L’année Salinger de Philippe Falardeau

Mon année à New York (My Salinger Year), le dernier long métrage de Philippe Falardeau, sortira enfin, vendredi le 5 mars prochain, un an après sa première mondiale en ouverture de la Berlinale en février 2020 (notre critique ici). Basé sur le livre éponyme de Joanna Rakoff, il relate la vraie histoire de l’autrice (Margaret Qualley), devenue assistante de l’agente littéraire (Sigourney Weaver) de J.D Salinger, se hissant parmi le milieu littéraire new-yorkais des années 1990. Je me suis entretenu avec le réalisateur québécois afin d’en savoir plus sur la genèse du film et de prendre le pouls de sa situation, après un an d’incertitude pandémique au cinéma.

Olivier Du Ruisseau : Vous auriez eu l’idée du film après avoir vous-même lu et trouvé en librairie le livre de Joanna Rakoff. Est-ce que le film vous est venu directement en lisant, sans nécessairement l’attendre?

Philippe Falardeau : Je suis toujours, inconsciemment, à la recherche d’une idée pour un prochain film. C’était pareil quand je lisais. Puis, tous les lecteurs voient un film dans un livre. Je pense qu’en lisant, inconsciemment, j’ai vite adopté des réflexes à savoir comment j’allais transposer certains passages au cinéma. 

La matière de la littérature est beaucoup plus dense que la matière cinématographique. Mais quand tu commences à t’imaginer certaines scènes qui ne sont pas dans le livre, tu comprends qu’il y a matière à adaptation. Pour moi, ça a aussi été l’émotion ressentie à la fin du livre qui m’a lancé dans le projet. 

ODR : C’est à ce moment-là, donc, que vous avez contacté l’autrice elle-même… Comment s’est passé la rencontre avec elle? Est-ce que cela aurait changé votre rapport au personnage, à celle que vous imaginiez dans votre film?

PF : C’est la troisième fois que je fais un film basé sur quelqu’un qui est vivant. Contrairement à d’autres films où la collaboration avec les personnes concernées étaient impossibles, là, j’avais directement accès à la matière pour nourrir le film. Joanna pouvait me conseiller sur l’adaptation de certaines scènes. Cela m’a imposé des limites dans la mesure où l’auteure devait se reconnaître dans chaque scène qui n’était pas dans son livre. 

Il y une belle scène où son personnage danse, par exemple, qui n’est pas dans le livre, mais qui de son point de vue n’était pas impensable. D’autant plus que Margaret Qualley est danseuse, je me suis payé la traite!

ODR : Aviez-vous Margaret Qualley en tête pour le rôle assez vite, ou peut-être en rencontrant Rakoff en personne?

PF : Je ne m’étais pas fait d’idée sur l’actrice pour le rôle quand j’écrivais les premières versions du scénario. Puis, après un moment, j’ai rencontré Margaret à New York. D’ailleurs, elle n’était pas encore certaine de vouloir le faire, parce qu’elle préfère habituellement des rôles qui sont plus loin de qui elle est dans la vie… Alors je lui ai conseillé de lire le livre. On en a ensuite discuté, puis ça m’a amené à réécrire le scénario avec elle en tête. J’ai vraiment envie de faire cela dans le futur. Ça change tout.

ODR : Vous avez déjà dit que vous vous êtes identifié au livre parce que vous aussi vous aviez écrit à des cinéastes que vous admiriez?

PF: Oui. J’étais à la maîtrise en relation internationale à Québec et j’écoutais la Course destination monde. Sophia Borovchyk, une candidate, avait fait un film au Japon. Il était très personnel. Ce n’était pas un reportage, mais un film, au bout du monde. Ça m’avait complètement bouleversé. Je lui ai écrit une lettre, et elle m’a répondu. Avec des échanges comme celui-là, tu te rends compte que l’art crée des connexions. Tu te rends compte qu’elle t’a touché avec son film et que ta lettre l’a touchée. Cette idée que tu peux toucher ceux qui t’ont marqué est très importante. Cette idée m’a amené à poser ma candidature à la Course destination monde, et clairement cette lettre-là a tout changé dans ma vie. 

ODR : Vous auriez fait la même chose avec Bertrand Tavernier, des années plus tard. Il était une grande influence pour vous?

PF : Définitivement. Tavernier a une cinématographie fort intéressante, notamment parce qu’il a un corpus de films engagés, que ce soit sur l’école, la police, la colonisation… Il avait toujours un angle social qui me touchait beaucoup. 

J’étais en festival pour La moitié gauche du frigo et on était au même hôtel. Je lui ai laissé un petit mot, avec mon film. Je n’ai jamais eu de retour, jusqu’à ce que, alors que j’étais en tournage pour Congorama, son assistante m’appelle pour qu’on aille dîner ensemble. 

Je lui ai expliqué que je trouvais que Congorama, que j’étais en train de tourner, n’était pas assez politique. Il m’a entre autres fait réaliser qu’au cinéma on peut aussi se faire plaisir.

ODR : Comment le tournage de My Salinger Year s’inscrit dans votre rapport à votre approche à la réalisation?

PF : J’ai bien des défauts, mais pas celui de me répéter. Mes films, dans leur construction interne, sont éclectiques, mais ils le sont aussi entre eux. Ce qui ne change pas, par contre, c’est le regard humaniste sur mes sujets. Même en traitant d’un boxeur narcissique, j’essaie d’en faire un personnage attachant et fragile, comme tous mes personnages. D’ailleurs, ils font tous face à des échecs à la fin, sauf dans My Salinger Year. Malgré tout, leurs échecs leur permettent de se tourner vers quelque chose de nouveau.

ODR : Comment s’est passée la décision de sortir votre film en salles, au Québec et aux États-Unis, en ce moment, en même temps qu’en VSD?

PF : Après avoir repoussé la date de sortie en salles, à cause de la pandémie, est venue la réalité que le film devait sortir en VSD. Justement, on avait discuté, avec les producteurs, qu’on voulait sortir le film en VSD assez tôt parce qu’il se prête bien à cela. Et de toute façon on s’en va vers un modèle similaire, même en temps normal.

Par contre, je considère que même si on peut voir My Salinger Year à la maison, l’expérience en salles demeure imbattable. La photo de Sara Mishara [NDLR : On en parlait juste ici] est hallucinante, et on est toujours plus proche du personnage lorsqu’on le voit en salle, c’est évident. Je pense même à mes cadrages pour le visionnement au cinéma. 

 

D’ailleurs, le lendemain de l’entrevue, Philippe Falardeau allait au cinéma avec sa fille, pour profiter de la réouverture. Un bon nombre de québécois feront certainement de même pour aller voir son dernier film.

 

Bande-annonce originale avec sous-titres français :

Crédit photos : Métropole Distribution
Crédit photo portrait : Julie Artacho

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