États-Unis, Royaume-Uni, Canada, 1986
Note : ★★★★
Peu d’archétypes cinématographiques ont eu autant d’impact que la figure du monstre. Depuis Nosferatu (F.W.Murnau, 1922), Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920) et les monstres des studios Universal, le cinéma mondial a trouvé maintes et maintes manières de représenter ces troubles sociaux au travers des figures imposant la terreur. Pourtant, certains films se démarquent dans leur manière de traiter la créature horrifique, en allant au-delà d’une simple antagonisation de la figure du monstre, parmi lesquels figure The Fly de David Cronenberg. Ce dernier se distingue des propositions cinématographiques classiques par sa structure et son message qui participe en partie à sa renommée et à son charme.
Le film met en scène Veronica Quaife (Geena Davis), une journaliste qui rencontre lors d’un sommet scientifique le prometteur Seth Brundle (Jeff Goldblum). Il est apparemment en train de travailler sur un projet qui va changer le monde. D’abord sceptique, elle va le suivre jusqu’à son laboratoire pour continuer le jeu de drague qu’ils ont entamé. Puis, elle est rapidement stupéfaite par ses expériences sur la téléportation, acceptant de garder le secret sur les travaux du scientifique malgré la pression de son éditeur jaloux (John Getz). Elle devra aussi veiller sur un Brundle complètement transformé, ce dernier ayant testé sa propre invention en se téléportant, à son insu, avec une mouche…
Dès le début du film, Cronenberg ne perd pas de temps en commençant directement avec les deux protagonistes parlant des projets de Brundle. La mise en place se fait au travers des dialogues, résumant en à peine cinq minutes ce que la majorité des films feraient en vingt. Cette concision présente lors de l’introduction rappelle la structure de ces nouvelles qui vont droit au but, évitant majoritairement le superflu pour se concentrer sur l’essentiel. Le rythme est l’un des grands atouts de The Fly, tirant le plus qu’il peut des 96 minutes à sa disposition.
Cette efficacité permet au récit de mettre l’accent sur le cœur du film, c’est-à-dire l’évolution physique et psychologique de Seth. Rares sont les films faisant du monstre l’un des protagonistes de l’histoire, et encore plus rares sont ceux qui l’humanisent comme le fait The Fly. Seth Brundle n’est pas un savant fou dont la perte est causée par son hybris; il s’agit au contraire d’un homme introverti, peu doué avec les mots, mais ayant un savoir-faire inégalé avec la technologie. La raison qui le pousse à essayer sa propre machine est un sentiment de jalousie amplifié par les effets l’alcool. En effet, il se sent abandonné par Veronica qu’il pense dans les bras de son ex – un sentiment peu glorieux, mais ô combien humain. L’expérience lui donne des capacités physiques extraordinaires, mais la bouffée d’arrogance que cette force lui insuffle ne dure pas plus qu’une quinzaine de minutes. La fierté de Seth devient rapidement de l’horreur face aux transformations de son corps, et la vague de mépris passagère que le spectateur a ressenti pour lui devient graduellement de la pitié.
Le comble de l’empathie envers Brundle, prenant éventuellement le titre de Brundlefly, arrive lorsque sa transformation est fort avancée. Alors qu’il vient de perdre quelques dents, il va dans sa salle de bain pour les déposer dans son Musée de l’histoire naturelle. Dans son cabinet de toilette se trouve une oreille, le bout d’un doigt, des restes en décomposition de son corps d’avant. Il traite ses bouts de Brundle comme des reliques d’un temps perdu, prétendant qu’ils n’ont aucun intérêt autre que le recensement historique. Difficile pourtant de ne pas y voir une forme de préservation essentielle pour la partie humaine de Brundlefly, une manière propre à Cronenberg de représenter ce qui serait, par exemple, de vieilles photos pour un personne atteinte d’Alzheimer.
Il y a aussi le segment arrivant tout de suite après, dans lequel Veronica découvre la transformation avancée de Seth. Ils essaient tant bien que mal de maintenir une conversation, mais elle finit par abandonner face à l’impossibilité de Brundlefly à tenir un propos logique. Il parle pourtant de la politique d’insectes et du rêve qu’il a de vouloir un jour devenir le premier insecte politicien de l’histoire. ‘’I’m an insect who dreams he was a man. I loved it, but now the dream is over.’’, dit-il dans une vaine tentative de transmettre l’étendue de sa douleur à Veronica. Elle ne peut le comprendre, mais sa réaction et l’amour qu’elle continue de porter pour lui font aussi partie du message du film: voir une personne qu’on aime dépérir à petit feu, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.
La tragédie de Seth Brundle, en particulier lors de ces deux scènes, dresse avec fatalité une allégorie sur la condition humaine, ne trouvant d’égal dans les films de monstre que des œuvres de la carrure du Frankenstein de James Whale. Plusieurs interprétations sont évidemment possibles. L’analyser, notamment, au travers de l’épidémie du SIDA qui faisait rage lors de sa sortie serait très pertinent. Telle est la force des bons contes : divertir, mais surtout faire réfléchir.
Bande-annonce :
Durée : 1h36
Crédit photos : Copyright D.R.
Retrouvez ici notre critique de eXistenZ de David Cronenberg.