Shifting Baselines : Un petit pas pour l’Homme, un grand pas en arrière pour l’Humanité

Canada, 2025
Note : ★★★★

Depuis maintenant une dizaine d’années, l’organisation SpaceX travaille sur le projet Starbase, dont les installations sont situées au Texas, tout près du Golfe du Mexique. L’objectif : faciliter l’exploration spatiale pour différents projets de conquête et de colonisation, notamment celle de la planète Mars. L’idée fait rêver, poursuivant ce fantasme expansionniste bien propre à l’humain. Mais malgré les innovations techniques impressionnantes de l’entreprise, bien des conséquences concrètes de leurs initiatives demeurent nébuleuses. Dans Shifting Baselines, le réalisateur Julien Elie se rend sur place, détournant le regard de SpaceX afin d’accorder son intérêt à tout ce qui l’entoure.

Après une première partie s’intéressant davantage au phénomène social engendré par le phénomène, où on présentera différents personnages venus assister aux lancements des fusées, les yeux lumineux remplis d’espoir, le film basculera rapidement dans l’aspect plus sombre de la situation. On traitera donc dans le documentaire des conséquences environnementales assez graves liées à l’exploration spatiale et la mise en place de dizaines de milliers de satellites dans l’espace, ce fameux projet Starlink, causant une grande quantité de débris dangereux se retrouvant dans l’atmosphère. La majorité des intervenants du film semblent inquiets pour l’avenir, mais certains semblent penser que le jeu en vaut la chandelle. Cette normalisation de la catastrophe climatique engendrée par la conquête est le point pivot du film, ce Shifting Baseline éponyme qu’on constate avec le documentaire.

Le choix esthétique de l’utilisation du noir et blanc ne semble pas relever du hasard. Familier avec ce parti pris visuel depuis son  long-métrage Dark Suns, qui s’intéressait à l’enquête entourant une série de meurtres au Mexique, Julien Elie l’utilise ici afin de renforcer l’idée même du paysage lunaire, désolé, dont les intervenants du documentaire traitent d’un air rêveur. L’effet presque mystique de l’ensemble, qui accompagne l’image puissante des énormes fusées sortant du brouillard, attendant leur départ imminent, donne aux paysages terrestres des allures finalement aussi magnifiques et mystérieuses que le décor convoité par les voyageurs de l’espace.

D’un point de vue formel, le documentaire emprunte beaucoup aux codes de la fiction, ne serait-ce qu’avec sa musique grandiose ou sa direction photo magnifique et esthétisante, relevant d’une impressionnante maîtrise de la composition. On ressent souvent une certaine mise en scène du réel, ce qui peut détourner de l’esprit du documentaire, mais les intervenants sont brillants d’authenticité, même lorsqu’ils sont visiblement dirigés dans le but d’appuyer un propos. Ceux-ci ne sont d’ailleurs jamais nommés ni par le documentariste s’effaçant dans son œuvre ni par quelconque titre qui serait apparu à l’écran pendant leurs interventions. Le résultat est une immersion plus grande dans l’univers de l’œuvre, se détachant du format très télévisuel qu’auraient pu donner une suite d’entrevues plus conventionnelles.

Shifting Baselines aurait pu être une œuvre plus dénonciatrice, énumérant des données scientifiques concrètes afin de pointer du doigt les conséquences climatiques liées à SpaceX. Mais en se contentant de filmer le réel avec un point de vue esthétique clair, le propos est d’autant plus percutant. On ne peut qu’être troublé par les paysages désolés autour des sites de lancement. On croirait que les explorateurs, à défaut d’atteindre Mars, tentent d’en reproduire son panorama désertique sur leur propre planète.

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Ce film a été visionné dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma 2025.
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Durée : 1h40
Crédit photos : Les Films du 3 Mars

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