Royaume-Uni, 2020
★★★ 1/2
Pour son premier long métrage, Autumn de Wilde s’attaque à un monstre de la littérature anglaise : Jane Austen. Dans une adaptation colorée et vivante, la jeune réalisatrice rend justice à l’héroïne chérie de la grande dame de la littérature. Surtout comique, le film ne délaisse pourtant pas le drame dans cette histoire maintenant devenue clichée, mais toujours aussi délicieuse. De Wilde nous introduit sa protagoniste. Point. Emma en grandes lettres. EMMA..

Une jeune aristocrate de 21 ans n’a que peu vécu de drames dans sa vie. Emma Woodhouse n’est jamais mal intentionnée, mais demeure égoïste. Dans un entremêlement amoureux entre quelques jeunes hommes disponibles, sa bonne amie moins nantie qu’elle prend sous son aile, une rivale et elle-même, Emma apprendra que le cœur n’est pas toujours simple, tant le sien que celui des autres. Mlle Woodhouse est un personnage superficiel qui trouvera sa profondeur humaine en sortant de son existence somme toute privilégiée et en confrontant les différentes réalités émotionnelles et financières de ses comparses féminines.

La cinéaste Autumn de Wilde s’est entourée de la nouvelle crème anglaise des jeunes acteurs. Anya Taylor-Joy (The Witch de Robert Eggers) brille dans la peau du personnage titulaire. Johnny Flynn charme en Mr. Knightley (la série Scrotal Recall/Lovesick, Clouds of Sils Maria). Mia Goth (High Life de Claire Denis, Suspiria de Luca Guadagnino) joue la jeune naïve avec aisance. Josh O’connor (God’s Own Country, The Crown) divertit avec son maladroit Mr. Elton. Et Callum Turner (Fantastic Beasts The Crimes of Grindelwald) séduit en incarnant le trompeur Frank Churchill. On ne peut passer à côté de Bill Nighy en Mr. Woodhouse qui amuse grandement dans un personnage cliché mais très divertissant. La subtilité n’est pas ce qu’on lui demande, mais la qualité de son jeu n’en est point affectée.

Autumn de Wilde est frontale dans sa réalisation (et son propos) dès le premier plan : un regard caméra de sa protagoniste principale. Le titre est un autre signe de sa détermination et du point de vue qu’elle adopte : ce sera celui d’Emma et elle seule. EMMA. Son prénom en lettres majuscules comme dans un scénario quand un personnage nous est introduit pour la première fois. Suivi d’un point, Emma, seulement. Et la réalisatrice ne la quittera jamais.

Le film est divisé en quatre saisons, bien identifiées par des cartons. Dans ses présentations, la cinéaste mettra légèrement à nue ses sujets ; Emma, dans son long processus d’habillement et Mr. Knightley, nu filmé par derrière. Déjà dans ses choix, de Wilde objectivise un peu plus la gent masculine, sans jamais être déplacée et toujours en respectant la subjectivité de Mlle Woodhouse. Elle objectivisera à l’image, celui qui sera l’élu de sa protagoniste.

La première saison, l’automne, en est une où Emma se considère supérieure à ses comparses; elle est souvent surélevée dans l’espace, surtout en présence de Mlle Smith, l’orpheline qu’elle chapeaute. Un plan en contre-plongée sur Emma déstabilisera, et semble agir en réprimande envers l’attitude hautaine de cette dernière par la réalisatrice. La scène amusante du portrait peint de Mlle Smith, et celle de sa révélation, en est l’incarnation parfaite ; Emma révélera sa nature superficielle et quelque peu manipulatrice. Dans cette saison, visuellement, la cinéaste y va de quelques références, The Handmaid’s Tale sera la plus évidente avec les manteaux rouges et les capuches.

Outre les références, Autumn de Wilde utilise quelques scènes à haute teneur symbolique. À commencer par la scène du château de sable qui semble anodine, mais qui demeure lourde de sens puisqu’elle met en scène un jeu où des jeunes femmes détruisent progressivement une construction pour « humilier » celle qui le fera entièrement tomber, ici Mlle Smith. Cette scène souligne cette absence de solidarité dans cette collaboration féminine non seulement dans la société anglaise de cette époque, mais surtout dans la relation entre Emma et Mlle Smith.

La superficialité d’Emma sera également soulignée à plusieurs reprises puisqu’elle est fréquemment filmée auprès de fleurs, de sa serre dans les premières minutes aux différentes conversations qu’elle peut avoir avec les autres personnages. S’accrochant à cette particularité de sa personnalité, Emma se réfugiera dans la flore jusqu’à la déclaration de Mr. Knightley sous l’arbre fleuri.

La cinéaste la remettra tout de même à sa place dans une scène forte en symbolisme. Emma, aux côtés d’énormes œuvres d’art paraît minuscule. Elle échangera quelques regards avec les sculptures dans la pièce, filmée en plongée pour encore une fois la réduire. Cette scène se produit dans un lieu fort symbolique : le manoir de Mr. Knightley, l’objet de son amour.

EMMA. se permet également quelques échos bien contemporains, outre la récente popularité (visuelle) de The Handmaid’s Tale, les personnages de John Knightley (Oliver Chris) et de sa conjointe ne peuvent que faire écho aux scènes de ménage d’aujourd’hui, donnant une résonance actuelle au film.

Pour son premier long métrage, la réalisatrice anglaise ne déroge pas du personnage qu’est Emma Woodhouse, mais lui donne une vivacité rafraîchissante. Un film coloré, amusant et avec suffisamment de drame pour demeurer dans la légèreté. Un film divertissant qui se laisse aisément regarder, malgré des 125 minutes, tout en ayant sa petite touche de légère subversion.
Bande-annonce originale anglaise
Durée : 2h05