Saint-Martyrs-des-Damnés : Pionnier du genre au Québec

Québec, 2005                                                                                                                                                                            ★★★★1/2

Après La destination monde (1997-98), des vidéoclips et quelques courts-métrages, Robin Aubert réalise son premier film Saint-Martyrs-des-Damnés en 2005, alors que le cinéma de genre au Québec est loin de jouir de l’intérêt qu’il suscite aujourd’hui. S’il passe à la trappe pour plusieurs, ne faisant que 37 000 entrées en salle, il devient culte pour les amateurs de fantastique et d’horreur bis. Sans être parfait, le long-métrage hit the spot avec une intrigue qui garde en haleine et des qualités techniques indéniables au service d’une ambiance glauque participant à la facture du film.

 

Travaillant dans un petit journal à sensation, Flavien (François Chénier) est envoyé avec son collègue photographe Armand (Patrice Robitaille) pour couvrir une série de mystérieuses disparitions dans le village rural de (vous l’aurez deviné!) Saint-Martyrs-des-Damnés. Sur place, les deux hommes commencent leur enquête, mais rapidement, Armand disparaît. Flavien part alors à la recherche de son ami et découvre peu à peu de sombres secrets sur le village … et sur ses propres origines.

Malgré un mélange de styles qui pourrait paraître brouillon, allant du thriller psychologique, à la science-fiction, à l’horreur jusqu’à un peu de romance, le scénario reste fidèle à son intrigue principale tout en proposant des péripéties inattendues qui happent le spectateur à chaque détour. On se laisse prendre au jeu alors qu’on tente de collecter les menus indices mis sur le chemin de Flavien afin de résoudre l’enquête avec lui. Pourtant, rien ne peut nous préparer à la dernière demi-heure et à la fin qui retourne le cerveau. Si certains la trouvent incompréhensible, d’autres seront fans de cette proposition assumée de la part du réalisateur. La palette de personnages hauts en couleur, ainsi que leurs interprètes talentueux, participent à rendre cet univers captivant. Des jumelles lugubres tenancières d’une auberge, un garagiste masqué, une serveuse quarantenaire en sous-vêtement rose, un maire despotique, une mariée fantomatique et plus encore, tous contraints au silence par une affaire sordide. Le film propose des scènes fortes en émotion, dont plusieurs se déroulent lors d’interactions entre Flavien et ces personnages au comportement délicieusement bizarres. Dans son rôle de scénariste, Aubert réussit avec brio à imbriquer tous ces éléments sortis de son inconscient, pour en faire un récit cohérent et qui arrive, de surcroît, à aborder des thèmes profonds, comme la quête identitaire, l’amour, la dualité de notre morale et les dérives de la médecine moderne.

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S’ajoute à cela l’apport d’excellents collaborateurs, notamment aux costumes, aux décors, au son et au montage. On ressent l’attention portée aux détails, rendant cet univers d’autant plus cohérent et crédible. Il faut particulièrement souligner le travail d’Yves Desrosiers à la musique et celui de Steve Asselin à la photographie pour laquelle ce dernier a reçu son premier prix en carrière lors de la 8e édition des Prix Jutra. Un prix hautement mérité puisque chaque plan est bien exécuté et inventif avec une attention particulière portée au cadre, à la lumière et au traitement de la couleur. Par exemple, on peut citer la séquence du rêve de Flavien, jouissant d’une combinaison d’effets visuels qui distordent la réalité et marque les esprits. Le directeur photo sait adapter avec agilité son traitement de l’image au contenu et à l’atmosphère de certaines séquences, notamment lors de magnifiques scènes d’amour, ce qui démontre bien sa compréhension globale du récit. Pour ce qui est de Desrosiers, son travail a aussi été salué par une nomination pour l’Album Bande sonore original à l’ADISQ en 2006. Une guitare lancinante aux sonorités westerns et des sons métalliques enveloppent le film et nous plongent immédiatement dans un univers inquiétant. Le travail audacieux de tous les membres de l’équipe a définitivement contribué au succès de cet ovni cinématographique.

L’intérêt du premier Aubert se traduit également par la place notable qu’il prend dans le cinéma québécois et dans la cinématographie du réalisateur. D’abord, il faut se rappeler qu’au moment de sa sortie, en 2005, les exemples de film de genre au Québec sont très rares. Il y a bien eu Sur le Seuil réalisé par Éric Tessier (2003), peut-être La loi du cochon d’Érik Canuel (2002) et La peau blanche de Joël Champetier (2004) qui touchent à l’horreur et au gore, mais sans plus. Saint-Martyrs-des-Damnés fait définitivement partie des premiers à assumer le côté bis de l’horreur et du fantastique, prouvant aux cinéastes d’ici qu’on peut laisser aller sa créativité et mélanger tous les styles avec un scénario sans compromis. Le film a aussi permis d’initier les spectateurs québécois au genre, de se familiariser avec ses codes et de développer leur curiosité. Des productions comme Les sept jours du Talion de Podz (2010), Turbo Kid de RKSS (2015) ou encore Vampire humaniste cherche suicidaire consentant de Ariane Louis-Seize (2023) ont certainement pu trouver leur public grâce au travail cumulé de tous ces cinéastes, dont Robin Aubert, qui ont peu à peu ouvert les champs des possibles. Finalement, le long-métrage a bien évidemment eu un impact sur le propre parcours de son réalisateur, qui a pu se faire les dents avant d’attaquer son second film de genre, Les Affamés, qui a connu un succès populaire et critique en 2017. Dans les deux œuvres, on retrouve la même ambiance mystérieuse et une absence de réponses claires quant au sens du film, mais cette fois avec un récit moins échevelé, plus circonscrit dans les styles et les intrigues, prouvant bien l’évolution du cinéaste dans son art. Ce succès n’aurait pas pu être aussi brillant sans le travail préalablement fait sur Saint-Martyrs-des-Damnés. Bien heureusement, ce premier long-métrage n’a rien perdu de ses grandes qualités de thriller et, comme le réalisateur le souligne lui-même, il se bonifie toujours des interprétations des spectateurs. Et vous, qu’est-ce ce que vous y verrez? Bon visionnement!

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Durée : 1h57
Crédit photos : Max Films

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