Stillwater : L’éléphant discret face au monde

États-Unis, 2021
Note : ★★★ 1/2

Tom McCarthy revient au cinéma oscarisable avec Stillwater après une bifurcation vers la télévision (la série dramatique pour adolescents 13 Reasons Why et un téléfilm Disney Timmy Failure: Mistakes Were Made). Fidèle au ton de son plus gros succès en carrière Spotlight (Oscar du meilleur film en 2016, notre critique ici), sa dernière offrande, présentée hors compétition au Festival de Cannes 2021, est un drame convenable sur la quête lente de justice pour une jeune femme incarcérée par son père. Drame convenu, peu subtil, si ce n’est que de l’absence apparente de politique.

Bill Baker (un Matt Damon transformé) joue un foreur de l’Oklahoma qui visite sa fille Allison (Abigail Breslin) incarcérée pour le meurtre d’une jeune étudiante française d’origine arabe à Marseille que l’on découvrira être en relation amoureuse avec sa présumée meurtrière. Dès la première visite de ses deux semaines fréquentes, Allison lui passe une lettre à remettre à son avocate contenant une nouvelle piste découlant des confidences d’un nouveau témoin sur l’identité du véritable coupable pouvant ainsi l’innocenter du crime pour lequel la justice française l’a condamnée à neuf ans de prison. Après le refus d’enquêter sous prétexte de ouï-dire par l’avocate, Bill prend sur lui de mener l’enquête. Il prolonge alors indéfiniment son séjour dans le sud de la France. Ne parlant pas français, il demandera l’aide à Virginie (Camille Cottin dans un rôle dramatique) pour servir d’interprète. Inévitable, il se rapprochera d’elle et de sa fille de neuf ans, Maya (Lilou Siauvaud, dans son premier rôle).

Matt Damon est dans la quasi-totalité des scènes, seules une ou deux ne concernent que le personnage de Virginie. L’acteur américain commande l’attention dans son interprétation tout en douceur, peu expressive, mais toujours juste; Bill est un personnage introverti et Damon maîtrise son intériorité. Camille Cottin incarne son opposé : Virginie est expressive et l’actrice comique française du moment l’incarne avec vivacité sans jamais perdre sa vérité émotionnelle.

La jeune Lilou Siauvaud est un vent de fraîcheur dans ce monde lourd où les adultes vivent constamment des drames. Maya est rafraîchissante et dynamique et nous séduit dès ses premières paroles. La chimie entre Damon et Siauvaud opère (même plus qu’avec Cottin) créant le duo par excellence de Stillwater. Leurs échanges de vocabulaire français et anglais participent grandement à leur charme aux yeux du spectateur puisqu’ils semblent développer leur propre langage tout en exprimant clairement par leurs gestes l’affection profonde qu’ils ont l’un pour l’autre. C’est d’ailleurs par leur relation que Tom McCarthy canalisera la charge émotionnelle de son film. Si cette charge émotionnelle est juste dans le ton, la musique est malheureusement trop présente, et ce, tout au long du film.

Lenteur

Stillwater est un drame qui se dévoile tranquillement pendant les deux heures dix-huit minutes qu’il dure. Si le titre et les premières minutes laissent présager un drame dans le milieu des puits de forage de l’Oklahoma, ce présage se révèle faux assez rapidement. Bill prend l’avion pour Marseille. Un clash culturel s’ensuit. On peut sortir l’Américain de l’Amérique, mais on ne peut pas sortir les États-Unis de l’Américain. Marseille n’aura jamais été si américaine dans les premiers jours de son passage : Burger King, Best Western, Subway à répétition. Mais McCarthy n’insiste pas, il montre de manière anodine.

Tout est introduit subtilement, se dévoilant progressivement au spectateur. La véritable raison de cet homme du sud des États-Unis à Marseille n’est dévoilée que lorsqu’il visite sa fille en prison. Le crime qu’elle aurait commis nous est révélé plusieurs minutes après la visite. L’enquête est longue, les victoires sont rapidement reléguées à des évènements ratés. Tout dans Stillwater relève du quotidien, du quasi banal; le cinéaste préfère nous montrer le nouveau quotidien de Bill plutôt que du spectacle. C’est ce qui nous fait apprécier le long métrage : il prend son temps, il développe une relation attachante à son protagoniste… que l’on soupçonne républicain.

L’éléphant discret

Bill Baker semble républicain, du moins plusieurs indices le suggèrent indirectement. Le personnage est en quelque sorte un canevas sur lequel le spectateur peut y projeter une vision du monde associée à une portion des républicains américains, le tout par l’entremise des choix de certains détails du réalisateur et des scénaristes Thomas Bidegain (scénariste de Jacques Audiard), Marcus Hinchey et Noé Debré. Ainsi en visite chez sa grand-mère, Fox News est en arrière-plan lors d’un repas, il fait plusieurs prières (les repas, visites avec sa fille), s’habille presque comme un cowboy, ne parle jamais de l’homosexualité de sa fille, fait fi des réalités de Marseille, etc. Si tous ces indices sont discrets, ils permettent tout de même la construction d’un personnage humain en évitant de trop insister sur ses possibles allégeances politiques. Stillwater ne semble pas commenter son personnage comme républicain ni nous forcer à le rendre humain… jusqu’à l’ultime scène de retour en terre natale.

NDLR : La suite du texte aborde la scène finale du film. Si vous ne l’avez pas vu, cela vous la divulgâchera. Nous préférons vous en avertir.

La vision du monde

Outre ces petits indices subtils, le commentaire social (on pourrait aussi dire humain si l’on veut exclure la politique) est dans l’échange final entre Bill et Allison. De retour dans leur Oklahoma natale, tout a été révélé : les mauvais choix de Bill et leurs conséquences, ainsi que la culpabilité d’Allison. Bill exécute sa routine matinale. Il aperçoit quelqu’un sur son perron avant, assis. Sa fille, ne pouvant dormir, a marché jusque chez lui aux petites heures du matin. Au sujet de Stillwater, elle lui dit « Everything looks the same. Nothing’s changed, don’t you think? ». Ce à quoi il lui répond : « No. Everything looks different. I don’t recognize it anymore ».

Deux expériences, deux maturités, deux visions du monde. Une qui en voulait une autre et qui a tenté de la trouver à l’autre bout de la planète. L’autre qui ne la cherchait pas, mais qui a été profondément transformé par l’expérience vécue à l’étranger. Si la culpabilité paternelle et ses valeurs familiales l’ont forcé à déménager dans le sud de la France, ce qu’il y a vécu l’a transformé au point de ne plus reconnaître ce qu’il a toujours connu : Stillwater. Métaphore s’il en est une que les expériences hors de ce que l’on connaît peuvent nous faire voir le monde autrement.

Stillwater est du bon cinéma qui nous permet de suivre l’évolution d’un personnage dans une période riche en confrontations sociales, morales et émotionnelles. Pour voir un Matt Damon tout en retenue dans la peau d’un Américain submergé par le français. Agréable, sans être révolutionnaire ou même revendicateur. Un film doux à regarder avec empathie. Stillwater n’est pas le thriller que la bande-annonce nous vend.

 

Bande-annonce originale anglaise :

Durée : 2h20

Crédit photos : Focus Features/Universal Studios, Jessica Forde

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