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Ce texte contient des termes qui pourraient choquer ou déranger.
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Cédric Khan bonjour, vous venez présenter deux films à cette 29ème édition du festival Cinémania, Making of dont on parlera tantôt et Le procès Goldman par lequel je vous propose de commencer.
Cédric Khan : Est-ce que c’est un record ? Est-ce que c’est la première fois qu’un réalisateur vient présenter deux films lors de la même édition ?
Un acteur ou une actrice non, mais un réalisateur oui. Vous êtes sûrement le premier. C’est assez rare de sortir deux films à moins de 3 mois d’intervalle. (Le procès Goldman est sorti début novembre en France et Making of sortira en janvier 2024, NDLR).
CK : Il y en a un qui a connu beaucoup de difficultés de mise en route et l’autre qui est allé comme un avion.
Ça tombe bien c’est le titre d’un de vos films. Rires.
Ils se sont percutés en termes de tournage. J’ai tourné, tourné, monté, monté. Ils se suivent comme des petits jumeaux en n’ayant pas beaucoup de rapports l’un avec l’autre.
Et pourtant, il est possible de faire quelques corrélations.
Ah génial. Dîtes-les moi, ça va m’aider pour la promo. Je cherche les ponts. Rires. À part le fait qu’il y ait beaucoup de monde au niveau du casting et que ce sont des films de masse…
C’est vrai que la casting est impressionnant. Nous y reviendrons. Je vous propose de commencer par le premier film. En avril 70, Pierre Goldman est inculpé pour 4 agressions à main armée dont une ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il sera par la suite condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité, clamant son innocence quant aux charges d’homicide volontaire. Il écrit en prison le livre Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France qui paraît en octobre 75, soit un mois avant que la Cour de cassation annule le premier jugement et renvoie l’affaire devant la Cour d’Assises d’Amiens. C’est à ce moment-là que votre film commence. Vous auriez pu choisir la forme du biopic mais vous avez préféré raconter le deuxième procès. Pourquoi ?
En fait, on recommence tout à zéro, ce n’est pas vraiment un second procès. Je n’aurais jamais fait un biopic sur Pierre Goldman. C’était très clair dans ma tête. Déjà, je crois que je ne ferais jamais de biopic sur personne. C’est une forme qui ne m’intéresse pas vraiment. Est-ce que ça m’intéresse comme spectateur ? Si c’est bien fait…mais il y a toujours une complexité de casting. On ne le dit pas souvent mais trouver un acteur qui va jouer quelqu’un que l’on connaît très bien, et par définition que l’on aime beaucoup, à qui on s’est identifié et qui fait partie de nos rêves, de nos fantasmes, c’est quelque chose de compliqué. L’incarnation c’est compliqué. Ensuite, si c’est pour raconter entièrement la vie de quelqu’un, franchement, je préfère lire un bouquin ou voir un documentaire. Par contre, je trouve intéressant de se mettre à un endroit de la vie de quelqu’un. Quand Stephen Frears fait The Queen (2006), il raconte l’épisode de la mort de Lady Di dans la vie de la reine d’Angleterre, ça, je trouve ça génial.
The Queen: Helen Mirren – Copyright Pathé Distribution
Comme Bertrand Bonello (lire notre entrevue ici) qui choisit de centrer son film sur un pan de la vie de St laurent ?
Oui c’est ça, quand il y a un angle. J’ai envie que celui qui fait le film me raconte quelque chose. C’est ça qui m’intéresse, pas seulement qu’il me fasse un catalogue de choses que l’on connaît déjà ou que l’on pourrait voir ailleurs.
Tout ça pour dire que la question du biopic ne s’est pas posée. Assez vite, ce qui me plaisait chez Goldman, c’était son langage et sa dialectique. Je trouve qu’il a une langue et qu’il parle très bien. Il est très…
Éloquent ?
Oui mais aussi fascinant quand il parle. À tour de rôle, on le comprend, on ne le comprend pas, on croit le comprendre et on le comprend plus tard. En fait, il nous emmène comme dans un voyage. Il n’y a pas beaucoup de gens qui ont la capacité de transporter le monde. C’est donc la langue de Goldman que j’ai découverte à travers son livre, ses interviews et je me suis dit que le procès était un endroit super pour retranscrire son langage. C’est même le meilleur endroit parce que la justice n’est que langage.
Et donc ce travail des mots justement, vous l’avez effectué avec Nathalie Hertzberg qui a mené une enquête sur les archives des journaux ayant couvert en 1976 le nouveau procès.
Elle a fait un travail incroyable et indispensable. C’est pour ça que je lui ai rendu hommage à chaque fois que j’ai pu et c’est pour ça que je continue en ce moment. Elle a reconstitué le procès à partir des journaux de l’époque ce qui était très compliqué parce qu’on n’a pas eu accès à ce qu’on appelle les minutes du procès (ce que les greffiers notent, NDLR). Et donc, ça a été la matrice et la matière première pour faire la reconstitution.
Pourtant, malgré cette envie d’être au plus près des faits, vous avez décidé tous les deux d’y ajouter des éléments fictifs, comme la présence de sa femme au tribunal (Christiane Succab-Goldman). Était-ce une volonté comme pour une adaptation d’un livre, de devoir trahir l’œuvre originale pour mieux rendre compte d’une certaine forme de singularité propre à votre vision ?
Trahir pour mieux restituer, c’est ça ? Ça se passe comme ça. On ne se dit pas que l’on va trahir ou pas. Ce n’est ni l’un ni l’autre. On est fidèle parce que l’on s’intéresse à cette affaire et que l’on a envie de la comprendre, que les témoins sont les témoins et les faits sont les faits. Les propos de Goldman sont les siens, les plaidoiries sont les siennes. On ne transforme pas pour transformer. Il arrive simplement parfois que des choses nous manquent dans la réalité et qu’elles nous apparaissent très forte émotionnellement ou intellectuellement. Nous on a envie de faire un film qui soit le meilleur possible. En fait, notre obsession n’est pas de trahir ou d’être fidèle, mais de faire le meilleur film possible. Ça paraît fou hein ? Rires. Mais en fait c’est simple, je suis entièrement au service du film et donc s’il faut inventer quelque chose pour que le film soit meilleur, je n’ai pas de problèmes. Intellectuellement, ça ne me pose aucun problème. Mon éthique n’est pas d’être fidèle à la vérité mais d’être au service du cinéma.
Le Procès Goldman : Arieh Worthalter – Copyright Moonshaker
Le procès Goldman est basé sur un fait divers, comme l’était un de vos films précédents Roberto Succo (2001). Quelle est la matière qui vous intéresse dans ce genre-là ?
J’ai fait un autre film aussi tiré d’un fait divers Vie Sauvage (2014), un fait divers très fameux. Avant d’être un genre, c’est de la réalité. Je ne sais pas si c’est un genre de cinéma. Moi j’adore les faits divers, ça c’est sûr. Je crois que beaucoup de gens aiment les faits divers en vrai. Il faudrait qu’on s’interroge sur le pourquoi nous sommes tous fascinés par ça.
Peut-être parce que l’on s’identifie facilement. Ça peut être notre voisin.
En tout cas, je suis sûr que la réponse est dans la question pourquoi nous sommes tous fascinés par les faits divers ? C’est une matière de cinéma très intéressante. C’est notre voisin, c’est nous, c’est l’autre nous, celui qu’on n’est pas et que l’on n’ose pas être. Ce sont toujours des choses hors de l’ordinaire voire transgressives qui font quand même partie de la vie. On sait bien que dans la vie, il y a aussi des choses monstrueuses. Au fond, les faits divers, ça nous parle de nous. Ça c’est une certitude. À chaque fois que j’en ai parlé, je ne me suis pas seulement intéressé aux protagonistes, un peu opaques, un peu fous, un peu difficiles à cerner. Il y a beaucoup de choses qui s’agrègent autour d’un fait divers, une famille, une société, un milieu social, une sociologie. L’affaire Gregory par exemple, j’ai à peu près tout lu dessus. Rires.
Elle est fascinante.
Oui, ce qui me fascine ce n’est pas tellement l’affaire en elle-même. C’est la sociologie, ce que ça raconte de cette région de France, de cette consanguinité où tout le monde est le cousin de tout le monde. Ce silence. On a le sentiment que tout le monde sait quelque chose mais que personne ne dit rien.
On la retrouve cette sociologie dans Le procès Goldman entre autres.
Ah oui. Je m’y suis autant intéressé que tout ce qui gravite autour du personnage. C’est ça qui est intéressant dans un fait divers. Il y a des gens qui croisaient Roberto Succo par hasard. Fortin le père dans Vie sauvage, il s’est caché, il a embarqué beaucoup de gens derrière lui, plus ou moins de façon consentante d’ailleurs. Ces vies qui sont traversées par le fait divers, c’est hyper intéressant.
Vie sauvage : Mathieu Kassovitz – Copyright Carole Bethuel
On pourrait dire que le film est l’image de la société de l’époque, il est divisé par l’opinion publique comme en témoigne un plan à l’ouverture du film où l’audience est séparée en deux face à la Cour. Vous rendez bien compte de cette ambivalence, notamment avec les réactions du public qui, soit soutiennent Goldman en scandant « innocent » ou encore « police fasciste, police complice », soit le dénigre et le traitent d’assassin.
Bien sûr vu que c’est un panel, c’est une mini-représentation de la société. Il y a les gauchos, les flics, les fachos, les badauds, ce qu’on appelle les sans opinions dans les sondages. Et il y a ses copains antillais, la famille de Goldman et celle des victimes, la partie civile. Tout le monde est représenté. Mais c’est fascinant dans l’organisation d’un procès, toutes ces vies qui ne devraient pas se croiser et qui sont réunies. Chacun vit un drame intime et de façon très proche à quasiment 50 cm de distance. On le voit bien dans le film. Il y a un moment où des gens sont en larmes et derrière, il y en a d’autres ivres de bonheur parce que Goldman a été innocenté. C’est une juxtaposition des émotions.
On entend presque même plus la fin du verdict tellement les gens sont contents.
Oui, c’est comme un match de foot.
Ce qui est éloquent c’est qu’à un moment donné du procès, on est rendu à juger l’homme plus que les faits au travers ses fréquentations, notamment la communauté antillaise. Le procès fait alors rejaillir tous les maux de la société de l’époque, davantage héritière de l’après-guerre que de mai 68, dont une partie croit mordicus que la préservation du patrimoine français ne se fera pas en intégrant des étrangers, voire les habitants de son propre pays sous couvert de ne pas être blanc de souche, alors que les Antilles françaises sont pourtant des départements d’outre-mer.
On a les mêmes débats aujourd’hui. Est-ce que c’est comme ça dans tous les pays ? Moi c’est ce que j’appelle les deux France. Il y a une France qui croit qu’être blanche et catholique fera d’elle LA France alors que la France est un pays de passage, de voyage. Elle n’a été faite que d’invasions successives. Et heureusement j’ai même envie de dire.
À cette époque dans les années 70, on faisait venir beaucoup d’Antillais en France pour travailler à la poste ou dans les hôpitaux. On était content d’avoir cette main d’œuvre-là mais on ne l’intégrait pas facilement pour autant. C’est aussi ce que montre le film. Ça fait de lui une œuvre assurément d’actualité dans ses remises en question sur la notion de citoyen.
Oui et c’est pareil pour les Algériens, les Marocains. Ils viennent de nos colonies françaises. Ils se sont battus et ont été enrôlés dans l’armée française en 39/45. On a une histoire avec tous ces pays d’où les gens viennent spontanément.
Le Procès Goldman: Arieh Worthalter – Copyright Séverine Brigeot
Mais on occulte souvent les raisons pour lesquelles ils viennent.
Oui et je pense que leur venue n’est pas un problème. La grande idée de l’extrême droite c’est de dire que le modèle économique français est menacé par l’arrivée des gens extérieurs mais c’est l’inverse. La France n’aurait d’ailleurs probablement pas survécu les frontières fermées. Je n’ai pas de problème avec l’immigration. Rires.
Moi non plus. Rires.
Je ne sais pas ce qui se cache derrière. On voit bien que c’est un enjeu partout.
C’est un sujet que je vais aborder tantôt avec Making of mais ce sont souvent les préjugés que l’on a. La peur de ce que l’on ne connaît pas.
Oui et le fait de défendre son clan. L’Autre est un danger.
Votre film n’est pas un documentaire et pourtant la lumière naturelle et l’atmosphère s’y prête bien volontiers, l’inverse du biopic justement comme on en parlait tantôt, dans ce huis-clos sans musique, sans artifices et sans flashbacks inopportuns. Cela permet au spectateur de se mettre dans la peau d’un juré et de ne pas développer un avis faussé par des choses extérieures au procès. D’ailleurs, le père de Goldman dit lui-même qu’il n’a pas envie de parler de l’enfance de son fils parce qu’on n’est pas là pour le juger à travers ça.
Je crois même que Goldman dit : « Je veux que ce procès soit dépouillé de tout artifice… » Il dit : « Je veux être jugé sur les faits et seulement sur les faits ». Après, ce n’est pas exactement ce qu’il fait lui-même parce qu’il a l’art de détourner les faits.
D’où l’ambivalence.
Oui il est très ambivalent et ce qui le rend intéressant. Il a un art du contre-pied et même, par moment, il a une façon de se défendre contre-productive, très risquée. On a l’impression de voir un gars marcher sur un fil et on se demande en permanence à quel moment il va se casser la gueule.
Et c’est ça qui le sauve car comme vous disiez, il a un parler très singulier.
Parfois il nous perd, ça peut être très limpide et devenir opaque par la suite.
Et c’est là où votre mise en scène à son importance avec le format 4/3 qui joue beaucoup sur la sensation d’enfermement que le spectateur ressent. Déjà qu’on ne quitte presque jamais la salle. L’immersion participe pour beaucoup à la qualité du film.
Robert Succo : Stefano Cassetti – Copyright Diaphana Films
Tout à l’heure je faisais un parallèle avec Roberto Succo parce que sur ces deux films basés sur un fait divers, le premier redouble d’énergie caméra à l’épaule dans la moindre des actions quand le second prend le temps de poser son cadre. C’est lent. Très lent, privilégiant le déplacement par des travellings à l’instar de la scène énonçant les chefs d’accusation.
J’ai vieilli.
Rires.
D’un point de vue dispositif de personnage c’est l’anti Succo. En 2h, Succo nous échappait tout le temps. On enquêtait sur lui. Là, Goldman est présent physiquement et il nous parle.
Et dans votre dispositif filmique, il y a une façon de cadrer avec un flou récurrent dans un coin de l’image. Ça donne la sensation d’une particule qui vient obstruer l’image comme un parasite, plaçant ainsi le spectateur dans une position constante de doutes et d’interrogations, sur le qui-vive permanent. Il ne prend pas pour acquis les images qu’il est en train de voir.
Je crois que les personnages ne sont jamais seuls, quelqu’un les écoute. Dans ce format carré, on a beaucoup travaillé sur la profondeur. Il se passe toujours quelque chose dans l’image devant ou derrière celui qui parle. Le procès, ce n’est que de l’interaction. Il y a quelqu’un qui parle et quelqu’un qui écoute.
Le Procès Goldman : Arthur Harari -|Copyright Moonshaker
Votre titre de travail initial était : « Je suis innocent parce que je suis innocent ».
C’est vrai. Je l’ai dit quelque part ?
Oui plusieurs fois à ma connaissance.
C’était mon titre au départ mais avec Le procès Goldman, c’était plus simple de comprendre ce dont le film allait parler. Pour moi, cette phrase résume le personnage.
Et de retranscrire cette époque-là avec un vocabulaire qui de nos jours interpelle avec des mots depuis proscrits comme mulâtre, métèque et même n***.
On a beaucoup hésité. Il faut savoir qu’on a plus le droit par exemple d’employer le mot nègre pour identifier quelqu’un. Mais Goldman a dit cette phrase : « Moi aussi je suis un n*** ». Je trouve ça fort et je trouve ça beau dans tout ce que ça représente à ce moment-là bien évidemment.
Mais c’est bien de ne pas réécrire l’histoire, de ne pas l’annihiler comme on entend beaucoup de nos jours. Au contraire, c’est bien de rendre compte de ce qui se passait pour comprendre et justement, faire en sorte que cela ne se reproduise pas. On est dans les années 70 et le spectateur comprend très bien qu’il y a derrière tout ça une forme de critique. Ce n’est pas gratuit. Le but n’est pas de choquer et d’être clivant. Le but est de faire réfléchir. Il y a cette psychologie derrière très intéressante, d’autant plus qu’il est allié et qu’il ne s’est jamais vraiment questionné sur ses affects avec la communauté antillaise.
Ce sont des sujets très à la mode maintenant mais instinctivement pour lui, ça ne faisait aucune différence.
Vous donnez beaucoup de rôles à des réalisateurs/trices. Dans Le procès Goldman on a Laetitia Masson en psy, François Favrat en policier, Arthur Harari en avocat. Dans le passé, il y a eu Brigitte Sy dans Vie sauvage, Guillaume Canet dans Une vie meilleure (2012), Laetitia Colombani dans Fête de famille (2019)… Cela me permet de faire une transition avec Making of où l’on retrouve Emmanuelle Bercot, Xavier Beauvois et Valérie Donzelli. C’est une volonté de créer un certain réalisme ?
Est-ce que vous faites un distinguo entre les acteurs qui sont passés à la réalisation et les réalisateurs qui se sont mis à jouer ? Parce que ce n’est pas tout à fait la même chose. À l’usage, un acteur qui a fait des films et un réalisateur qui joue, ce n’est pas pareil.
Making Of : Denis Podalydès, Emmanuelle Bercot – Copyright David Koskas
Vous même vous faites les deux. Vous jouez également en plus de réaliser.
Oui, mais je suis un réalisateur qui joue. Je n’ai pas de formation d’acteur ni d’ambition d’acteur. Je suis davantage comme Xavier Beauvois, Laetitia Masson et François Favrat. On le fait pour l’expérience. C’est presque du don de soi. On se prête au jeu.
Dans le cas de Making of, ça sert bien le film en appuyant la mise en abîme.
Vous voyez, par contre j’ai pris un pur acteur pour jouer le réalisateur (Denis Podalydès, NDLR).
Rires.
J’ai une admiration sans bornes pour Podalydès. Il joue de grands textes de théâtre. Pour moi, c’est un acteur avec un grand A. C’est la quintessence et la noblesse de l’acteur. C’est la comédie française. Ce qui est fou, c’est que j’ai fait tourner un nombre incalculable de metteur en scène et pour en jouer un, je prends un acteur. Là on peut travailler, on tient quelque chose. Rires.
Making Of : Denis Podalydès – Copyright David Koskas
Vous faîtes souvent des films qui partent des tripes, à l’instar de Fête de famille très viscéral. Qu’est-ce qui est venu nourrir cette envie de raconter l’envers du décor d’un plateau de tournage ?
Ça fait très longtemps que je voulais parler du cinéma. Pour le coup, c’est l’observation et l’expérience. Je suis témoin, je vis des choses, j’observe des choses depuis des années. Au départ, je voulais faire un vrai making of sur un tournage de quelqu’un d’autre. Mais un making of particulier, avec mon propre point de vue. J’en ai parlé à quelques réalisateurs et ils m’ont tous dit : « C’est une super idée…mais pas sur mon film ». Rires
Rires.
Ils avaient peur. Je voulais faire un gros tournage où il y a beaucoup d’enjeux financiers, un poids de l’économie. Et j’ai compris que l’on ne m’ouvrirait jamais les portes de ce tournage donc j’ai décidé de l’écrire, de l’inventer.
Making of est un film brillant qui décortique les relations sur un plateau de tournage. Du réalisateur au technicien, à l’acteur jusqu’au figurant. Tous les postes sont passés au crible. C’était important pour vous de rendre hommage aux gens de l’ombre ? Il y a d’ailleurs une scène vers la fin du tournage où vous passez en travelling sur toute l’équipe.
Surtout les figurants. Le film est conçu comme un hommage aux figurants, une réhabilitation des figurants.
Ça se sent.
Je pense que c’est le point de départ, j’ai toujours été heurté par la façon dont les figurants sont traités dans le cinéma.
Il y a la scène dans le film où on leur dit : « ah non ça c’est la tente pour les techniciens ».
Et encore ça c’est un détail. J’aurais pu raconter milles anecdotes comme ça. J’ai toujours trouvé ça incompréhensible la façon dont les figurants étaient traités sur un plateau. Et je continue de ne pas comprendre.
C’est donc comme ça que s’est conçu le film. On voit bien que ce sont les vrais ouvriers qui sont là pour raconter leur vraie histoire. Je fais durer cette fin sur les ouvriers un peu plus longtemps que la normale car c’était important pour moi. C’est le cœur du film.
Making Of : Souheila Yacoub, Jonathan Cohen – Copyright David Koskas
Le film prêche le faux pour faire jaillir le vrai non sans humour. Le réalisateur réalise un film à caractère social tourné vers l’humain mais dans sa vie personnelle, il n’interagit que par Webcam avec sa compagne dont la relation a fini par devenir uniquement virtuelle. Comme dans son métier, il passe sa vie devant un écran, il vit sa propre vie à travers un écran.
Rires. Oui il mange des burgers tout seul le soir. Il a beaucoup de mal à rentrer en communication avec les autres, avec sa famille. Et surtout, il fait un film pour défendre les ouvriers, victimes du grand capital et lui-même, va devoir assumer un conflit social avec sa propre équipe. C’est ce qu’on appelle l’arroseur arrosé.
Il n’arrive tellement plus à interagir avec les humains qu’il est persuadé que le réalisateur de son making of est un « fils de » alors que ce n’est pas le cas. Il ne porte pas du tout attention à ce qui se passe autour de lui, il est déconnecté de la réalité.
Par contre, il en est meurtri quand il s’en rend compte. Ça le sauve quand même non ?
Oui.
Quand il se rend compte qu’il a agi avec des a priori, il est complètement bouleversé. J’y crois fort à ce bouleversement. Ça m’est d’ailleurs arrivé de me faire des idées. On se sent très honteux quand on est persuadé de quelque chose et que l’on se rend compte de notre erreur
Au moins vous réhabilitez le personnage. Rires. Le film se construit en 3 actes telle une tragédie et il est aussi représenté sous 3 formats à l’écran.
Oui le making of du film est carré (4/3), la comédie centrale est tournée en 1.80 de mémoire et il y a du scope pour les ouvriers (film dans le film).
Cela permet au spectateur de situer les différentes parties.
Vous savez, il y a plein de gens qui ne s’en rendent même pas compte quand on change de format. Dans l’idée vous avez raison, c’était une aide pour les guider.
Pour vous dire, il y a même des changements de texture de son. En fait, on s’est rendu compte que les gens avaient beaucoup de mal à s’apercevoir qu’ils changeaient de films. Pour ainsi dire, il y a 3 films qui cohabitent.
Making Of : Xavier Beauvois, Denis Podalydès – Copyright David Koskas
C’est un milieu qui apparaît vraiment déconnecté de la réalité. C’est notamment visible dans la scène avec Boule et Bill, les producteurs qui pensent rentabilité et s’imaginent que la secrétaire a le temps de voir un film à sa pause déjeuner pour oublier sa journée. Mais dans la vraie vie, elle n’a pas 2 h de libre en journée. Ils n’ont clairement pas conscience de la réalité.
Tout en pensant qu’ils la connaissent. C’est ça le paradoxe du cinéma, ça puise dans la réalité, ça veut parler de la réalité, ça s’adresse même à des gens qui sont dans la réalité puisqu’on veut faire des succès et s’adresser au plus grand nombre possible. Mais cette base-là représentée sur un tournage, à travers les figurants, elle est maltraitée voire ignorée. Donc effectivement, il y a un problème de déconnexion.
Parce qu’ils ne la connaissent pas la réalité ?
Ça dépend lesquels. Dans le cinéma il y a de tout. Il y a des acteurs qui viennent de milieu très populaire. D’ailleurs, il y a beaucoup de stars issues du milieu populaire.
Vous brossez un portrait au vitriol du milieu cinématographique : le producteur est un arnaqueur, l’acteur principal à un ego surdimensionné…
Ce qu’on appelle les clichés vrais. Rires
Joseph dira même à propos de sa cité : « pour vous c’est qu’un décor, pour moi, c’est toute ma vie ». Cela met en exergue les inégalités qui se côtoient sur un plateau de tournage.
Je fais même du figurant le héros du film. C’est très simple, c’est un film sur les rapports de classe dans le cinéma. C’est un film marxiste sur le cinéma. C’est comme ça que j’ai démarré. Je me suis dit que j’allais faire un film qui montre comment le cinéma, tout en défendant des grandes causes humanistes, reproduit en son sein une forme de violence des classes. Et c’est la vérité. Je ne sais pas si ça vous est apparu comme la vérité.
Ah oui complètement.
On pourrait penser que c’est une fantaisie.
Ah non pas du tout.
Je dis ça parce que vous me demandiez tantôt pourquoi les gens ont envie de faire un film sur le cinéma. Mais il y a beaucoup de metteurs en scène qui font des films sur le cinéma et qui font des films à la gloire du cinéma. En fait pour moi, ce n’est pas un film sur le cinéma, c’est un film sur le travail sur un plateau, ce qui n’est pas pareil. Ce n’est pas un hommage au cinéma, c’est une radiographie de ce qu’est un tournage, du microcosme social qu’est un tournage.
Making Of : Stefan Crepon – Copyright David Koskas
Et il y a ce beau plan de fin qui rejoint les inégalités dont on parlait. On a ce plan en plongée sur un parking où, d’un côté la tente des techniciens se démonte et de l’autre, les trailers des acteurs sont garés tandis qu’au milieu se trouve de nombreuses places de parking en parallèle. Deux mondes qui s’opposent mais qui se trouvent en un plan sur le même niveau. Deux vies en parallèles qui finissent malgré tout par emprunter le même chemin, celui du film. C’est beau. Ça fait se questionner sur la place de chacun.
Oui les techniciens démontent, je ne sais pas si vous êtes allés souvent sur des tournages. Ce sont des territoires qui sont très proches mais qui ne se rencontrent pas. C’est très hiérarchique, c’est très féodal.
Vous voyez, on le tient finalement le point commun avec Le procès Goldman avec cette hiérarchie-là, ces inégalités-là que vous soulevez.
Oui, c’est le rapport de classes et il y en a beaucoup dans Le procès Goldman. C’est marrant, les gens disent souvent que mes films sont très différents mais je ne pense pas. C’est mon sujet les rapports de classes. J’ai quand même une obsession avec les conflits de classe.
Oui clairement. J’ai revu Roberto Succo tout y est. Une vie meilleure ça y est. Vie sauvage également.
Mais vous savez, même dans la vie je pense que les relations entre les gens sont définies par les rapports de classe. Beaucoup plus que par les rapports d’origine ethnique d’ailleurs. Je pense que la classe sociale des gens influe énormément sur leur comportement.
Et que pensez-vous de la façon dont les films sont commercialisés de nos jours ?
En VOD ? Pour moi c’est un problème économique, c’est sûr que les gens qui ont investi dans un film préfèrent que les gens payent. Moi ce qui me plaît c’est que les gens voient mes films. Qu’importe la façon dont ils les voient. Si les gens ont cet amour de voir les films en salle, qui pour moi est le meilleur endroit pour en voir, c’est encore mieux. Surtout pour les films que je fais qui demandent un peu d’attention. Mais si les gens ont envie de les consommer dans l’avion ou en streaming, ça ne me gêne pas.
Making of sort en début d’année en France.
Oui. Il faut mettre des distributeurs dans les salles et que les gens se marrent. Allez-y.
Durée : 1h56
Le procès Goldman est actuellement en salle au Québec.
Cette entrevue a été réalisée dans le cadre de la 29ème édition du Festival Cinemania.