À force de vouloir nous sortir du film, Godard ne nous laisse plus de porte d’entrée…♥♥½
Que pouvons-nous bien dire sur Adieu au Langage… ? On pourrait parler de l’œuvre et l’homme qu’est Jean-Luc Godard des jours entiers, mais aborder un film en particulier demeure toujours téméraire. Ses films sont effets si unique, si dense et récemment si hermétique, qu’il est essentiel de les remettre en contexte, de les relativiser dans la carrière de plus de 50 ans de l’artiste afin d’en aérer un peu la substance. En s’attelant à un tel exercice, on réalise rapidement que la carrière de Godard est tout autant saugrenue que ses films, en perpétuelle évolution, autant au niveau narratif que technique, chaque nouveau film amenant avec lui autant de rappels thématiques ancestraux que d’évolutions formelles radicales.
Dans Adieu au Langage, il y a un homme et une femme (rarement vêtu), un chien sage qui parle, la mer et des citrons, du sang et de la philo, Dostoïevski et Soljenitsyne… un fouillis godardien contemporain typique ! Si le fouillis était en effet plus classique et intelligible dans ses premières époques, il s’est entremêlé de plus en plus avec le temps, même s’il semble toujours aussi limpide pour le maître de la nouvelle vague. Les référents politiques ont changé avec l’âge, exit la révolution ou l’anarchie (Marine Le Pen à la présidence qu’il disait). On ne s’attarde plus au fond des problématiques comme dans les plus belles scènes de son cinéma que sont les discussions politiques de Weekend ou de La Chinoise.
Dans Adieu au langage, tout est mise en scène, plastique. Les procédés réflexifs omniprésents ne vont pas au-delà de leur représentation, grande qualité de son cinéma revendicateur des années 1960 aux années 1980. Les ralentis, les apartés et les raccords étaient la base intellectuelle de son cinéma et de son engagement social. Placée judicieusement, il confrontait et éveillait le spectateur d’À bout de Souffle à Sauve qui peut la Vie. Ici, l’agressivité des coupes franches et l’intensité sonore inégalée perdent de leur utilité initiale et sont trop présentes et trop déplaisante bien souvent pour véritablement interpellé le spectateur. À trop vouloir rappeler le film durant le film, il finit par ne pas y avoir de film…
Reste qu’il y a de grands moments de cinéma, des plans magnifiques qui nous viennent nous confirmer que le maître n’a pas encore perdu la main ni l’œil. Mais ceux-ci sont amputés, courts, vifs, comme si Godard se les refusait à nous comme à lui. Autant les discussions habilement écrites que les plans composés parfaitement qui étaient la marque de son cinéma sont tronqués ; Godard en vient à se refuser son propre cinéma. Fin de cinéma qu’il a toujours dit…
La 3D, que l’on attendait avec impatience dans un film de Godard, donne l’occasion pour celui-ci d’expérimenter la réflexivité en un autre niveau, notamment en ‘’superposant’’ 2 scènes simultanément nous permettant d’alterner de l’une à l’autre en fermant un œil. Rafraîchissantes et typiquement godardiennes, ces sympathiques ingéniosités sont sans doute la seule véritable idiosyncrasie de la 3D dans le film qui demeure somme toute beaucoup trop conventionnelle et anecdotique. Dans le collectif 3x3D l’an dernier (Avec Edgar Pera et Peter Greenaway), l’utilisation de la 3D était autrement plus audacieuse et pertinente uniquement dans son moyen-métrage.
En somme, il faut le voir pour le croire. Difficile de l’expliquer, de le rationaliser ou seulement de le décrire après une seule écoute. C’est un Godard qui est bien plus proche de Notre Musique ou Film Socialisme que Le Mépris ou même Weekend. On se demande de toute façon si le Godard d’aujourd’hui, provocateur et baveux comme jamais, souhaite que le spectateur débroussaille l’apparent fouillis de son œuvre ou s’il prend tout bonnement un malin plaisir à lui balancer le tout en plein visage sans concession ni explication. Les inconditionnels crieront aux génies, les détracteurs au scandale et les non-initiés à la folie, mais une chose est sûre, tous s’en souviendront longtemps après la fin de la projection.