Hong Kong, 1992
Note : ★★★★
Un salon de thé grouillant de personnages peu recommandables, une tension qui s’installe lentement, des regards évocateurs qui se croisent, les deux clans qui commencent à se discerner, une cage d’oiseau tombée aux pieds du protagoniste, des armes qui voltigent dans l’air. S’en suivent alors 10 minutes d’un maelström irréel et cinétique de carnage sanglant ponctué d’échanges de balles empilant les morts et repeignant les murs du salon de thé à l’hémoglobine. Mesdames et messieurs, dites bonjour à Hard Boiled qui fait partie du monde merveilleux des films de catégorie III de Hong Kong, où l’on trouve les meilleurs et les pires excès de l’offre cinématographique d’exploitation des années 90.
Je suis admiratif du cinéma hongkongais provenant de la scabreuse et scandaleuse catégorie III aussi éclectique, bizarre et excentrique soit-elle. De ce fait, la subjectivité est de mise et spécialement pour John Woo, ponte du cinéma d’action qui a popularisé les gunfight sous toutes ses formes. En outre, parce que j’aime les films d’action qui ne se restreignent pas, où l’amour des balles et des chargeurs infinis transpire dans l’image sentant l’alcool et le cigare bon marché. Il est intéressant de souligner aussi que derrière le style prétendu bourrin de ces films, une grille de lecture cinématographique se cache. Les scènes d’action, spécifiquement chez Woo, servent à faire avancer l’histoire, mais aussi à traduire des sentiments forts et nobles malgré leur désuétude.
Une opposition symétrique
Il existe dans Hard Boiled (comme dans les autres films de Woo d’ailleurs) une forme de romantisme mélancolique appuyé par la musique jazz. Ce tapis sonore donne à l’œuvre un côté onirique. La scène d’ouverture dans le club de jazz nous fait directement plonger dans l’ambiance du film. Une scène soignée qui introduit aussi le protagoniste « Tequila » Yuen (Chow Yun-Fat), policier aux méthodes extrêmes qui enquête sur un immense trafic d’armes mené par Johnny (Antony Wong Chau-sang). Au cours de ses investigations (comprenez par là qu’il crible plus ses ennemis de balles que ses dossiers d’agrafes), il fait à son insu la rencontre de Tony (alias Alan) (Tony Leung Chiu-Wai), un policier infiltré dans le cartel. En effet, plus qu’une histoire simpliste, Woo nous offre une forme de dualité. Un développement scénaristique qui se concentre sur les points communs de Tequila et Tony. Il illustre l’ambivalence de l’enquête avec Tequila d’un côté de la loi et Tony de l’autre, mais peu de choses séparent les deux hommes en termes d’approche et d’objectif final. Ils sont finalement les deux côtés d’une même pièce. Tout au long du métrage, cette dualité est la toile de fond de l’histoire.
L’une des particularités des personnages principaux de Woo est qu’ils ne sont pas manichéens. Ils doutent (concernant des méthodes « trop douces »), se trompent, se perdent (à qui faire confiance?) et se questionnent (sur leur identité propre). Tequila trouve un peu de réconfort auprès d’un barman (caméo de Woo) au club de jazz en essayant de se remettre la tête à l’endroit. Tony s’exile dans son bateau, loin de la violence en faisant des origamis. Il en résulte des personnages bien plus complexes et attachants. Ils doivent avancer avec leurs faiblesses, tout en « terminant leur job ». Les « méchants » ne dérogent pas à la règle, par exemple M. Hoi (Kwan Hoi San), avec sa sagesse et sa relation paternelle envers Tony, ou encore, Mad Dog (Philip Kwok) qui refuse de tuer des innocents gratuitement.
La générosité de l’action
Le long métrage n’hésite pas à s’adonner à la démesure, faisant preuve d’une grande générosité en termes de divertissement et d’action. En atteste, lors du dernier tiers du film, ultime moment, on découvre le théâtre des pires hostilités : l’hôpital. Nous serons au cœur de celui-ci pendant une heure, et ce, en compagnie de tous les personnages de l’intrigue. On retrouve un plan-séquence où les deux compères vont dégommer des mafieux, tout en prenant l’ascenseur. Il s’agit d’une portée dramatique arrimée à l’action : les deux policiers passent d’un état d’esprit à l’autre le temps de changer d’étage. L’action est intense et hautement immersive. Savamment maîtrisé, en terme rythmique et parfaitement lisible avec des plans larges ultras percutants, l’ensemble permet au spectateur de bénéficier au maximum de l’expérience proposée.
Pour l’amour des armes… Et du sang
Dans la lignée de la cinématographie de John Woo, Hard Boiled est un condensé d’inventivité scénique et cinématographique. Les deux heures de film restent cadencées entre moments forts et temps calmes. Le long métrage a bien vieilli et possède toujours une cote d’amour palpable. Je terminerai par une citation du réalisateur : « Je n’ai jamais eu l’intention dans aucun de mes films de vendre de la violence ou de la glorifier. Même dans les séquences d’action les plus intenses de mes films, il existe un message sur la violence perverse. »
***
Durée : 2h08
Crédit photos : Golden Princess Film Production, Milestone Pictures