Night god : le dérangeant film du Kazakhstan

Kazakhstan, 2018
Note: ★★ ½

À la fois magnifique, étrange et dérangeant, le nouveau film du cinéaste kazakh Adilkhan Yerzhanov est un objet unique qui s’incruste en nous longtemps après le visionnement. Présenté en première nord-américaine à Fantasia, Night God (de son titre original Nochnoy Bog) était le premier film du Kazakhstan jamais présenté dans ce festival qui a débuté en 1999.

Connu pour certains de ses films ayant été à Cannes (La tendre indifférence du monde, The Owners), le cinéaste se tourne cette fois-ci vers le fantastique. Dans ce décor post-apocalyptique, un père et sa fille arrivent dans cette nouvelle ville, lentement recouverte d’une fine couche de neige. Les lieux sont sombres, la ville est brisée, les néons des commerces clignotent et rendent cette ville encore plus lugubre. Peu après qu’un narrateur nous apprenne l’imminence de l’apocalypse et la présence des dieux de la nuit que tout le monde craint, le père se retrouve devant un barrage d’hommes qui semblent décider du sort des étrangers. Il se retrouve à devoir faire signer un papier pour qu’il puisse rester à cet endroit, mais les échanges et rencontres qu’il obtient sont de plus en plus durs et pessimistes. Lui et sa fille devront faire face au jugement de ces hommes qui décident, ces hommes qui semblent venir d’une puissance ou un d’un ordre beaucoup plus grand.

Le film d’Adilkhan Yerzhanov déroute d’abord par son immense lenteur. La caméra, presque toujours sur une sorte de stabilisateur modeste, circule dans ces décors à la fois artistiques et originaux, mais qui semblent avoir été fait à la hâte (ou est-ce un désir du réalisateur?). Les dialogues y sont très rares et lorsqu’ils sont présents, ils sont marqués par la mélancolie et la morosité. Les personnages bougent lentement et la mise en scène se rapproche davantage du théâtre que du cinéma. Tous ces éléments combinés créent une étrange atmosphère qui peut se traduire chez le spectateur par un mélange de curiosité et d’ennui. De plus, le récit est ponctué d’une multitude de plans et de segments symboliques, sans que cela nous aide à comprendre la quête des personnages. Ces symboles parfois religieux, parfois mythologiques (comme cette tête de sculpture antique coupée qui tourne sur elle-même, accrochée par une corde et sur laquelle coule un filet d’eau), signifient clairement un message sous-jacent que le spectateur attentif pourra s’amuser à traduire. Je n’ai malheureusement pas la réponse à ce film étrange qui m’a demandé un effort particulier pour rester éveillé. Ce que j’en comprends, c’est que le film semble poser un questionnement sur l’absurdité de notre monde. L’absurdité qui peut émaner des guerres et de leur déshumanisation, du non-sens des règles et de la bureaucratie, des frontières terrestres mais aussi celles entre les hommes. Les contradictions sont grandes et sont soulignées par le narrateur qui nous dit à un moment dans le film (je paraphrase) : « Au début, ils se battaient pour la richesse et pour les pauvres, ensuite, ils se sont retournés contre les pauvres, et puis après, ils se battaient encore mais ne savaient plus pourquoi… ». Cette citation montre bien l’incertitude d’un monde absurde et brisé où les hommes se battent non pas pour défendre quelque chose, mais simplement parce qu’ils se sont toujours battus.

Night God tire sa force dans sa direction photo ainsi que dans son ambiance sonore. Chaque scène est présentée comme une toile, une peinture gothique ou expressionniste. L’éclairage du film, profondément théâtral, est en constante mutation. Les lumières fluctuent, s’estompent puis s’éclaircissent. Et même si les décors ne sont pas crédibles dans leur recherche du réalisme, ils sont néanmoins très expressifs et texturés. La pluie vient constamment créer des reflets et des accumulations, ce qui permet au réalisateur de faire des plans par la réflexion de l’eau. Et cette eau qui coule, on l’entend très bien. Comme on entend aussi les pas qui craquent, les vêtements qui frottent, et cette constante résonance en basses fréquences qui participe à un sentiment d’angoisse.

Night God, le dernier film d’Adilkhan Yerzhanov est un objet très singulier. Un film qui nous laisse avec un goût amer et une tonne de questions. Mais après tout, n’est-ce pas ce que l’on aime du cinéma!?

Durée: 1h50

Ce film a été vu dans le cadre du Festival international de films Fantasia.

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