États-Unis et Inde, 2021
Note : ★★★ ½
Film américano-indien, The White Tiger est une coproduction intéressante puisque si le film se déroule entièrement en Inde et présente des enjeux sociaux propres à ce pays, son public est définitivement occidental.
Le film relate l’histoire de Balram, un jeune garçon prometteur mais, étant issu d’une caste de serviteurs, son destin tracé d’avance exclut tout accès à la richesse. Adulte, il réussira à se faire embaucher comme chauffeur pour une riche famille indienne qui contrôle une grande partie de sa région d’origine. Il se rapprochera bientôt du fils cadet de cette famille et de sa jeune femme, un couple ayant vécu longtemps à New York, possédant des valeurs plus occidentales et qui le traite avec davantage de respect. À leurs côtés, Balram développera à leur insu ses propres magouilles pour faire de l’argent et se sortir de sa situation de servitude, d’autant plus motivé qu’il prend conscience que cette famille ne fera toujours que le manipuler et l’exploiter honteusement.
Le réalisateur américain d’origine iranienne Ramin Bahrani porte, à travers cette histoire de division des classes et d’émancipation, un regard à la fois très lucide et cynique sur l’Inde du début des années 2000.
Il y expose une Inde résolument mondialisée, théâtre d’une parade de richesse et de diverses opérations de corruption de la part des entrepreneurs et propriétaires. Ces nouveaux seigneurs du XXIe siècle préservent un système de castes rigides qui écarte du monde moderne des millions de personnes, qu’ils maintiennent dans la pauvreté et la discrimination en perpétuant délibérément cet état de misère. Bref, un pays en proie à une grande division, cruellement illustrée par la caméra du réalisateur qui va des immenses hôtels de la métropole Delhi aux petites cabanes en paille du village de Laxmangarh. Son scénario participe à ce même effet, exposant à plusieurs reprises cet écart des classes, par des moments narratifs plus ou moins subtils mais toujours frappants et pertinents.
Le cinéaste y présente un capitalisme dont il faut absolument profiter pour ne pas en être victime, un peu comme il le faisait dans son opus de 2014, 99 Homes, avec Michael Shannon et Andrew Garfield, qui se déroulait dans le milieu de l’éviction et de la saisie de biens immobiliers durant la crise financière de 2008 et 2009. Il poursuit cette exploration des enjeux moraux liés à l’économie et à la loi du plus fort. Son intérêt pour les rapports de domination, et leurs répercussions sur la morale notamment, ainsi que ses préoccupations socio-économiques ne semblent pas s’essouffler, bien au contraire.
Dans The White Tiger, Ramin Bahrani ne fait pas toujours dans la subtilité. Il mise sur l’efficacité. Le film prend son temps pour étaler la situation personnelle du héros de même que celle, plus large, du pays en présentant les injustices qui le gangrènent. Effet obtenu puisque le film devient au bout d’un moment très engageant. Adarsh Gourav, l’interprète du jeune protagoniste, charmant et convaincant, contribue largement à cet engouement.
Devant ce divertissement de qualité, le cinéphile peut ressentir tout de même un certain malaise à quelques reprises, dû à l’impression d’être devant un produit manufacturé pour un public occidental. On nous présente une histoire de self made man, thématique au cœur du mythe américain adaptée ici à la sauce orientale. La principale protagoniste féminine est incarnée par Priyanka Chopra, actuellement la vedette indienne la plus connue en Occident, notamment par sa présence dans les tabloïds. De plus, l’histoire est narrée à la première personne en voix off, un choix qui a déjà fait ses preuves dans le cinéma américain. Le film est accessible et attrayant, sa démonstration apparaît didactique par moment.
Mais après tout, le public occidental a sans doute plus à gagner à être exposé au regard sombre que le cinéaste porte sur l’amoralité et la corruption que la population indienne, à laquelle le film ne semble pas vraiment s’adresser. Cette dernière connaît déjà hélas trop bien les travers de son pays. À cet égard, un spectacle de Bollywood est peut-être une meilleure échappatoire à une réalité qui lui apparaît immuable.
Bande annonce originale:
Durée : 2h05
Crédit photos : Netflix