions d’images, des motifs, des textures et des couleurs de manière adroite afin de naviguer librement dans le temps. Quand ce dernier ne se faufile pas par l’image, il trouve son chemin à travers le son. Certaines notes de musique, d’ailleurs composée par le cinéaste, ou d’autres bruits du quotidien deviennent tremplins vers des épisodes traumatiques du passé.
S’intéressant à une famille d’origine campagnarde, Viggo Mortensen utilise la nature afin d’y ébaucher un rapport nostalgique et primitif. Elle est une entité réconfortante, mais aussi crue et brutale. Éloigné des conventions américaines, mais sans pour autant s’apparenter à la tradition cinématographique japonaise instiguée par Ozu Yasujiro des pillowshots, la nature suspend l’intrigue, offre des moments de contemplations et sert parfois de pont entre présent et passé. La sexualité entre en scène dans le théâtre qu’offre cette nature rustique. Ces deux éléments incarnent les réminiscences de Willis qui se retrouve incessamment dans ses souvenirs de jeunesse avec Jill, sa deuxième femme (Bracken Burns). Les chevaux deviennent aussi un élément clé liant Willis à Jill, mais également à John durant son adolescence.
Falling entretient des liens anecdotiques avec son cinéaste qui transpire à l’écran de différentes façons. David Cronenberg, cinéaste et collaborateur de longue date de Mortensen, y prend le rôle d’un docteur qui fera une colonoscopie à Willis. Il est intéressant de mentionner qu’une des juments du ranch de Willis se nomme Bree, comme le village dans lequel Aragorn entre en scène dans The Lord of the Rings. De plus, les chevaux ont une portée significative pour Viggo Mortensen qui a acheté trois des animaux utilisés pour le tournage de la trilogie.
Même si Falling navigue sur la démence, notons que la maladie n’y est pas nommée une fois. Viggo Mortensen admet, à son sens, que la confusion est beaucoup plus présente chez les proches que chez le souffrant et c’est ce qu’il fait sentir à l’écran. L’incohérence de Willis, sa confusion constante entre les morts et les vivants et la perte de son inhibition deviennent les moteurs de plusieurs situations qui déterrent les conflits familiaux. Willis ne se fait pas d’amis en déshéritant la mère de ses enfants (Hannah Gross) en faveur de Jill, en passant des commentaires désagréables sur les tendances que suivent ses petits-enfants ainsi que des remarques racistes sur le mari asiatique de son fils. De Picasso à la campagne d’Obama en 2008, en passant par la cuisine orientale, il critique sans scrupule tout ce qui ne lui est pas familier. L’insensibilité totale de Willis et son entêtement à ne rien écouter ni comprendre finissent par escalader les tensions au point de débordement pour John qui finit, malgré lui, par céder et laisser place à une scène déchirante dans laquelle se rencontrent colère, amour et amertume.
Sans entrée en matière ni résolution, Falling ne montre ni les balbutiements de la maladie ni ses aboutissements. Celle-ci reste une bête indomptable. Il en va de soi pour la relation entre John et Willis. Viggo, qui dédicace son œuvre à ses frères Charles et Walter Mortensen, offre dans son premier long métrage une impression humaine et complexe de la vie familiale et de la démence. L’homme parlant sept langues transparaît dans un portrait rustique, cru et élégant qui fait état de sa personne, de sa carrière, et de son rapport à la nature.
Bande annonce originale :
Durée : 1h52
Crédit Photos : Métropole Films