UNE COLONIE : Conversation avec Geneviève Dulude-De Celles

Réalisatrice de plusieurs courts-métrages et documentaires, Geneviève Dulude-De Celles signe avec Une Colonie son premier long-métrage de fiction. Cinémaniak l’a rencontrée pour lui poser des questions sur cette chronique adolescente qui n’hésite pas à aborder frontalement certains sujets sensibles de société. 

La réalisatrice Geneviève Dulude-De Celles.

Cinémaniak: Quelle est a été la genèse du projet? Qu’est-ce qui t’as donné donné envie de raconter cette histoire?

Geneviève Dulude-De Celles: En 2014, mon premier court-métrage qui s’appelle La Coupe mettait en scène une jeune fille de 12 ans un peu entre deux âges qui vivait avec son père à la campagne. Elle devait décider si elle devait rester à la campagne avec son père ou aller chez une amie pour le week-end. Il y avait déjà une histoire de séparation. On comprenait qu’elle avait déjà un choix difficile à faire entre ses amis et son père. J’avais déjà débuté une réflexion sur ce qu’implique ce rite de passage. Quand on quitte le nid familial et qu’on doit s’affranchir de ses parents et comment on se définit par rapport à ça. J’ai eu envie d’écrire un long-métrage avec une héroïne de cet âge-là. C’était un peu ça le genèse. Et puis pendant que j’écrivais, je tournais mon long-métrage documentaire qui se passe dans une école secondaire (NDLR: Bienvenue à F.L., 2015) donc j’étais entourée de jeunes que j’écoutais. J’ai fait une quarantaine d’heures d’entrevues avec eux sur toutes sortes de sujets comme: Comment ils envisageaient l’avenir? C’est quoi être adolescent? Puis pour moi ça a nourri beaucoup l’écriture car je faisais une recherche documentaire. Naturellement, j’ai voulu approfondir ce que j’avais entamé avec La Coupe en étant dans un contexte là d’une école secondaire. Je pouvais parler d’une façon plus large de ces sujets-là. À cette période-là, j’ai aussi travaillé pour Wapikoni Mobile qui est un studio de cinéma et audio qui se promène de communauté en communauté autochtone. J’ai accompagné des jeunes qui voulaient se lancer dans la réalisation. J’ai donc beaucoup été en contact avec cette communauté. Et comme j’ai grandi à deux pas d’une communauté Abénaki comme Mylia dans le film, j’ai pu aussi puiser dans mon expérience de jeune fille qui avait ce regard de méfiance peut-être nourri par l’entourage et par la façon dont on présentait cette communauté.

Cinémaniak: Une colonie est ton premier long-métrage de fiction. Est-ce que ton expérience en tant que réalisatrice de documentaires a été utile pour mieux appréhender ce projet?

Geneviève Dulude-De Celles: Dans un documentaire, tout est à construire même si on se fait un scénario. La réalité nous dépasse et on ne peut pas tout mettre dans une case. Il a fallu construire un récit avec la monteuse et ça m’a sensibilisé sur le fait de construire une histoire sur 1h15 sur un format long. Après j’ai fait de la recherche comme pour mes documentaires pour me nourrir de la réalité. Cela m’a aidé pour écrire ce long-métrage de fiction puis dans ma façon de les filmer ou d’approcher leur réalité. L’esthétique que je voulais avoir pour ce film-ci, c’était quelque chose de très réaliste et proche du documentaire. J’ai donc travaillé avec le même duo de directeurs photo. Avec une caméra à l’épaule pour bouger en fonction des acteurs et non le contraire. Je voulais ce bagage là dans la fiction.

Cinémaniak: À travers la relation qu’entretient Mylia avec Jimmy, voulais-tu questionner l’histoire du pays et ses responsabilités face aux populations des premières nations?

Geneviève Dulude-De Celles: Oui quand j’ai commencé à travailler avec le Wapikoni Mobile, j’ai énormément appris de la culture des populations autochtones car je passais un mois auprès d’eux chaque été. J’ai fait un exercice de prise de conscience en prenant compte de ma méconnaissance de ces cultures. J’ai essayé de comprendre d’où me venaient certains biais. Comment se fait-il qu’on peut aussi peu connaitre ces cultures qu’on côtoie sur notre territoire. Et donc en puisant dans mon expérience personnelle que j’ai intégrée au personnage de Mylia. Faut qu’on revoit la façon de parler de leur histoire notamment dans les écoles. Quand j’ai écrit le scénario il y a quatre ans, je me suis rendu compte de la vision très blanche et colonialiste qu’on avait de l’histoire des populations autochtones. C’est un sujet auquel je suis très sensible car j’ai eu la chance de côtoyer ces populations là. J’avais envie de mettre ça en scène dans le film. Je trouvais ça intéressant de mettre ça dans le film. Et je voulais aussi filmer un cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté car ça permettait de parler de ça mais de manière plus globale. Dans le micro, c’est l’histoire d’une petite fille qui rentre dans le secondaire et qui cherche à qui et quoi s’attacher mais le macro je voyais le secondaire comme une société. Il y a quelque chose qui nous pousse à adhérer à une certaine minorité parce que c’est plus confortable et une certaine minorité peut en souffrir. Des parallèles peuvent être dressés avec notre façon de se définir en tant que collectivité. J’avais ces questionnements là quand j’écrivais le scénario. Le titre fait également référence à ça, à la colonie de vacances mais aussi à notre histoire collective, à la façon de se définir.

Cinémaniak: Cette chronique d’adolescence décrit le passage difficile à l’âge adulte mais aussi une quête identitaire. Est-ce que tu voulais montrer l’adolescence comme une période charnière de la vie?

Geneviève Dulude-De Celles: Oui, c’est aussi la raison pour laquelle je me suis intéressée à l’univers d’une école secondaire. Pour moi, c’est les premiers pas vers l’âge adulte. Les enfants sortent du nid familial, c’est le moment où ils vont prendre des décisions qui vont les définir en tant qu’individus et en tant qu’adultes. C’est une période très importante car c’est une période de grand changement. De façon plus globale, tout le monde fréquente l’école secondaire. C’est l’endroit où on apprend à devenir des citoyens et des adultes et qui définit la manière dont on va agir en société. C’est un terreau très fertile. Le récit se construit sur un mouvement, une évolution de personnage et cette période est vraiment le passage à l’âge adulte. Il y a quelque chose d’intéressant au niveau de la narration car c’est une période où les personnes se transforment très rapidement.

Mylia (Emilie Bierre)

Cinémaniak: Dans le film, la jeune Mylia expérimente et teste ses limites. Elle cède parfois à la pression sociale et se met un peu en danger. Est-ce que l’influence d’un groupe peut être vue comme quelque chose de toxique pour une jeune adulte qui se cherche?

Geneviève Dulude-De Celles: Je voulais l’aborder mais c’était important pour moi de ne pas condamner. J’ai cherché à montrer que c’était une pression, que ce n’est pas un groupe en particulier qui a un désir mesquin de la faire boire ou à faire certaines choses. C’est plus un contexte qui oblige à cet âge de commettre des actes radicaux pour s’affranchir de ses parents. En plus aujourd’hui, on demande aux jeunes de vieillir de plus en plus vite donc la courbe naturelle ne se fait pas toujours en douceur. Il y a une pression qui vient de partout mais ce n’est pas son groupe d’amis en particulier qui lui veut du mal. C’était important pour moi de ne pas démoniser cela.

Cinémaniak: Comment as-tu choisi Émilie Bierre la jeune actrice qui interprète Mylia?

Geneviève Dulude-De Celles: Emilie c’était vraiment un coup de coeur en fait. J’étais ouverte à toute proposition et j’ai même fait du casting sauvage. J’ai rencontré des jeunes actrices dont c’était le premier casting. Mais la première fois qu’on a rencontré Emilie, elle nous a émue aux larmes. Nous étions très touchées avec les productrices par sa performance. Mais cela a été difficile pour moi car je voyais le personnage plus jeune. C’était important pour moi que l’actrice ait encore son corps de petite fille pour montrer le contraste entre ces deux âges là. Mais Emilie était de loin la plus douée pour incarner ce personnage. J’ai donc réajusté le film en fonction de son âge et je n’ai aucun regret tant elle incarne parfaitement Mylia.

Cinémaniak: Et pour ce qui concerne le reste du casting?

Geneviève Dulude-De Celles: Cela a été un long processus qui a duré cinq mois. On est passés en dehors des agences de casting. On a rencontré des jeunes d’agences mais on voulait aussi rencontrer des jeunes qui viennent de la région où se déroule le film. On a eu plus de 600 candidatures au total. Au final, la moitié venaient d’agences et l’autre moitié étaient des débutants.

Cinémaniak: Comment s’est passé le travail avec les jeunes acteurs? Comment as-tu procédé pour diriger des adolescents et des enfants sur le tournage?

Geneviève Dulude-De Celles: La direction d’acteurs est une chose que j’aime beaucoup. Quand j’étais petite, je faisais du théâtre et j’ai même récupéré quelques exercices pour les faire faire aux jeunes acteurs! On voulait s’accorder un long temps de répétition. Pour cela, on a dû faire des sacrifices car ce n’est pas forcément quelque chose de prévu dans les budgets de tournages. Le but de ces exercices était qu’ils gardent un côté naturel et qu’ils comprennent bien l’intention de chaque scène et le rôle précis de leurs personnages. Et pour qu’il y ait une complicité qui se développe entre eux. On a essayé de tout faire pour garder cet espace pour les comédies. Les acteurs sont restés amis après le tournage, il s’est vraiment passé quelque chose. Ce n’est pas quelque chose qui peut se créer de manière artificielle.

Cinémaniak: Les paroles de la chanson Love Will Tear us Apart de Joy Division sur laquelle les jeunes soeurs dansent annoncent-elles d’une certaine manière la conclusion du film? Comment as-tu choisi les morceaux qui composent la bande-son?

Geneviève Dulude-De Celles: Pour la scène de danse, je voulais un morceau de rock où les filles peuvent danser un peu le headbang. Un morceau de rock qui contrasterait avec les chansons de hip-hop des fêtes avec ses amis. Et oui cette chanson pouvait évoquer aussi ce qui se passait entre la mère et le père. Au départ je voulais la chanson Babe I’m Gonna Leave You de Led Zeppelin mais c’était vraiment trop cher. Du coup a on pu avoir Love Will Tear Us Apart qui est aussi une chanson que j’aime beaucoup. On a aussi collaboré avec Kevin Nash, un artiste de hip-hop montréalais qu’on avait rencontré sur mon précédent court-métrage. Avec les productrices, on est vraiment fans de lui! Et puis aussi avec un autre artiste de Laval du nom de High Classified qui a aussi donné quelques chansons pour le film. Et je voulais plutôt des morceaux anglophones car je dansais plus sur des morceaux en anglais quand j’étais jeune. Sinon le compositeur musical s’appelle Matthieu Charbonneau dont j’avais écouté les morceaux de piano et qui me plaisaient beaucoup. Je voulais un musicien dont le piano soit son instrument principal. Il y a un aussi dans le film un vieux morceau de blues des années 30 ou 40 qui a été suggéré par mon monteur et auquel on s’est beaucoup attaché. Et finalement il s’est retrouvé au début et à la fin du film.

Cinémaniak: Quels sont vos projets?

Geneviève Dulude-De Celles: Après la promotion d’Une colonie, je vais entamer l’écriture d’un projet, d’un long-métrage de fiction. Il n’aura rien à voir avec l’adolescence. On va suivre le parcours d’un montréalais d’origine roumaine qui doit retourner dans son pays d’origine. Il ne sera pas dans une esthétique hyper réaliste mais plutôt dans l’esprit des frères Coen et qui toucherait un peu au fantastique. Donc ça va être un grand défi car je vais sortir de ma zone de confort. J’ai hâte d’entamer l’écriture!

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