Le pharaon, le sauvage et la princesse : Contes pour rêver

France, Belgique, 2022
Note : ★★★★

Il est malheureux de voir des gens tenir les films pour enfants à un moindre niveau critique à cause de leur public culturellement moins développé. Cette manière d’interpréter les divertissements pour enfants revient à les traiter comme l’ultime consommateur, qui ne remet pas en question ce qu’il regarde et qui se contente de dévorer des yeux les images colorées qu’on lui présente. Les cinéastes créant des œuvres pour les plus jeunes se doivent donc de prendre ces derniers au sérieux, que ce soit la forme ou le fond. Face à l’imbécilité des Minions ou au récent Pinocchio de Robert Zemeckis, certains projets recevant beaucoup moins de visibilité font pourtant preuve d’une finesse bien plus grande que ces mastodontes du box-office, parmi lesquels figure le nouveau projet de Michel Ocelot, Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse.

Récits et images du monde

L’introduction met tout de suite dans l’ambiance : dans un décor contemporain rappelant un champ de construction, une foule attend l’arrivée de la conteuse, réputée pour ses histoires incroyables. Elle entre finalement en scène et, en s’abreuvant des idées de la foule, développe trois histoires. La première porte sur l’invasion pacifique du royaume d’Égypte par un prince du Soudan, la deuxième montre l’amitié d’un jeune noble et d’un prisonnier dans une France médiévale, et la troisième met en scène un prince marocain en exil devenant vendeur de beignets. Ce format anthologique qu’affectionne particulièrement le réalisateur (quelques-uns de ses films le sont également, comme Les contes de la nuit ou Princes et Princesses) lui donne la liberté de traverser le monde et l’histoire de manière beaucoup plus libre qu’une narration classique. 

Représenter les contes du monde a toujours été l’une des forces du cinéma d’Ocelot (Kirikou et la sorcière, son premier long métrage est, par exemple, inspiré des contes d’Afrique de l’Ouest), et la pluralité des références lui permet ici de créer des images absolument envoûtantes. La première histoire s’inspire des icônes de l’Égypte antique dans ses designs marqués par une perspective en deux dimensions et ses dieux aux corps anthropomorphiques; la troisième, se passant au Maroc, donne lieu à une richesse architecturale absolument époustouflante et des costumes riches en parures inspirés par le monde arabe. La deuxième histoire se passe en France, en Auvergne, enlevant toute la couleur de ses personnages. Ces derniers deviennent des figures noires presque exclusivement montrées de profil, un procédé qu’Ocelot a utilisé tout au long de sa carrière qui rappelle les techniques d’animation de Lotte Reiniger (Les aventures du Prince Ahmed). La beauté de ce type d’animation permet de donner au spectateur la possibilité de s’imaginer les personnages comme il le souhaite, et ce à partir d’outils aussi simples qu’une silhouette et une voix. Reiniger a peaufiné l’outil en termes de technique, Ocelot l’a fait pour faire travailler l’imagination de son public le plus possible.

Belles histoires, mais vieilles histoires

Si la richesse des images fait rêver, les histoires de chaque conte prennent cependant une structure un peu répétitive. Les trois protagonistes sont en effet de jeunes hommes issus de la royauté, en quête d’amour et luttant contre l’ordre conservateur en contrôle. Ocelot joue tout de même assez avec les variables pour ne pas rendre ces redondances gênantes ; par exemple, le noble de la deuxième histoire se rebelle contre son propre père, et l’amour qu’il trouve sert davantage à souligner la fin heureuse que de vecteur narratif comme les deux autres. La troisième, peut-être la plus rafraîchissante des trois, critique même ouvertement le monde restrictif de la noblesse en faveur de la liberté offerte par une vie menée à faire ce qu’on aime. Il aurait simplement été pertinent de sortir des clichés de contes classiques pour mettre en scène des perspectives morales rarement montrées, en particulier dans des films pour enfants. Tant qu’à faire rêver petits et grands, autant le faire par des moyens plus neufs que des princes et des princesses!

Ces points sont heureusement superficiels face au plaisir que provoquent les histoires de Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse. Les différentes propositions visuelles en font l’un des films les plus riches qui aient atterri sur nos écrans cette année, et les histoires, si elles sont un peu vieux jeu, livrent tout de même des morales qui changent des narrations convenues attribuées habituellement aux films pour enfants. Michel Ocelot fait partie de ce petit groupe de réalisateurs qui savent faire des films qui plaisent à la fois aux jeunes et aux adultes, pour peu que le spectateur ait envie de mettre son quotidien surchargé sur pause pour se permettre de réfléchir et rêver. Un tel savoir-faire fait du bien de nos jours. Pour certains, il peut même être salutaire.

Bande annonce originale française:

Durée : 1h22
Crédit photos : Nord-Ouest

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