Sophie Dupuis : Au-delà de l’écriture

Le second film de la cinéaste Sophie Dupuis l’a eu difficile : sortie en octobre 2020 annulée des suites des mesures de la Santé publique lors de la deuxième vague, première de style ciné-parc en ouverture du Festival du nouveau cinéma annulée à cause de la météo, projection à Val d’or maintenue, mais sans la présence de l’équipe coincée à Montréal (zone rouge), seconde sortie à la fin avril 2021 repoussée. La première officielle a tout de même eu lieu en ouverture des Rendez-vous Québec Cinéma 2021, mais dans des conditions pas si optimales dues aux restrictions hygiéniques. Sortie(s) tendue(s) pour ce long métrage qui tient son spectateur en haleine. Souterrain prend finalement l’affiche le 4 juin 2021 pour le grand plaisir du public québécois, mais surtout pour sa réalisatrice et toute son équipe terminant ainsi les montagnes russes émotionnelles qu’a été ce processus de distribution.

Nous avons rencontré la cinéaste pour discuter du projet.

 

Marc-Antoine Lévesque : La réalisation de ce projet fut une longue route; 10 ans de travail! Est-ce qu’on pense que ça n’arrivera jamais?

Sophie Dupuis : Oui [rires]. Tout m’intéressait sur les mines. Je voulais parler de tout, donc mon entonnoir était trop grand. Il a fallu que je fasse un travail de choix. Je n’étais pas pressée. Je savais que ce ne serait pas mon premier film parce que c’était techniquement compliqué.

MAL : Avec Souterrain ton style est formellement très différent de Chien de garde [NDLR : notre critique ici], est-ce que la préproduction a été plus complexe outre ces 10 ans? 

SD : Avec Chien de garde tout s’est passé facilement du début à la fin. Avec Souterrain j’ai rencontré un peu plus d’embuches. Mais j’étais plus en confiance et j’ai confirmé ma méthode de travail, surtout avec les acteurs.

MAL : Avez-vous tout de même fait des répétitions comme c’était le cas pour ton premier film? Parce que Souterrain est moins intime que Chien de garde, c’est presqu’un film d’ensemble.

SD : C’est certain qu’avec Chien de garde c’était les deux frères et la mère. Là, c’était des plus petits morceaux [lors des répétitions]. C’est tellement important pour moi ce travail. Je veux que les acteurs me dépassent dans la compréhension et la maîtrise de leur personnage. Je les dirige là-dedans, mais je veux qu’ils créent au-delà de ce que j’ai écrit. C’est pour ça qu’on commence aussitôt le travail. Les acteurs trippent et donnent tout ce qu’ils ont. Ce sont des créateurs avant tout.

MAL : Au-delà d’avoir des acteurs en tête à l’écriture, est-ce qu’ils font partie de ton processus de création?

SD : À chaque film que je fais, j’ai l’impression d’un peu gaspiller ce talent-là, l’apport créatif qu’ils peuvent apporter au projet; autant au personnage qu’à l’histoire. C’est pour ça que je suis en train d’expérimenter des nouvelles façons d’écrire des films en incluant les acteurs plus tôt dans ma démarche. Ils peuvent tellement nous amener dans des avenues intéressantes, au moment où ils s’approprient le personnage. Et souvent, je tourne par exemple dans trois semaines et je ne peux pas changer mes scènes en intégrant les suggestions [des acteurs]. C’est du gaspillage.

MAL : Le temps de répétition, c’est l’espace du changement? De permettre le changement?

SD : Exact. Disons, à cinq semaines [avant le tournage] on fait les répétitions. Les lieux sont déjà choisis, l’horaire est déjà fait. Ce n’est plus le temps pour les changements. Je veux profiter de cette imagination-là, de cette création-là. Des fois, je réécrirais des trames complètes avec ce que les acteurs m’amènent.

MAL : J’imagine donc que les répétitions n’étaient pas exactement comme pour ton premier film?

SD : Pour les répétitions de Souterrain on est allé faire une formation de sauvetage minier en accéléré à Québec. C’était pour que les acteurs portent les équipements. Qu’ils sachent comment ça fonctionne. Avec cet apprentissage-là, je leur remettais certaines responsabilités dans les mains. C’était tellement gros ce tournage, que je ne pouvais pas m’occuper de tous ces détails. Les répétitions étaient plus des scènes entre quelques acteurs, principalement avec Joakim [Robillard].

MAL : L’univers minier, c’est un milieu que l’on a peu vu au cinéma. C’est quelque chose d’énorme surtout si tu tiens à une fidélité dans la représentation du milieu. Ça met de la pression d’être fidèle, mais aussi de rendre hommage en quelque sorte à ce milieu?

SD : Je veux surtout que ce soit réaliste. Je veux que les mineurs se reconnaissent dans le film. Au-delà de tout ça, ce qui était trippant c’est le lien qu’on a eu avec les mineurs là-bas. Les mineurs, les figurants, les sauveteurs, ce sont tous des vrais professionnels. Ils sont devenus nos conseillers. Je me tournais vers eux souvent pendant que je faisais ma mise en scène. Des fois ils allaient parler aux acteurs pour leur dire « on dirait ça comme ça » et je disais aux acteurs de les écouter. D’autres fois je disais “coupé” et je me tournais vers les mineurs à côté de moi en leur demandant si la scène était correcte. Les gars se sentaient investis et étaient fiers de partager le métier qui les passionne. Ils sont devenus des collaborateurs du projet.

MAL : De petite famille dans Chien de garde, t’es passée à une plus grande famille?

SD : Je pensais que j’allais faire un film sur un autre sujet. Mais non, j’ai encore fait un film de famille [rires].

MAL : Le film est un peu plus grand public.

SD : Oui. On voulait faire ça. C’était assumé à 100%. Je veux que tous les spectateurs se sentent visés et inclus, que le film leur parle. C’est important pour moi.

MAL : Est-ce que la postproduction était plus ardue vu l’ampleur du projet?

SD : On a coupé beaucoup de scènes. On a réécrit le film au montage contrairement à Chien de garde qui est assez fidèle au scénario. Ici, on a enlevé des trames. J’avais beaucoup de choses à dire [rires]. Plus grosse étape pour la musique par contre. Les musiciens ont été inclus tôt dans le processus. Seulement à partir d’images, ils nous envoyaient des morceaux. Ma façon de diriger mes compositeurs c’est avec les émotions parce que je ne connais rien en musique. Mes compositeurs sont super avec ça. Ils nous envoyaient des maquettes et on montait avec.

 

Bande-annonce originale :

Crédits photos
Photo de couverture : Prune Paycha
Affiche : Axia Films
Photos de plateau : Christian Leduc

Vous aimerez aussi

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *