Moulin Rouge : L’amour baroque

Australie, États-Unis, 2001
Note : ★★★ ½

Baz Luhrmann, connu pour ses adaptations de Romeo + Juliet et The Great Gatsby, assume, dans Moulin Rouge, une esthétique kitsch et exubérante qui s’aligne dans l’héritage du baroque.

Moulin Rouge est une comédie musicale réalisée par le cinéaste australien Baz Luhrmann qui met en vedette Nicole Kidman et Ewan McGregor (Obi-Wan Kenobi y chante à merveille). S’installant confortablement dans les rues de Paris du début du XXe siècle, plus précisément dans le 18e arrondissement qui abrite le fameux cabaret, le Moulin Rouge, le film raconte l’improbable et tragique histoire d’un jeune poète, Christian, qui tombe amoureux d’une courtisane, Satine. Celle-ci est promise au Duc qui finance le spectacle écrit par son amant, où elle tient le rôle principal. L’amour interdit entre les deux protagonistes est mis en abîme afin d’être protégé de l’avarice des riches et immortalisé par l’art. Le film met également en scène des figures artistiques connues de l’époque telles que Toulouse-Lautrec. Christian se joint aux artistes de la révolution bohémienne qui l’inspirent et l’entraînent à prendre de l’absinthe ainsi qu’à vivre du principe fondamental « Freedom, beauty, truth and love ».

Bien qu’il s’agisse d’une pièce d’époque, le film assume son anachronisme musical. Alors que l’histoire se déroule à l’entrée du XXe siècle, la musique choisie date plutôt des années 1970, 1980 et 1990 avec une bande sonore qui comprend des morceaux d’Elton John, The Police, David Bowie et Nirvana. Bien que le contexte historique de l’œuvre et de sa bande sonore diverge, le rapprochement peut donner à penser un état socioculturel similaire de perdition existentielle, de refus sociétal et de marginalisation présent chez les artistes des deux périodes.

Le choix spacial et la nature de l’histoire sont aussi diamétralement opposés. Alors que le 18e arrondissement est considéré comme un des milieux non recommandés de Paris, les thèmes véhiculés par Moulin Rouge, tels que la poursuite de l’amour, de ses rêves, de la beauté et de la pureté donnent à voir une romantisation de l’espace. Le film harmonise donc la décadence des lieux et de l’époque aux aspirations pures des personnages. Ainsi, alors que Paris est entièrement plongée dans l’obscurité, un seul endroit brille toujours sous la lune et la pluie des chapeaux des gentilshommes qui fréquentent le cabaret du Moulin Rouge.

L’intrigue même du film, l’amour impossible entre un poète et une courtisane, est fondamentalement baroque dans ses oppositions. Les personnages impliqués ici ont des conceptions et des expériences assez différentes. Consciente de la dure réalité d’un monde capitaliste, Satine aspire à l’argent et à la survie alors que Christian cherche désespérément l’amour et embrasse la vie bohémienne, aussi misérable soit-elle. Le récit est raconté a posteriori par l’écrivain. L’alternance entre des scènes, tantôt dans le cabaret, tantôt dans le présent, sont fort contrastées par les ambiances chaleureuses des costumes, des personnages et des décors pittoresques et lumineux. En comparaison, le narrateur est seul dans l’obscurité et les couleurs sont froides. Déjà mis en abîme, une première fois, le protagoniste vit et raconte son amour avec la courtisane à travers « Spectaculaire, Spectaculaire » la pièce qu’il écrit sur une relation interdite entre un pauvre joueur de sitar et une femme de joie promise à un riche maharaja. La fonction que prennent les personnages du film dans la pièce crée du mouvement entre les deux instances narratives. La distance entre l’histoire racontée par le film et l’histoire créée dans la diégèse varient jusqu’à atteindre le point de fusion. Tout ça sans mentionner qu’il s’agit en fait d’un discours premièrement rapporté, atteignant donc trois différents degrés narratifs. Mouvement et surcharge, comme se voudrait une œuvre « baroquienne ».

Chaque aspect formel du long-métrage est poussé au maximum de son potentiel d’artifice et d’expression. L’espace est prédominé par le rouge des rideaux de velours, les lumières dorées et les costumes surornementés des personnages. Ceux-ci sont grandioses et surjouent d’une manière qui leur rend grâce. Les décors sont saturés et le mouvement se trouve partout dans des cadres aux compositions chargées où l’œil tente de se poser, en vain. Le montage donne une bienséance à ces lignes. Dans une effervescence de plans rapidement enchaînés qui bonifient des chorégraphies ambitieuses, le dynamisme de l’image donne l’impression que les caméras regardent partout à la fois.

Le film utilise également ces juxtapositions de sens, créant parfois des incompréhensions, à des fins humoristiques, plaisantes à regarder. Ainsi, la courtisane, s’attendant à rencontrer un duc et à le charmer pour qu’il finance son spectacle, se retrouve devant l’écrivain qui veut lui confesser son amour et l’incompréhension mutuelle et les intentions divergeantes mènent à des moments embarrassants et cocasses. Les personnages empilent les répliques et finissent toutefois par trouver l’harmonie dans cette polysémie, sous le regard amusé du spectateur. 

Considérant la tournure des événements, Moulin Rouge est une tragédie racontée de façon burlesque et exubérante. Baz Lurhmann relève ici une esthétique baroque qui transcende l’aspect audiovisuel. Bien que certains critiquent le cinéaste, trouvant son travail épidermique, il serait injuste de négliger le potentiel sémantique présent dans son approche. Sous les costumes exagérés, les décors inconcevables, les répliques grandioses et les scènes kitchs assumées, l’artiste offre un espace de jeu et de sens aux acteurs ainsi qu’à l’histoire. Tout au bénéfice du film qui arrive à toucher l’intouchable et à trouver l’équilibre entre les paillettes et les regards.

Bande-annonce originale : https://youtu.be/LVLjp3_MQIw

Durée : 2h07
Crédit photos : 20th Century Fox

Visionnez la bande-annnonce du prochain film de Baz Lhurmann, ELVIS, ici.

 

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