Un excellent complément contemporain au mémorable The Fog of War. ♥♥♥1/2
Ceux qui l’on vu s’en souviennent sans doute comme le meilleur film d’horreur des années 2000. The Fog of War d’Errol Morris est en effet une incursion terrifiante dans la vie de Robert McNamara, secrétaire à la défense sous Kennedy et Johnson. C’est donc avec une grande fébrilité que nous avons appris il y a quelque temps que Morris avait décidé de récidiver en présentant encore une fois une entrevue documentaire, cette fois-ci avec Donald Rumsfeld, secrétaire à la défense sous Georges W. Bush et ayant occupés des rôles clés sous les présidences de Gerald Ford et Richard Nixon.
Présenté par les RIDM dans le cadre des toujours décisives projections Docville, le film commence aussi tôt que les années 1960, moment où Rumsfeld fait son entrée au congrès. On met tout de suite la table sur le personnage; ni la guerre du Vietnam, ni l’invasion de l’Irak, ni la prison de Guantanamo ne semblent lui faire regretter des décisions américaines ou lui faire sentir remords ou regrets sur son gouvernement. « Il fallait prendre des décisions, les situations évoluent, et il est difficile de les prévoir au départ » sont à peu près les seules explications qu’il concèdera.
Sans être une suite à Fog of War, les comparaisons entre les films sont inévitables, ne serait-ce que par la présentation dans un format quasi identique d’un ancien secrétaire à la défense américaine avec comme prétexte, un moment de turbulences. Si des différences subsistent, elles sont définitivement dans les personnages représentés. Il est vrai que Rumsfeld, séducteur et sympathique avec une répartie certaine, est aux antipodes de Mcnamara, beaucoup plus réfléchi et songé. Impulsif et spontané, Rumsfeld ne passe pas beaucoup de temps à analyser les impacts et les conséquences des politiques de son gouvernement. À l’image du titre flou et ambigu, nous terminons le visionnement avec l’impression de ne rien avoir appris sur le personnage tant celui-ci est habile pour être évasif et contourner les questions et questionnements soulevés avec une habile rhétorique. Ses enregistrements continus de mémos (plus d’un million dans sa carrière) et son recours aux définitions de dictionnaires pour répondre aux questions en tout genre dénotent plus d’une fois dans le film de son aisance à manipuler le verbe pour arriver à ses fins.

Contrairement à l’humilité et la profondeur du personnage de Mcnamara, Rumsfeld reste en surface et toujours charmeur. Un sourire inquiétant aux lèvres et une répartie certaine ayant réussi à le tirer d’affaire tout au long de sa carrière politique (comme le montrent les extraits d’archives) lui servent encore à merveille dans les quelques rares échanges plus musclés avec Errol Morris. Refusant bec et ongles d’admettre l’erreur (le temps jugera de la pertinence de l’invasion de l’Irak selon lui), il croit Colin Powell lorsque celui-ci affirmait bec et ongle qu’il y avait des armes de destruction massive en Irak.
S’il y a un point qui déçoit dans le film, c’est le manque de recul du sujet sur sa carrière autant que celui du spectateur sur les événements. McNamara qui commentait les événements plus de 40 ans après les faits avait amplement vu l’évolution de l’histoire, les conséquences des actions et des inactions de son gouvernement et l’occasion était plus propice pour un bilan. Dans le cas de Rumsfeld, le caractère récent des événements chauds de sa carrière fait en sorte qu’il peut s’en tirer en affirmant simplement que « time will tell ». Pour le spectateur, qui aura en grande majorité vécu intimement le dernier pan de la carrière de Rumsfeld, cette absence de recul est également un problème puisque celui-ci aura indubitablement une opinion claire et tranchée sur le personnage. Impliqué beaucoup trop émotivement sur tous les événements, il est difficile d’aborder la question avec le recul nécessaire et, peu importe nos opinions sur le personnage, nous serons surement déçus ou frustrés à plus d’une reprise pendant le film.
On regrettera également que le film progresse de façon abstraite dans la carrière de Rumsfeld (on n’aborde en rien son saut dans le monde des affaires entre ses carrières politiques) ou que Morris ne confronte pas suffisamment le personnage (ce qui n’est pas nécessairement son rôle), mais ce sont des choix éditoriaux très défendables. Avant tout, le film est un excellent portrait d’un personnage impénétrable doublé d’un cours de politique américaine 101 et pour cela, il mérite toute notre attention.