Italie, France, États-Unis et Brésil, 2017
★★★★★
En très peu d’années, Call Me by Your Name a réussi à devenir un classique incontournable du cinéma. Ce n’est pas un accomplissement banal pour un film qui est sorti la même année que tant d’autres oeuvres ayant laissé leur marque, tels que Lady Bird, Get Out, The Shape of Water et Phantom Thread. Adaptation du roman éponyme d’André Aciman, Call Me by your Name ne manque aucune opportunité de rendre hommage à l’ampleur des sentiments, mettant autant d’importance sur l’extase que sur la douleur. Chaque scène est pertinente, sculptée à la perfection; on se retrouve immergé dans un monde ensoleillé, quelque part au Nord de l’Italie des années 1980, où la musique et les livres nourrissent une amitié unique qui deviendra vite un amour profond.
Un univers magique
L’Italie de Call Me by Your Name est un monde à part. Même avant que Oliver (Armie Hammer) ne mette les pieds dans le monde d’Elio (Timothée Chalamet), on sent qu’il y a quelque chose d’unique dans l’air. Certaines histoires d’amour sanctifient l’espace ennuyeux où elles se déroulent à travers la tendresse de leurs protagonistes, mais pas celle-ci. L’Italie est si présente, si enivrante avec ses arbres fruitiers et ses chemins de campagne, qu’elle devient un personnage à part entière. La relation des deux garçons est suspendue dans cet univers magique. On se laisse bercer par le charme et la perfection de la cinématographie, on rêve aux vacances, à un monde plus doux et simple dans lequel un amour aussi pur que celui d’Elio et de Oliver est possible.
Cette atmosphère est également bâtie par la bande sonore. C’est un harmonieux mélange de pièces classiques pour piano et de chansons pop des années 1980; alors que ces dernières servent de références quant au contexte historique et ajoutent un peu de punch, les mélodies au piano englobent les dimensions émotives du film. La plupart des pièces pour piano viennent de compositeurs contemporains, mais on ne saurait pas nécessairement le dire en les écoutant. C’est ce caractère intemporel qui fait tout leur charme et permet d’ajouter une couche importante au message du film : les temps changent, mais la nature des sentiments restera toujours la même à travers les générations. L’amour est aussi éternel qu’une douce mélodie classique.
Les seuls morceaux écrits spécialement pour le film, tous les deux par le brillant Sufjan Stevens, ne pourraient pas mieux synthétiser cette idée. Leur dimension instrumentale illustre parfaitement les sentiments présents des personnages, tandis que les paroles font parfois référence à la mythologie grecque ou au Tanakh, mettant l’accent sur la nature cyclique de l’amour à travers l’histoire de l’humanité.
Une de ces deux chansons, «Visions of Gideon», sert également à subtilement prophétiser la peine d’amour d’Elio. Elle joue à deux reprises : la première fois où le couple fait l’amour, puis à la toute fin lorsqu’Elio pleure devant le feu. L’innocence du premier toucher est toujours le souvenir dont on se rappelle dans les phases initiales du deuil, comme un monde lointain où l’on voudrait retourner pour soulager notre douleur.
Le poids d’un regard
Le film mise beaucoup sur les moments silencieux. Le scénario de James Ivory est rempli de dialogues profonds et poétiques, d’un charme sans pair, mais c’est dans la direction de Luca Guadagnino que réside le génie du film. Les regards des personnages parlent plus fort, ils expriment leur vulnérabilité, leur peur, leur admiration. Les mots et les langues varient d’un amour à l’autre, mais les gestes? Le contact physique? Le poids du regard? Est-ce que nous n’avons pas tous été Elio, assis sur le bord d’une piste de danse, en train de fixer la personne qu’on aime pendant qu’il danse avec quelqu’un d’autre, rongé par le désespoir mais aussi rempli de désir?
Cette dimension confessionnelle du regard nous permet de toujours devancer les personnages. Alors qu’ils sont remplis de confusion et de négociations quant à leurs sentiments, nous savons exactement ce qui leur passe par la tête. Lorsque la mère d’Elio (Amira Casar) raconte l’histoire du chevalier et de la princesse et pose la question « vaut-il mieux parler ou mourir », elle ne sait surement pas que son fils passe par cet exact dilemme. Cependant, en voyant le regard absent et pensif d’Elio, le spectateur comprend immédiatement : il pense à Oliver. Lorsqu’il raconte cette même histoire à ce dernier et lui pose la question, ils deviennent le chevalier et la princesse de l’histoire.
La culture, racine de l’amour
Il y a des histoires d’amour ancrées dans le désespoir. L’incompatibilité sociale ou chronologique, la peur de perdre l’autre, la peur d’être seul ou de ne pas être compris, ce sont des choses qui peuvent nourrir une connexion. Ce n’est pas une mauvaise chose, loin de là : c’est un rappel que l’amour vainc tout, et fleurit malgré les circonstances. Mais dans les films romantiques LGBTQ+, la souffrance revient trop souvent. C’est un dur rappel pour une communauté qui a vécu suffisamment de malheurs.
Prenant cela en considération, Call Me by Your Name est une bouffée d’air frais. Il n’y a pas d’adversité, d’opposition. L’amour des deux garçons n’est pas une rébellion, ils ne sont pas seuls au monde et personne ne veut leur mal. Leur relation est nourrie par les arts, la littérature, la musique, la paix d’un bel été à la campagne. C’est une subversion bien méritée.
L’intimité et le partage de culture vont de pair. Quoi de plus vulnérable que de montrer à quelqu’un la musique et les livres qu’on apprécie, et ainsi de se montrer soi-même? C’est ce qu’Elio fait. Puis l’amour qu’on ressent envers quelqu’un qui s’est ouvert ainsi à nous, quoi de plus honnête? C’est ce qu’Oliver fait. Il y a une place spéciale dans le cœur pour l’amour qu’on ressent envers la création. Bâtir une relation là-dessus, c’est comme regarder directement dans l’âme de notre partenaire.
La beauté du spectre émotif
Sur une note aigre-douce, le film nous rappelle que toute histoire a une fin. C’est la nature des choses, et le magnifique été bucolique cède sa place à un hiver bleu et blanc. À la lueur des chandelles et du foyer, Elio passe par sa première vraie peine d’amour. Timothée Chalamet interprète le moment de façon si pure et sincère, qu’on ne peut s’empêcher de revivre nos propres deuils romantiques.
On l’oublie parfois, mais cette souffrance est aussi belle et nécessaire que les instants passés avec notre être aimé. Si l’on éprouve autant de douleur face à notre perte, c’est bien parce qu’on a perdu quelque chose de réellement précieux, qui vivra maintenant seulement dans notre mémoire. C’est crucial d’avoir cette révélation, car sinon, comment réaliser la vraie valeur de l’amour? Comment reconnaître l’importance d’une connexion, qu’elle soit passée, présente, ou future?
Une peine d’amour n’est pas une défaite. Aucun sentiment n’est final. C’est difficile mais essentiel de se permettre de tout ressentir, de ne pas se protéger de nos sentiments, comme le dit le père d’Elio (Michael Stuhlbarg) dans son magnifique monologue. Être conscient de la nature transitoire de la douleur, c’est ne pas avoir peur de la vivre. C’est ce courage qui constitue la fondation de tout amour profond.
Call Me by Your Name est un magnifique portrait des hauts et des bas de l’amour, de sa création et de sa fin. C’est une œuvre magistrale, dont le scénario a cette rare qualité d’être à la fois spécifique et universel : l’absurdité de penser que quelqu’un nous déteste pour ensuite découvrir qu’il nous aime, l’extase de la première fois, l’intimité inhérente au partage d’un vêtement. Un film qui saura nous offrir quelque chose peu importe où on en est dans notre propre spectre émotif.
Bande annonce originale anglaise :
Durée: 2h12
Crédit photos : Sony Pictures Classics, La Cinéfacture, Frenesy Film Company et RT Features