Grande-Bretagne, Allemagne, Danemark et États-Unis, 2018
Note : ★★★★
Le réalisateur russe Viktor Kossakovsky a créé une expérience cinématographique enlevante avec ce documentaire immersif sans véritable trame narrative, seulement un sujet : l’eau. Avec sa caméra 96 images seconde, l’équipe du film capte la beauté, mais surtout l’angoisse que peut créer ce premier élément constituant de la planète Terre. Un film unique, qu’il faut vivre en salle.
La simplicité règne dans le documentaire Aquarela, mais cette simplicité est construite d’une manière à nous rendre prisonnier de notre siège de salle de cinéma. Si la proposition est simple, une caméra braquée sur de l’eau sous toutes ses formes (glace, liquide, glaciers, océan, ouragan, etc.), la technique derrière la conception de ce film ne l’est pas. À commencer par le choix de la caméra captant, en haute définition, 96 images par seconde (il en existe peu). L’équipe semble également s’être compliqué la vie par le choix des lieux de tournage; principalement parce qu’ils semblent avoir risqué leur vie.
Si les premières scènes sont simples et sécuritaires pour l’équipe, elles le sont moins pour les sujets : un lac glacé dans le nord de la Russie. Outre ces indications vagues (un pays), le documentaire n’a aucune narration, mise en contexte ou propos environnemental ou politique. Un aspect militant peut toutefois être déduit par le propos des rares sujets humains qui précisent que le lac russe demeure gelé moins longtemps que par le passé, mettant ainsi en danger les citoyens peu alertes. Ces premières images sont surprenantes, parce que nous essayons de trouver un propos ou un discours à ce documentaire. Mais la technique nous enveloppera rapidement. Par un montage habile, Viktor Kossakovsky créera une grande tension lorsque le spectateur comprendra ce que les protagonistes font sur cette eau glacée avec leur véhicule utilitaire, leurs troncs d’arbre, perches et cordes. Parce que le mystère ne durera pas longtemps : ils sont à la pêche aux voitures. La tension s’installe parce que la glace est fragile, fragile et donc dangereuse. Kossakovsky est sans compromis, nous montrant une opération de secours qui échoue à sauver une des victimes, prisonnière de la glace. Le travail sonore est tout aussi méticuleux : des sons captés sur les lieux de tournage à la musique rock métal mélangée à une musique traditionnelle russe.
De cette tension quasi insoutenable, Aquarela nous transporte aux magnifiques glaciers du Groenland, un peu pour nous permettre de reprendre notre souffle. Les images sont d’une grande beauté, des gros plans de glace sous l’eau, à ces géants blancs flottant dans les énormes fjords jusqu’aux bulles d’air coincées sous la glace. Pour contrebalancer cette splendeur visuelle, Kossakovsky créera une tension au niveau sonore en nous faisant entendre des bris de glacier et des craquements de glace. Ces sons alterneront entre des bruits violents et des bruits plus calmes nous rappelant un carillon de bambou. Progressivement, cette beauté pour nos yeux sera envahie par ces sons inquiétants, la transformant en quelque chose d’angoissant. Le film progressera des sons naturels à de la musique métal sur une danse des glaces qui montent et descendent à la surface de l’eau (visuellement fascinant). Si les plans sous l’eau ne sont pas angoissants en apparence, ils peuvent le devenir lorsque l’on pense à la manière dont l’équipe les a filmés; les glaces étant une constante menace. Mais le plus effrayant de cette partie du film demeure ces bruits d’explosion. Encore une fois par le montage, le documentariste crée une tension chez son spectateur en nous montrant un petit cours d’eau à la surface d’un glacier (magnifiques images) qu’il perturbe par le bruit d’une glace qui se détache d’un glacier. Kossakovsky sous-entend les dangers de ces géants blancs en nous montrant un bateau tournant en rond, à plusieurs dizaines de mètres de sa caméra, sans conducteur. L’absence d’information ajoute ici à la tension.
De cette tension en eaux groenlandaises, on passe à un plan aérien de dauphins sautant joyeusement dans l’océan. Introduction sympathique à la prochaine portion du film : un voilier au cœur d’un océan. Cette troisième partie ne diffère pas des deux précédentes : à la fois d’une grande beauté et d’une grande angoisse pour le spectateur. À bord d’un voilier, Kossakovsky braque sa caméra sur d’énormes vagues. Il esthétisera ses plans par des ralentis, un noir et blanc, un noir et quasi jaune. Avec ces légères modifications, il fait ressortir une beauté dans ses images qui auraient pu paraître répétitives. Tout comme les deux autres parties, il installe une montée dramatique. Des vagues impressionnantes, il passe à une tempête qui nous pousse à nous demander comment est-il possible que l’embarcation ait survécu; les vagues envahissant tout l’écran, nous submergeant par la même occasion.
De cet océan violent, il nous transporte sous l’eau avec les pattes d’un cheval se promenant au soleil dans une ville inondée. Dans cette troisième partie, le réalisateur explore les dégâts que peut causer l’eau, d’une part par sa force (il filme des rapides, des chutes, le débit d’eau d’un barrage), mais également par son mariage avec le vent. Pour cette dernière partie, il a risqué sa sécurité en filmant les rues de Miami en plein ouragan. Des palmiers tombant en pleine rue, il maintient sa caméra à bord d’un véhicule roulant à basse vitesse. Une fois de plus, il coupera l’angoisse par des images d’une grande beauté en nous transportant à la plus célèbre des chutes du Vénézuela. Partie plus courte, moins tendue, mais tout aussi magnifique.
Tout au long de Aquarela, la caméra se positionne partout, partout sur la planète, partout autour de son sujet : dans, sur, au-dessus, sous. Viktor Kossakovsky explore son sujet, au risque de sa vie. Le film a été projeté à la 75e édition de la Mostra de Venise à l’automne 2018, festival qui aime habituellement sélectionner des films qui sortent un peu de la norme cinématographique, le film de Kossakovsky est exactement cela. Aquarela doit être vécu en salle, que ce soit en projection 48 images par seconde (au Cinéma Moderne) ou dans le standard 24 images (au Cinéma du Parc). Faites vite! C’est une expérience anxiogène, mais c’est une expérience unique.
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