Explorant avec jubilation la condition d’une femme entravée par la rupture entre sa vie professionnelle et personnelle, Justine Triet a clôturé le Festival des films Cinemania avec verve et bonne humeur. Suite à son premier long métrage, La Bataille de Solferino, la réalisatrice française présente un film original avec Victoria, qui porte toutes les caractéristiques d’une comédie américaine de qualité à la Woody Allen. ♥♥♥♥
Tissant méthodiquement sa toile sur un cadre familier (contrairement à son premier film, qui était à tous points de vue une affaire beaucoup plus raillée), la cinéaste emploie des synecdoques comiques qui flirtent avec aplomb et extravagance. Ainsi, cette dernière déploie avec succès trois niveaux superposés de perception: un film qui est régulièrement drôle, le portrait attachant d’une femme embourbée dans sa vie romantique et un contour astucieux de la société. Ce mariage de simplicité et de complexité possède un charme qui gagne progressivement chez le spectateur. De plus, le film a un personnage extraordinaire avec l’avocate Victoria Spick (Virginie Efira, Le goût des merveilles) dans ce récit burlesque d’une femme dont la vie tombe en morceaux.
Victoria : « Je me pose beaucoup de questions sur ma vie en ce moment. »
Victoria, une mère célibataire affectueuse, mais complètement dépourvue dans tout ce qui touche à la parentalité (son appartement se trouve dans un état de désordre total, avec ses deux petites filles qui sont abandonnées dans l’anarchie ), tente de réconcilier en quelque sorte son dévouement à son travail avec une poursuite apparemment stérile de satisfaction émotionnelle et sexuelle (à travers des rendez-vous organisés en ligne, qui sont aussi décevants qu’hilarants). Notre héroïne, son cerveau accablé par l’hésitation chronique, est prise entre une vision cynique de son travail et un désir caché de régresser. Cette dernière finit par perdre le contrôle lorsque les barrières qui séparent les différentes zones de sa vie sont démolies suite à sa décision de prendre la défense de son ami Vincent (Melvil Poupaud), qui est accusé d’avoir agressé sa compagne. « Complètement incapable de remettre de l’ordre dans sa vie », Victoria est également soumise au harcèlement de son ex (Laurent Poitrenaux), qui révèle sa vie, jusqu’au plus intime des détails, sur un blogue en ligne. Tout cela se passe sous le regard de Sam (Vincent Lacoste), un ancien trafiquant de drogue devenu la garde des enfants de l’avocate. Des rendez-vous psychanalytiques, des erreurs désastreuses et le renversement de son travail dans sa vie amoureuse, poussent peu à peu Victoria à trouver une solution pour se remettre à neuf…
Un scénario bien ficelé, une mise en scène simple et élégante, un ton équilibré qui mute entre tendresse et satire, d’une juxtaposition de genres enveloppés sous l’apparence d’une comédie et la pertinence des thèmes sociaux abordés, font en sorte que la qualité de Victoria ne cesse de croître, une fois que l’on s’est adapté au fait que ce personnage est, à la fin de la journée, juste une femme moderne de tous les jours.
Avec ce deuxième long métrage, Justine Triet établit des perspectives excitantes pour elle-même, telle est la facilité avec laquelle elle relie maîtrise et relaxation, analyse quasi anthropologique et plaisir, réalisme et fantaisie. Il est clair qu’on retrouve chez elle un potentiel cinématographique qui pousse confortablement les limites de la comédie traditionnelle.