Belfast : ÊTRE ou ne pas y être

Royaume-Uni, 2021
Note : ★★★★

L’acteur, réalisateur et scénariste Kenneth Brannagh revient à un cinéma plus personnel et inspiré avec Belfast, délaissant les gros films populaires des dernières années (Artemis Fowl, Murder on the Orient Express, Cinderella, Jack Ryan: Shadow Recruit ou encore Thor). Cette histoire inspirée de son enfance en Irlande du Nord à la fin des années 1960s est finement réalisée avec à sa tête une jeune étoile des plus charismatique. Belfast ne révolutionne pas le genre dans lequel il s’inscrit, mais ravira facilement votre cœur.

Synopsis

Dans ce drame/coming of age librement basé sur son enfance, Brannagh met en scène un jeune garçon, Buddy (l’attachant Jude Hill dans son premier rôle), et sa famille de classe ouvrière dans un quartier en plein cœur du conflit nord-irlandais (les Troubles) du mois d’août 1969 au début 1970. En pleine tension entre les protestants et les catholiques, la famille de Buddy refuse de prendre position ne voulant pas chasser les catholiques de leur rue. Plus le climat devient insoutenable, plus Pa (Jamie Dornan) tente de convaincre Ma (Caitríona Balfe) de quitter leur ville natale avec leurs deux fils. Buddy, très proche de ses grands-parents (Judi Dench et Ciarán Hinds), réagit mal à cette possibilité de les laisser derrière. Pendant ces mois, il vivra des aventures dans un contexte violent qui devient alors sa nouvelle normalité, le confrontant aux dures réalités du monde adulte.

Les acteurs

Le cinéaste et acteur irlandais est un excellent directeur d’acteur et Belfast en fait encore une fois la preuve. Tous sont un sans-faute. Le jeune Hill séduit par son charisme et son visage qui appelle l’empathie. Il alterne avec aisance entre l’insouciance de la jeunesse et le drame qu’imposent les traumas des violences sociales de cette époque. Caitríona Balfe déroge de l’interprétation romantico-dramatique qui nous l’a fait connaître dans la série Outlander pour incarner la matriarche souvent laissée à elle-même par son mari parti travaillé à Londres. À la fois autoritaire et sensible, Balfe se retrouvera certainement aux Oscars en 2022. Jamie Dornan, sans nous bouleverser, interprète un Pa juste assez complexe pour nous émouvoir. Le duo DenchHinds est quant à lui un pur délice. Les deux acteurs chevronnés donnent la réplique avec aplomb, joie et humour pour nous offrir un couple de grands-parents extrêmement attachant par leur tendresse et leurs émotions sincères. Les scènes entre eux et le jeune Jude Hill sont charmantes et viennent vous toucher droit au cœur.

La réalisation de Brannagh

Brannagh a fait le choix du noir et blanc pour la majorité de son film à l’exception de quelques scènes dont celle d’ouverture où il nous montre un Belfast moderne et de celles d’échappatoire pour ses personnages (lors d’un visionnement au cinéma ou lors d’une pièce de théâtre).

Dans les scènes où Buddy est témoin de violence, la caméra du cinéaste devient très vivante, impliquée, un peu comme si elle attaquait. Tout en la maintenant à hauteur d’enfant, sa réalisation maximise notre investissement envers le protagoniste. Le réalisateur en est un d’expérience et Belfast en est la preuve. Kenneth Brannagh fait preuve d’intelligence dans sa réalisation. Dès le premier revirement, il ajuste sa façon de filmer et fait tourner la caméra autour de Buddy au moment où les violences débutent dans la rue où il joue au chevalier, marquant ainsi ce moment pivot dans la vie de ce dernier. Pour chacun des évènements importants, la caméra de Brannagh s’ajuste. Sans être agressants, ces changements dans la réalisation marquent dramatiquement pour le spectateur l’évolution de Buddy à travers des moments charnières tout au long du film. Quand les actions sont davantage de l’ordre du quotidien, la mise en scène du cinéaste fait preuve d’une richesse réfléchie dans toutes les scènes. Que ce soit par la mise en scène physique des acteurs dans l’espace en lien avec ses plans (voir toutes les scènes dans la cour arrière et la fenêtre de la cuisine) ou encore la présence en premier plan d’une multitude d’objets, tout ce sur quoi Brannagh pose sa caméra fait sens par rapport à Buddy. Tout est réfléchi dans Belfast. Sans pour autant vous distraire de l’histoire qui se déroule devant vos yeux.

Point de vue de Buddy

Nous sommes toujours du point de vue du jeune protagoniste. Chaque scène est introduite ou se termine avec la présence de Buddy. Nous suivons son histoire, sa perspective, son expérience des évènements. Et Kenneth Brannagh ne l’oublie jamais. Outre les ajustements à la réalisation mentionnés ci-dessus, la caméra épouse le regard que le jeune garçon pose sur les gens. Ainsi Pa, magnifié par le jeune Buddy, est constamment filmé en contre-plongée pour le rendre plus grand à l’image.

Les objets en premier plan, souvent hors focus, pullulent à l’image. Tous ces objets créent une distance par rapport à ce qui se déroule devant Buddy. Ainsi clôture, lampadaire, barricade, barbelé, mur, voiture, filet, arbre, muret, trottoir, et barreaux éloignent symboliquement notre jeune héros des véritables enjeux qui se déroulent devant ses yeux. Dans cette même logique, les personnages adultes sont souvent filmés à travers une fenêtre ou des cadres de porte. Seuls les moments marquants, qui survivront au temps en demeurant bien ancrés dans sa mémoire, voient l’absence d’objets en premier plan. L’éclatement des violences, une conversation avec son grand-père mourant, une discussion en autobus avec sa grand-mère, le trauma du sermon à l’église sont tous des moments où le réalisateur filme en gros plan les visages de ses personnages allégeant ainsi l’image. Tout impact concret sur Buddy nous est montré de manière la plus explicite possible par le médium cinématographique.

Il est facile de créer de l’empathie envers le protagoniste s’il est un enfant. Belfast le fait d’une manière charmante sans jamais tomber dans la lourdeur d’un pathos extrême. Kenneth Brannagh rend justice à ce que vit son personnage et c’est tout en son honneur.

 

Bande-annonce originale anglaise :

Durée : 1h38
Crédits photos : Focus Features et Rob Youngson

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