Belgique et États-Unis, 2019
Note : ★★★★
Darius Marder réalise un premier long métrage de fiction maîtrisé porté non seulement par ses acteurs, mais également par une réflexion sur le son. Si cette dernière avait un potentiel artistique plus grand, Marder sait bien l’exploiter pour accompagner les épreuves de son protagoniste. Un film sensible sur la perte de l’audition, l’ultime drame pour un musicien. Aussi violente sa musique peut paraître aux oreilles des non-initiés au métal, Sound of Metal ne vous laissera pas de glace dans son absence de bruit.
Ruben (hypnotisant Riz Ahmed) est un drummer dans son duo heavy-metal avec Lou (une Olivia Cooke à la fois sensible et fragile). En pleine tournée de van sur le territoire américain, Ruben subit une perte auditive de 75% aux deux oreilles en pleine performance. Trouble de cause inconnue, il s’entête à continuer la tournée, augmentant la pression sur lui-même et sa condition par le fait même. Lou force alors Ruben, à jeun depuis quatre ans, à consulter un sponsor. Lui étant impossible de communiquer par téléphone avec le sien, ils se rendront dans une communauté de malentendants. Vivant mal cette transition, Ruben met tous ses espoirs dans une chirurgie sensée compenser sa perte auditive. Alors que la tension monte, Lou décide de le laisser s’adapter à son état, isolé au sein de la communauté. Débute alors son apprentissage, possible seulement avec la baisse de ses gardes.
L’ampleur de Riz
Ahmed, couvert de tatouages, commande le film de sa présence. Il est du premier au dernier plan. Marder braque sa caméra sur cette évolution difficile face à sa nouvelle condition. Le travail de l’acteur est impressionnant puisqu’il s’agit majoritairement d’extérioriser son combat intérieur, combat d’acceptation de sa cécité auditive importante, mais également celui de sa sobriété. Riz Ahmed exécute parfaitement les deux, mais est principalement responsable de l’extériorisation de sa dépendance, la conception sonore jouant pour beaucoup dans la mise en contexte de sa condition. Marder et son équipe son ont travaillé la subjectivité auditive de Ruben, commençant souvent des scènes du point d’écoute (à défaut du point de vue) de leur protagoniste transférant à un son objectif, ambiant. Le truc est souvent maintenu plus de la moitié de la scène, créant une immersion forte pour le spectateur dans la nouvelle réalité de leur héros. Ahmed est à la fois physiquement impressionnant à commencer par son exécution des scènes à la batterie, pratique qu’il a étudiée plusieurs mois pour la maîtriser. L’aspect de son travail le plus fascinant demeure son intériorité extériorisée : le regard de l’acteur étant extrêmement riche. Le cinéaste et son directeur de la photographie (Daniël Bouquet) ont su parfaitement capter le sombre des yeux noirs d’Ahmed tout en captant chaque rayon lumineux qu’ils reflètent, bonifiant d’une intensité et d’une complexité à l’interprétation. Les grands yeux d’Olivia Cooke n’en sont pas en reste, étant tout aussi perçants dans sa détresse face à la détérioration de son partenaire musical et amoureux.
Main dans la main
La fragilité de Lou est plus en surface puisqu’adepte d’automutilation. L’interprétation de Cooke est très tendue, comme si Lou était toujours près du précipice. Cette tension insoutenable entre l’autodestruction de Ruben par le mal qu’il vit et la rechute possiblement imminente de Lou force leur séparation, une distanciation physique, non pas la fin de leur couple. Dans son séjour, que l’on estime à quelques mois, dans la communauté pour malentendants, Ruben évolue de junior (en classe avec les élèves d’une classe de primaire) à mentor, voire modèle, pour les jeunes. Le spectateur suit sa progression dans sa subjectivité, le langage des signes n’étant sous-titré qu’une fois maîtrisé par Ruben lui-même. Dans ces semaines d’immersion, il développe une relation de confiance avec Joe (Paul Raci), le doyen de la communauté. Relation qui se termine drastiquement lorsque Ruben déroge de sa progression et de son appartenance à ses paires en effectuant l’opération. Ce refus persistant de sa nouvelle condition culmine à une scène de cuisine tendue, sensible et extrêmement pertinente entre les deux hommes. Raci (fils de parents sourds dans la vraie vie) expose tout son talent dans cette scène de peu de mots. Scène pivot certes, mais une des plus grandes scènes du film de Darius Marder.
Finale douce-amère
Entre alors en scène Richard Berger (Mathieu Amalric), père de Louise, le vrai prénom de Lou. Sans avoir un rôle majeur, Berger est l’équivalent du Joe de Ruben pour Lou. Leurs retrouvailles seront douces-amères, mais dramatiquement maîtrisées. Les deux personnages ont alors évolué, indépendamment. La réalisation sensible de Marder, l’intensité dramatique des regards et les silences d’Ahmed et Cooke nous arrachent le cœur. Dans un tour de force, les deux acteurs rendent toute l’historicité et la nostalgie d’une relation en moins d’une minute. Le réalisateur termine son premier film sur une scène magnifique, optimiste et empreinte de sérénité, laissant le spectateur dans un sentiment de bien-être qui n’est pas de refus après ces montagnes russes d’émotion.
Si Sound of Metal a quelques raccourcis à des fins dramatiques (l’opération ne serait pas réaliste telle que montrée dans le film), on lui pardonne ces faits modifiés parce que la quête psychologique de Ruben est ce qui nous tient. Inspirée de l’histoire d’Edgar Livengood et Gazelle Amber Valentine et leur groupe Jucifer, le film était en développement depuis douze ans avec Derek Cianfrance (crédité ici pour l’histoire, Marder et Cianfrance ayant scénarisé The Place Beyond the Pines réalisé par Cianfrance) avant que Darius Marder en assure la réalisation. Si la conception sonore est une occasion ratée en ne sortant pas des sentiers battus, Sound of Metal demeure un premier film maîtrisé qui place son réalisateur comme un à suivre. Le film positionne surtout Riz Ahmed comme un acteur majeur, au charisme indéniable.
Bande-annonce originale :
Durée : 2h
Crédits photos : TVA Films et Amazon Prime Video