Par Marc-Antoine Lévesque, moins spécial que Ryan O’Connell
Special – saison 1, États-Unis, 2019
Une série comique qui aborde l’addition des différences sociales que sont l’infirmité motrice cérébrale et l’homosexualité
Où voir ça : Netflix, en version originale anglaise et en version française doublée
Production : Campfire, Stage 13, That’s Wonderful Productions
Scénario : Ryan O’Connell
Réalisation : Anna Dokoza
10 épisodes, entre 12 et 17 minutes
L’auteur Ryan O’Connel adapte son roman autobiographique I’m Special: and Other Lies We Tell Ourselves en une série télé de huit épisodes. Si, par son synopsis – l’émancipation d’un jeune homme blanc américain dans la vingtaine -, SPECIAL ne semble rien avoir de spécial, son protagoniste ajoute sa touche personnelle : il est homosexuel et atteint de paralysie cérébrale partielle. Netflix a rendu disponible la première saison le 12 avril 2019.
Les premiers épisodes sont plutôt sobres, comme si le sujet sérieux prenait le dessus sur l’ambiance plus comique désirée par la série. Sympathique sans être hilarant, le scénario est signé par O’Connel, qui incarne également le charmant protagoniste Ryan Hayes, à qui il insuffle l’originalité qui lui est propre.
Le premier épisode est somme toute faible narrativement, n’introduisant le spectateur qu’à la condition physique de son personnage principal ainsi qu’à son orientation sexuelle. À défaut d’être palpitant et accrocheur, cette introduction à l’univers de Ryan Hayes permet cependant de bien saisir les implications de son handicap au quotidien.
Dès le deuxième épisode, cependant, on plonge dans la réalité de la situation de Ryan : le regard qu’il porte sur sa propre personne. Et par le fait même, le regard que les hommes homosexuels ont sur eux et sur leur comparses. Prenant place lors d’une fête autour d’une piscine, ce chapitre intitulé Chapter 2: The Deep End ne peut que forcer les comparaisons avec un des plus importants épisodes de télévision de l’année 2019 abordant les images positives corporelles : Pool de la série Shrill. Si Ryan (dans SPECIAL) et Annie Easton (dans Shrill interprétée par Aidy Bryant) ne sont pas nécessairement à la même étape de leur émancipation, cette dernière réconforte dans son optimisme. Ryan, contrairement à Annie, ne tente pas de s’accepter, mais reste dans une posture de dévalorisation de lui-même. Il lutte violemment avec la vision qu’il a de sa condition, affectant directement ses relations présentes et relations hypothétiques avec les autres. Là où la protagoniste incarnée par Bryant découvre la confiance en elle qui lui manquait, ce deuxième épisode de SPECIAL augmente l’insécurité de son protagoniste.
La promotion entourant la série de Ryan O’Connell mise sur le genre de la comédie. L’aspect humoristique repose surtout sur l’autodérision (nocive, d’ailleurs) dont Ryan fait preuve. Pour compenser à cette comédie tragique, SPECIAL peuplera l’écran de personnages secondaires plus légers, absents de véritables complexités, mais accomplissant malgré tout leur but de divertir. Certains de ces personnages sont, malheureusement, clichés et unidimensionnels, aux limites de l’insupportable : on pense surtout ici à Olivia (Marla Mindelle), la patronne du site Web pour lequel Ryan est stagiaire.
Entre son homosexualité et son handicap physique, Ryan tente d’obtenir la vie idéale valorisée par la société. Dans un monde où l’apparence physique domine, du moins dans ses représentations sociales, Ryan possède plusieurs caractéristiques qu’il considère désavantageux (sa paralysie cérébrale) ou tabou (sa virginité). Cette dernière est traitée de manière sérieuse et, même si le thème s’inscrit dans le genre de la comédie, SPECIAL n’en fait jamais un traitement problématique ou réducteur.
On note une progression marquée dans la réalisation de Anna Dokoza, même s’il y a peu d’épisodes. Elle semble s’émanciper parallèlement et simultanément au protagoniste sur lequel elle braque sa caméra. La réalisatrice précise ses cadrages et développe une sensibilité à la caméra. Paradoxalement, l’épisode le mieux réussi de cette première saison s’intéresse à la mère de Ryan, Karen (interprétée par la drôle et sensible Jessica Hecht). Chapter Five: Vagina Momologues vole presque la vedette à son personnage principal en explorant la réalité d’une femme travaillant tout en prenant soin de son fils ainsi que de sa mère âgée. Avec ce chapitre, la série souligne l’importance de la relation mère-fils et le poids que l’infirmité motrice peut avoir sur la vie d’un parent. Un bel hommage, magnifiquement exécuté. La référence directe à The Vagina Monologues n’est pas innocente.
L’originalité de cette série est dans son accroche de départ; la condition physique de paralysie cérébrale ajoutée à l’homosexualité de Ryan Hayes. Cette accroche, ou originalité, ou encore voix unique, permet d’aborder des sujets peu représentés dans la communauté homosexuelle par les protagonistes généralement mis en scène en fiction. Il y a une certaine revendication qui permet à SPECIAL de se démarquer.
Bande-annonce originale anglaise :
Crédits photo : Netflix