Royaume-Uni, 2022
★★★★★
Le premier long-métrage de la cinéaste écossaise Charlotte Wells, Aftersun est une œuvre magnifiquement réalisée qui s’affranchit complètement de tout genre cinématographique. La réalité parfois tendre, parfois déchirante que la réalisatrice et scénariste nous donne à voir, est celle d’un collage puisé de quelques réminiscences de sa jeunesse. Nouvellement récipiendaire de la Louve d’or du meilleur long métrage du Festival du nouveau cinéma (FNC), Aftersun dépeint de manière crue le poids des souvenirs avec une résonance si épineuse qu’elle vous entaillera le cœur au passage. Et votre guérison se fera longue, bien après votre sortie du cinéma. Voilà qui, combiné à la brillance du jeu d’acteurs, est un film qui frappe directement là où ça bouleverse.
Les moments parfaits
L’intrigue met en scène un jeune père divorcé, Calum (Paul Mescal) et sa fille Sophie de 11 ans (Frankie Corio) qui passent leurs vacances dans un « tout-inclus » en Turquie vers la fin des années 90. Calum filme quelques souvenirs de ce voyage à l’aide de sa Panasonic MiniDV, puis c’est rapidement Sophie qui s’en empare. Les images capturées du point de vue des personnages touchent par leur authenticité qui semble donner à voir le réel. Elles transpirent d’innocence et dépeignent avec beauté la légèreté du moment présent.
Calum et Sophie, se reposent, mangent, jouent au billard, boivent, se baignent, et se reposent encore. Bien qu’atmosphérique, c’est loin d’être un film contemplatif. Si Calum est rongé par une santé mentale cafardeuse, Sophie, elle navigue à travers les émotions insaisissables qui émergent lorsqu’on fait les choses pour la toute première fois. Elle envie une sexualité qu’elle ne comprend pas très bien encore.
Sans ne jamais prendre le spectateur par la main, Charlotte Wells brosse un tableau d’une précision hors pair de cette période charnière entre l’enfance et l’adolescente. Puis il y a une constante menace qui guette, il est toutefois impossible de bien la cerner avant la fin du film. C’est précisément là que se trouve le génie de la plume de Charlotte Wells. Ces vacances, bien qu’idylliques, laissent présager une catastrophe imminente. Ou pire encore : le caractère éphémère des moments parfaits.
Réorganiser les fragments
Comme il est impossible d’anticiper comment certains souvenirs évoluent après le départ d’un être cher, Charlotte Wells crée un univers cinématographique intime pour nous faire vivre la douleur de ses personnages. Elle nous invite à nous demander s’il est possible de se réconcilier avec ceux qui sont partis, lorsqu’il ne reste d’eux qu’un amalgame vertigineux de souvenirs flous.
La force d’Aftersun réside aussi dans les échanges entre les deux personnages. Une telle complicité ne se feint pas. Les dialogues sculptés dans les non-dits d’une poésie de tous les jours laissent entrevoir une vulnérabilité déconcertante. Il n’y a pas plus doux que de voir Sophie et Calum complices dans un monde aussi incertain. Le film aussitôt commencé, on s’attache viscéralement aux personnages. Il est facile de s’abandonner dans cette histoire si bien ficelée qui sait tenir en haleine sans avoir recours à de grands artifices.
Voir Aftersun c’est un peu comme feuilleter un album de photos de famille. C’est un peu comme prendre le temps d’écouter un vieux VHS d’une époque plus simple. C’est une expérience qui simule le sentiment de rêvasser à une journée plus belle, plus paisible que celle d’aujourd’hui. Comme si nous avions tous en banque, enfouis dans un coin perdu de notre esprit, ce moment vaporeux de douceur. Aftersun nous avale, puis nous recrache. C’est une œuvre qui porte bien son nom puisque c’est un véritable baume sur le cœur qui nous transporte à travers le temps et l’espace avec une familiarité étrangement personnelle.
Bande-annonce :
Durée : 1h36
Crédit photos : BBC Films