C’est au charmant Pastel Rita, royaume des mille selfies et du rose bonbon, que j’ai rencontré la pétillante Mélanie Charbonneau à peine quelques jours après la grande première de son tout premier long métrage Fabuleuses. Elle est aussi énergique en entrevue que sa réalisation peut l’être ! La conversation fut tellement agréable qu’elle s’est étirée sur plus d’une heure. Je vous la partage donc en deux parties, question de faire durer le plaisir. Dans cette première partie, on parle d’écriture, de force de femme, de paradoxe, de poil, de la génération Instagram, d’amitié et bien plus encore.
*Si vous n’avez toujours pas vu Fabuleuses, je vous suggère fortement d’y courir et de revenir nous lire quand vous aurez fait la rencontre des charmantes Laurie, Clara et Élizabeth.
Ariane: Tu dois encore être fébrile de la grande première de Fabuleuses qui a eu lieu à la Place-des-Arts! Peux-tu nous parler un peu de cette soirée? À quel point tu avais hâte de montrer le film et es-tu contente de la réception de la salle qui était très enthousiaste?
Mélanie: Je te dirais que je flotte encore un peu, c’était juste incroyable de sentir la vague d’amour que le public a eue pour le film et pour les personnages. J’avais vraiment hâte de le présenter, je pense que ça se ressentait dans mon discours et dans mon énergie (rires). J’étais fière du film, je le savais que ça allait rejoindre un public, mais je ne pensais pas que ça allait rejoindre le public de manière aussi large. C’est ça qui était beau dans les feedbacks, c’était toutes sortes de gens; des messieurs de 50 ans qui ne pensaient pas aimer ça et qui finalement ont adoré. Depuis le début, c’est un peu ce que je dis au distributeur et à tout le monde. On a souvent ce préjugé de films de filles ou de chick flick avec trois personnages féminins et on pense que ça s’adresse pas à d’autre monde. Pourtant, j’ai vu plein de films dans ma vie avec des gars en premier rôle, alors je pense que Fabuleuses s’adresse à un public très large parce que tout le monde est en relation avec les réseaux sociaux d’une manière ou d’une autre. Pour revenir à la première, j’en revenais pas comment les gens riaient à toutes les jokes, même les petits détails. Ils remarquaient tout. Une des blagues que les gens ont ri, c’est quand Élizabeth prend des photos avec les deux filles à la piscine et Clara lui dit « Pis ça marche-tu? » et qu’elle répond « On voit pas beaucoup les splotches, Laurie, peux-tu garrocher plus d’eau? » et là Clara lui dit qu’elle veut pas scraper son make-up et Élizabeth est comme « Oui, mais c’est pas ça le but genre, hydrofuge? »; le rire que ça a déclenché, c’était juste fou. Donc, l’énergie était là, les gens ont embarqué à cent miles à l’heure. C’était juste beau, la grande projection dans la grande salle. C’était vraiment surprenant. Même moi, j’ai eu beaucoup de plaisir à revoir le film.
A: Je trouve ça super intéressant que tu parles du chick flick parce que ma question suivante, c’était selon toi à qui le film s’adresse? Qu’est-ce que tu espères créer comme réaction?
M: C’est sûr que c’est le film que j’aurais aimé voir dans ma jeune vingtaine, dans mon moment où je me demandais qu’est-ce que je vais devenir, qu’est-ce que je vais faire, un moment où tu te cherches et tout, j’aurais aimé ça le voir et me dire tout va bien aller, ça va être correct. En faisant ce film, je me suis plongée en me demandant quelle serait ma relation aux réseaux sociaux si j’avais 20 ans aujourd’hui. Je pense que j’aurais vraiment l’impression que ma réussite passe à travers ma réussite sur les réseaux sociaux et ce que je dis un peu dans le film c’est que ça se peut pour certaines personnes que ce le soit, mais c’est pas pour tout le monde nécessairement et il y a aussi des dangers là-dedans, ça te transforme d’une certaine manière.
A: Et éventuellement il faut aller chercher de la validation ailleurs.
M: Exactement et le lien social, le lien direct entre deux personnes est plus riche.
A: Mais il y a quand même quelque chose de très intéressant qui se passe avec le personnage de Clara qui continue tout au long du film de dire à ses followers qu’ils sont les seuls à être là pour elle. On ne remet pas en question qu’il y a quelque chose de réel dans cette relation virtuelle.
M: Oui, il y a quand même quelque chose qui se passe, je pense, entre les influenceurs et leur public et je pense qu’on est encore en train de connaître et de comprendre c’est quoi, ce lien-là. Le but du film est pas de donner toutes les réponses à ça, c’est un peu de faire une espèce de polaroid de notre génération. Et ce que j’aimerais, pour revenir à ta question, c’est que ce film marque notre époque parce que c’est un film qui représente ce qu’on est maintenant.
A: C’est un portrait de maintenant.
M: Exactement. Et que les gens se reconnaissent là-dedans. Se dire: c’est vrai qu’on est tous un peu comme ça. Pis c’est drôle, on est ici [Pastel Rita] pis quand je suis arrivée, il y avait deux filles qui étaient là depuis 8h30 pour prendre des photos !
A: Dans ce lieu hautement instagrammable!
M: C’est un phénomène qui est très présent. Je trouve qu’il fallait en témoigner. Ce qui est intéressant dans le film, c’est qu’on en témoigne vraiment en lien avec la culture québécoise, mais en même temps cette histoire peut se passer dans n’importe quelle ville du monde. Que tu habites aux États-Unis ou ailleurs, je pense que les gens vont pouvoir se reconnaître à travers le film parce que c’est global comme mouvement.
A: Fabuleuses dresse le portrait de cette génération qui carbure à Instagram et aux likes, mais le film reste relativement objectif par rapport aux trois personnages féminins centraux qu’il met en scène. J’ai l’impression quand même qu’on finit par se coller un peu plus à Laurie (le personnage interprété par Noémie O’Farrell) et délaisser un peu Elizabeth (Mounia Zazham). Est-ce que c’est un choix conscient ou c’est quelque chose qui est arrivé au montage peut-être?
M: C’est vraiment à l’écriture que ça c’est placé. Au départ, on savait qu’on voulait faire un film avec les trois personnages. Mais écrire un film avec trois personnages avec des courbes dramatiques qui se croisent, c’était vraiment périlleux. Donc, j’ai décidé d’écrire le film juste avec le point de vue de Laurie.
A: De se coller à son point de vue?
M: Oui et pendant longtemps ça a été sur cette version qu’on travaillait. À un moment donné, j’étais tannée de juste avoir Laurie dans les scènes et toute l’information qui devait passer par elle. Il y avait quelque chose en moi qui disait: il faut que je ré-explose le scénario et que je donne de la place aux autres et à leur perspective. Le personnage de Clara était déjà assez bien développé. Le personnage d’Élizabeth, on a cherché longtemps son ADN. On savait c’était quoi son point de vue, mais pas ce qu’elle faisait, c’était quoi son lien, sa place dans l’histoire… Musicienne dans le métro, ça a été rapidement quelque chose qui était là, mais au début elle jouait du clavier et elle chantait. À un moment donné, je revenais d’une grosse semaine d’écriture dans un chalet et j’ai entendu la pièce de Bach qui joue dans le film à la radio. Je trouvais ça tellement beau. J’imaginais déjà la scène de Laurie qui marche avec sa boîte dans le métro et je me disais: ça prend cette musique-là. Mais ça voulait dire un autre musicien qui joue du violoncelle, et un moment donné j’ai eu une illumination : pourquoi ce serait pas Élizabeth qui joue du violoncelle au lieu du clavier!
A: Le personnage a pris forme un peu comme ça.
M: Oui et c’est drôle parce qu’il y a quelques personnes qui m’ont dit qu’on délaisse Élizabeth, mais elle est comme la ligne droite dans le film. Elle a une légère évolution; à la fin elle s’ouvre au personnage de Clara. La structure narrative du film, c’est plus l’élève dépasse le maître, donc c’est plus autour des deux autres que tout s’articule.
A: Elle est un peu un contrepoids?
M: Oui, elle est un contrepoids à cette histoire-là. Donc c’est sûr que sa présence est essentielle, à chaque fois qu’elle est à l’écran, on l’aime et elle vient vraiment contrebalancer le récit. Elle est un peu la voix du spectateur aussi, la voix critique, qui remet en question. Donc, je pense que peut-être le spectateur aimerait ça être plus avec elle.
A: Oui, elle est tellement charismatique et forte en plus.
M: C’est ça. C’est des choix que tu as à faire à l’écriture de dire: il faut qu’on fasse avancer l’histoire. Mais au niveau de sa présence, c’est celle qui était au scénario, y’a pas de coupure qui a eu lieu au montage. Elle a toujours été là, peut-être que certaines scènes sont plus courtes, c’est une question de rythme, mais toutes ses scènes sont là.
A: C’était écrit comme ça pour qu’on ait un peu un guide dans le film qui est plus Laurie?
M: Oui absolument. Ce guide-là est toujours resté finalement. Laurie, c’est comme la trame A du film, c’est elle qu’on suit dans cette histoire et les autres gravitent autour mais existent aussi en parallèle d’elle.
A: Oui, elles ont une vie en dehors d’elle et c’est intéressant qu’on ait quand même des scènes sans Laurie.
M: En le voyant maintenant et après coup, la force du film, c’est quand on voit les trois personnages ensemble. Des fois, je me dis peut-être que j’aurais dû en mettre plus, mais ça, je pouvais pas le savoir tant que je le faisais pas. Je les aurais mis peut-être une ou deux fois plus souvent ensemble. Après, un film, c’est un processus créatif que tu fais dans un cadre de temps.
A: À un moment donné, il faut que tu le laisses aller.
M: C’est ça et tu arrives à des conclusions dans ces moments de vie et c’est un peu ça, le processus.
A: Et est-ce que tu t’identifies à une protagoniste plus qu’à une autre ou au contraire il y a un petit peu de toi dans chacune?
M: Il y a vraiment de moi dans tous les personnages. À l’écriture, je cherchais les personnages et quand j’ai décidé que les trois avaient le droit d’exister dans le film et avaient chacune leur place, c’est quand j’ai pris conscience que les trois personnages sont trois voix à l’intérieur de moi. Le paradoxe de Clara qui est réussir par sa beauté, ce truc d’utiliser sa beauté pour réussir dont je pense que beaucoup de filles rêvent et qui représente peu la réussite au féminin dans l’histoire.
A: Dans le système dans lequel on vit, la réussie est beaucoup associée à la beauté, oui.
M: Exactement, donc il y avait ça, ce paradoxe. Au niveau de Laurie, c’était plutôt l’ambitieuse qui est un peu maladroite, qui y va un peu tout croche, qui fonce sans trop se poser de questions. Élizabeth, c’est la voix féministe assumée à l’intérieur de moi qui remet en question mes actions. Donc, c’est pour ça qu’elles sont là, qu’elles existent toutes les trois et sans jugement envers l’autre. Ces trois voix, je pense qu’elles existent dans beaucoup de femmes et je voulais leur donner le droit de coexister dans le film, le droit de se poser des questions entre elles, de se challenger et c’est comme ça qu’elles vont évoluer.
A: C’est d’ailleurs une des très belles scènes quand il y a cette confrontation à la piscine où Élizabeth et Clara sont très affirmées dans leur position sur le féminisme et Laurie se retrouve entre les deux.
M: Un moment donné, je me suis rendu compte de la force de ça. C’est quand même improbable que la néo-féministe rencontre quelqu’un comme Clara. Je connais les filles de Maipoils et j’essayais de m’imaginer si Maipoils rencontrait quelqu’un comme Élisabeth Rioux, ce que ça donnerait comme conversation. Et c’est un peu ça que j’ai voulu recréer.
A: Une chose que je trouve intéressante avec le personnage de Clara, c’est qu’on explore le concept de la self-made woman. Est-ce que c’est quelque chose dans quoi tu te reconnais?
M: Absolument. Quand je disais que je filmais mes propres affaires et tout ça. Dans le film, le chum de Clara est un peu un homme objet et les rôles sont inversés. Dans l’histoire, on a toujours vu des hommes avec des femmes objets, alors que c’est complètement l’inverse avec ce phénomène. On le voit, les filles commencent à sortir avec des gars qui sont méconnus et ils ont tout d’un coup des centaines de milliers de followers et tout le monde suit leur relation et ce gars-là devient comme un objet dans l’histoire. La star, c’est l’influenceuse. Il y a quelque chose de vraiment intéressant dans cette subversion des genres, dans ce retour du balancier. Et aussi, je trouve ça quand même fascinant de savoir que la plupart des filles ont commencé en faisant des vidéos dans leur chambre par elle-même, et petit à petit, elles sont devenues qui elles sont.
A: Oui, on se rend peut-être pas compte de tout le travail qu’il y a derrière ça.
M: Exactement, c’est pas du jour au lendemain qu’elles se sont prises en photo en bikini et que 100 000 personnes les ont suivies…
A: Et on voit bien cet aspect avec le personnage de Clara. Justement, on disait que Élizabeth était un peu le contrepoids féministe très assumé dans le film et je me demandais pourquoi tu avais choisi de l’illustrer principalement par les poils. C’est quand même beaucoup par là que ça passe, qu’on comprend son féminisme, pourquoi ce choix-là?
M: Parce que les poils m’obsèdent (rires). Non, parce que pour moi, les poils, ça reste quand même encore le grand tabou de la beauté au féminin. Dans le sens que même chez les filles, c’est un grand paradoxe à l’intérieur d’elle-même. Moi, par exemple, j’ai trois sœurs, et à 14 ans, je me suis mise à m’épiler parce que mes sœurs le faisaient. Tout le monde le faisait et jamais personne ne m’a dit: t’es pas obligée de le faire avec tes trois poils. Alors tu le fais. Et quand tu te rases pas, tu trouves ça dégueulasse.
A: Ce qui est fou, c’est que tu le fais sans te poser aucune question. Jamais tu remets le geste en question.
M: Oui exact. C’est comme une équation : tu es ado, tu as des poils, tu les enlèves. Alors que si on y pense, c’est quand même enlever une couche de puberté et une couche de protection. Au niveau hygiénique et des maladies transmissibles sexuellement, le poil aide énormément. Mais aussi, c’est de garder la femme dans son corps d’enfant. Ce qui est drôle, c’est que dans le phénomène du poil, il y a les années 70 où le poil était presque célébré – on y fait référence dans le film -, et présentement, c’est l’après vague 2000, Britney Spears, le brésilien, on s’épile toutes sans question. Même moi, dans les années 2000, je m’épilais tout et je me posais pas de question.
A: Et là tranquillement on remet tout ça en question avec des mouvements comme Maipoils.
M: Oui, il y a un retour de ça en se demandant pourquoi on a intégré le fait qu’une fille doit absolument avoir les jambes lisses alors que c’est fucking quelque chose qui pousse tout seul. C’est là pour une raison et on essaie de contrôler ça. Bien sûr qu’il y a aussi des gars qui se rasent la barbe, mais moi, que tu te rases ou que tu rases pas, c’est pas ça, l’important; c’est de juste prendre un petit peu de recul et de se poser la question pourquoi on le fait. Et de le tester aussi, c’est super challengeant.
A: Oui, on est dans la promotion du libre choix, mais l’idée c’est de remettre en question que c’est une nécessité de le faire.
M: Oui et que tu es dégueulasse si tu le fais pas. Ç’a juste pas de bon sens qu’il y ait une pression aussi grande sur quelque chose qui est aussi naturel. Mais de tout temps, les hommes et les femmes ont toujours voulu exercer une sorte de contrôle sur leur corps, mais présentement c’est revenu en force pour le poil, je trouve.
A: On a eu avec 1990-2000 des années très aseptisées au niveau du poil. On a appuyé très fort que l’esthétisation de la femme, c’était des caractéristiques enfantines : les joues rouges, les lèvres roses, le pas de poil. Là, on essaie peut-être de revenir un peu plus à la femme au naturel, avec les mouvements de diversité corporel aussi.
M: Et à l’inverse aussi, chez les gars aussi d’accepter que si les gars veulent pas de poil, veulent être plus féminins dans leur rapport au poil, ils peuvent.
A: Ça revient à cette idée de libre choix. Tout le monde a le droit de réfléchir et de choisir ce qui leur convient.
M: Et c’est là que la beauté se trouve plus peut-être.
A: Et j’imagine aussi que visuellement, c’est quand même très intéressant de choisir le poil pour représenter son féminisme.
M: Absolument et c’était aussi une rencontre. Quand je travaillais sur le film, il y avait un événement féministe qui était au départ beaucoup plus caricatural et je suis allée au Cabaret Maipoils et ça a complètement transformé ma vision. J’ai pris contact avec les filles après, je suis allée les voir et j’étais survoltée. Je leur ai dit: je suis en train d’écrire une scène, il faut que je m’inspire de ce que vous avez fait, il faut qu’on se rencontre. Je trouvais ça tellement inspirant.
A: C’est d’ailleurs une très belle scène dans le film, le cabaret, et on sent cette idée de rencontre avec la réaction de Clara.
M: Le truc aussi, c’est que c’est vraiment un mouvement de femmes en ce moment. Laurie, c’est la fille moyenne qui veut réussir et qui est un peu entre les deux, Élizabeth est la féministe qui est dans ce mouvement très fort et Clara est l’influenceuse qui est aussi un autre mouvement fort. Alors l’idée, c’était un peu de faire le portrait des différentes femmes dans la société en ce moment.
A: Et comme on fait le portrait d’un moment, Maipoils s’inscrit naturellement dans ça.
M: Oui, et après, il y a des choses qu’on n’a pas prévues, comme l’histoire de Catherine Dorion, ou il y a deux semaines, la mannequin américaine qui a pris une photo d’elle avec ses poils et les gens l’insultent et trouvent ça dégoûtant. On est encore là. Quand on écrivait la scène, on se disait que c’était peut-être un peu gros que la carrière de Clara chute parce qu’elle montre ses poils sur un tapis rouge, mais après avoir vu ces évènements-là qui se sont passés bien après le tournage, ça a confirmé que malheureusement ça se peut.
A: Justement, je veux qu’on en parle un peu de Clara parce que je trouve que c’est un beau personnage. Dans le film, on découvre d’abord le personnage de Clara Diamond à travers ses vidéos et sa « persona » d’influenceuse pour ensuite aller découvrir l’humain derrière. J’ai été un peu surprise par les rires très assumés dans la salle lors des premières apparitions de son personnage. Les gens riaient comme si on était dans la caricature alors que je trouve l’interprétation de Juliette Gosselin très complète dès le début. T’attendais-tu à cette réaction et est-ce que c’est ce que tu cherchais?
M: C’était volontaire de présenter dans les dix premières minutes le personnage de Clara comme tout le monde s’attend à ce qu’elle soit. Que le spectateur la juge ben comme il faut parce qu’on l’attend dans le détour. C’était vraiment ça, le but.
A: Donc l’idée, c’était de confronter le spectateur à sa propre réaction et à ses aprioris?
M: Oui parce qu’il y a des humains derrière ça et je trouve les gens très sévères avec eux. Moi, ce que j’aime au cinéma, c’est d’être surprise, de penser que le personnage était là et que finalement il devient autre chose. Tout est dans la nuance. Et c’était vraiment ça le but : que les gens rient d’elle et qu’ils soient obligés de remettre en question leur première impression et qu’ils la trouvent touchante. Je pense que ça arrive quand elle est au bar et qu’elle voit les deux filles danser. Elle les regarde et elle a une réalisation. Donc pour moi c’était ça, c’était complètement volontaire
A: Justement, as-tu une position très assumée par rapport au phénomène des influenceurs et à ce système de vedettariat instantané que le film critique quand même timidement? Est-ce que l’idée était volontairement de poser des questions plutôt que d’y répondre ou d’étaler ton point de vue? La grosse question : qu’est-ce que tu penses des influenceurs?
M: C’est une large question parce qu’il y a tellement de types d’influenceurs. Mon point de vue, c’était de dire: on est dans une ère où tout le monde est un peu à la recherche du like, autant le journal que Clara, que Laurie.
A: Tout le monde qui existe à travers les réseaux sociaux se trouve aspirer là-dedans. On ne peut pas l’éviter.
M: Après, ce qui me fait rire dans cette question, c’est que j’ai l’impression que les gens auraient aimé ça que mon point de vue, ce soit de dire : c’est des caves, ils sont insipides. C’est comme de dire qu’avoir un point de vue, c’est de les dénigrer.
A: Oui je comprends exactement ce que tu veux dire et c’est pour ça que je te demande cette question parce que j’ai l’impression que c’est peut-être une des choses que tu vas te faire reprocher et pourtant je pense que c’est absolument ce que tu voulais faire.
M: Oui moi, je voulais explorer ce phénomène comme si mon personnage principal était médecin dans un hôpital et je vais la suivre dans ce qu’elle est et c’est l’aventure humaine qui porte le film. Et l’humour et la comédie. Je ne suis pas en train d’étaler mon point de vue sur les médecins. Médecin ou journaliste, c’est l’humain qui m’intéresse. Je sais pas si les gens s’attendaient à ce que j’aie la grande réponse à tous nos problèmes liés aux réseaux sociaux (rires). Parce que les réseaux sociaux, j’ai lu énormément là-dessus, c’est un sujet qui me fascine, mais il y a tellement de choses reliées à ça. Il y a le temps écran, l’anxiété liée à ça, et c’est toutes des petites choses qu’on effleure dans le film. Quand le chum de Clara est sur son téléphone et elle lui dit « Babe, est-ce qu’on peut passer du temps ensemble? », tout le monde a vécu ça. Toutes les informations secrètes qui se trouvent sur nos téléphones. C’est comme une exploration autour de ça et j’ai l’impression qu’on est un peu dans un Far West et je m’inclus là-dedans. C’est un tourbillon et on n’est pas complètement conscients de ce qu’on en train de vivre et de subir. L’idée, c’était d’essayer de tracer un portrait. Regardons notre miroir et voyons ce qu’on trouve comme réponse.
A: Et comment on interagit à travers tout ça.
M: Oui et une des choses que je voulais dire avec le film, c’est qu’avec les réseaux sociaux, il y a des relations qui vont se créer, comme entre Laurie et Clara, et il y a des choses positives qui viennent de ça. C’est pas juste du négatif.
A: Il y a des choses vraies.
M: Et il y a plein de choses vides aussi. Quand Clara est seule sur son balcon et lit les commentaires de ses followers, pour moi, il y a une critique de la solitude que ça peut apporter, c’est une fille qui cherche de l’amour. Et c’est complètement absurde de voir qu’elle le cherche en communiquant avec des gens de Tokyo qui ne la connaissent pas vraiment. Mon point de vue, c’était de dire qu’au final, ce qui est peut-être le plus important de préserver, c’est nos relations entre amis, c’est le contact humain. Et les réseaux sociaux peuvent nous aider à avoir ce contact-là et c’est pour ça qu’on est aussi dépendants de ça, parce qu’on a l’impression qu’on a plein de contact humain. Mais finalement le virtuel fait que le vrai contact humain est plus rare parce qu’on passe beaucoup trop de temps là-dessus. Je ne pense pas que c’est une grande vérité parce que tout le monde est un peu conscient de ça.
A: Mais l’idée c’était quand même d’aller explorer ça.
M: Exactement et ça marche. Mon plus grand cadeau, c’est la réponse du public. On a eu une projection à Québec et on a dû arrêter le Q & A après 45 minutes parce que le film interrogeait tellement les gens dans leur rapport aux réseaux sociaux, ils se posaient plein de questions. Moi, j’aime ça aller voir un film qui ne me donne pas toutes les réponses. Et le film, au final, c’est quand même une expérience humaine entre des personnes.
A: La tagline du film, que j’aime beaucoup d’ailleurs, est « L’amitié à l’ère des likes ». Avant la projection, tu as rendu hommage à tes amies qui étaient dans la salle. Est-ce qu’il y a une grande part autobiographique dans les petits moments du film? Est-ce qu’elles vont se reconnaître dans les personnages?
M: Absolument. Mes amies découvraient le film en même temps que tout le monde. Le bouchon de champagne dans l’œil, c’est arrivé à une de mes amies pendant son stage. Quand elle a vu la scène, elle a dit: c’est comme si tu avais mis la scène comme moi je l’avais vécue. Elle toute seule dans un coin, personne s’en rend compte. L’histoire du tampon, c’est une histoire de mon amie, une histoire mythique entre nous. C’est vraiment pas la même histoire, mais l’inspiration vient de garrocher son tampon et de le chercher le lendemain.
A: C’est un peu rendre hommage à tes amies dans le fond?
M: Exact, c’est comme un hommage à nos histoires qu’on se raconte et elles se sont toutes reconnues là-dedans. Et la relation d’amitié de colocation entre Élizabeth et Laurie, c’est vraiment moi et ma meilleure amie. On a habité ensemble pendant cinq ans, on faisait tout ensemble. Et dans notre amitié, les autres amies se sont greffées et il n’y a jamais eu de jalousie. J’avais envie de montrer qu’un groupe d’amies ça se forme comme ça, de montrer des relations entre femmes qui étaient différentes du bitchage qu’on voit souvent. Élizabeth remet en question la démarche de Laurie, elle est un peu contre Clara au début, mais c’est jamais mesquin.
A: C’est plus que les deux se confrontent dans c’est quoi pour elles être une femme.
M: C’est ça et dans un moment de transformation. Souvent à vingt ans c’est là que tu trouves ta voie et que tu changes un peu. Et même si elles se chicanent, Élizabeth est quand même là pour l’anniversaire de Laurie. Pour moi, c’était important de montrer ça, dire qu’elles vont toujours rester amies malgré tout.
A: J’avoue que mes scènes préférées dans le film sont celles où l’amitié est à l’avant-plan: Laurie et Élizabeth qui dansent au bar, par exemple, au début du film, ou encore le fauteuil dans les escaliers à la fin. As-tu une scène ou un moment préféré dans le film et si oui pourquoi ce moment-là?
M: C’est sûr que j’aime vraiment la scène du divan dans les marches. On ressent tellement quelque chose à ce moment-là. C’est drôle parce que c’est une scène très puissante, mais c’est vraiment lame en même temps. C’est juste trois filles qui montent un divan dans des escaliers.
A: Oui elles ont vraiment de la misère, mais elles le font pareil. C’est ça que je trouve beau.
M: Il y a aussi la scène du souper où Clara vient pour la première fois chez Laurie et rencontre Élizabeth. Le malaise, quand elles se saoulent après, tout ce moment-là est parfait. En plus, c’est la dernière scène qu’on a fait au tournage et tout était tellement placé.
A: Encore une scène avec les trois filles réunies! Et est-ce qu’il y a un moment que tu trouves particulièrement drôle?
M: La scène qui me fait rire encore et encore, c’est la scène dans le cinéma où Chris Leroy dit ses répliques en se regardant jouer dans le film de hockey. Je me rappelle que quand j’ai écrit cette scène-là, je pleurais de rire.
A: Et c’est tellement le moment qui encapsule parfaitement ce personnage.
M: Oui c’est un peu comment présenter efficacement un personnage. Et c’est drôle parce que le film de hockey, c’est la première scène qu’on a tournée et c’était tellement absurde. Alexandre Bacon est tellement bon et comme humain, il est tellement à l’opposé de son personnage.
A: Oui il est fabuleux!
M: Il est tellement gentil, drôle, intelligent et il fait ce personnage complètement trou de cul, weird. C’est un personnage qui me fait rire à la base et son interprétation encore plus.
A: Et je pense que le fait qu’Alexandre est un être humain si merveilleux fondamentalement, ça fait en sorte qu’il donne une couche de plus à ce fameux personnage. Oui c’est un dummy, oui il est pas très avenant, mais il a quand même un charisme qui ressort un peu qui fait qu’on accepte que Laurie soit attirée vers lui.
M: Absolument et je me rappelle très bien en audition, je disais à Alexandre juste de faire le beau et il n’est pas du tout comme ça dans la vie, mais il a compris tout de suite. L’autre scène que j’aime beaucoup aussi, c’est la scène de la piscine, de ce débat entre filles et le truc complètement absurde d’avoir ce débat féministe là en bikini. Il y a quelque chose d’à la fois drôle et profond qui représente bien l’esprit du film. Tout est un peu là.
To be continued…