Irlande, 2018.
Note : ★★★★
« I have two thousand years of that stinking sow that was Ireland resonating in my ears, in my mouth, in my eyes, in my head, in my dreams ». Au même moment où il prononce cette phrase, Joe Heaney (Mícheál Ó Chonfhaola) regarde le paysage somptueux qui le ramène à sa jeunesse où l’immense territoire irlandais ainsi que ses chansons traditionnelles, les sean-nós, l’ont marqué d’une manière puissante et indélébile.
Le documentariste irlandais Pat Collins nous plonge dans un mystérieux et très expressif portrait en noir et blanc du chanteur de musique traditionnelle irlandais Joe Heaney. Le présentant dans trois moments de sa vie, chaque fois interprété par des acteurs formidables qui nous fascinent à la fois par leur présence à l’écran ainsi que par la manière dont ils semblent vivre leur vie intérieure, le réalisateur arrive habilement au travers de ses nombreux plans expressifs de paysage à nous faire ressentir la solitude de cet énigmatique personnage.
Ce récit s’éloigne du documentaire traditionnel par ses choix narratifs et esthétiques qui se rapprochent davantage d’un essai cinématographique que d’une biographie. Et cela joue grandement en sa faveur. Ponctué par-ci par-là de séquences d’archives, le film se construit principalement au travers de scènes reconstituées, de plans de paysages et de plans plus abstraits et expressifs facilitant la plongée dans l’univers du chanteur. De la même manière que le territoire irlandais semble habiter profondément l’âme, le corps et le cœur de Joe Heaney, la musique habite le film pour devenir rapidement un personnage invisible mais indispensable. Ces chants traditionnels, qui viennent ponctuer le récit parfois comme une voix off, parfois directement dans le récit par Joe ou par d’autres habitants, plongent le spectateur dans une réflexion sur la façon dont un territoire et sa musique peuvent construire une identité. Cette musique frappe droit au cœur et seuls les insensibles n’auront pas envie d’en découvrir davantage après le visionnement du film.
Un autre aspect qui confirme l’habileté du réalisateur à construire son film est la manière dont il crée les transitions entre le jeune homme, l’homme et le plus vieux. Grâce à un regard soutenu vers quelque chose hors cadre, un son, un plan un peu flou un jeu de lumière ou le paysage, il nous amène à réfléchir et à imaginer.
« Do you know, in all the old stories, why it is that the warrior always kills the beast ? »
« I don’t know »
« Because it is the warrior who tells the story »
« How do you mean ? »
« Sometimes, I don’t know if i’m the warrior or the beast ».
Interprété par trois comédiens fascinants (Colm Seoighe, Mícheál Ó Confhaola et Macdara Ó Fatharta), et particulièrement Colm le jeune homme dont la présence dans l’immensité du paysage est hypnotisante, Song of Granite est un film magnifique, intrigant, sensible et expressif qui nous guide par sa beauté et sa lenteur dans l’âme même de l’Irlande.
Le film représentera d’ailleurs l’Irlande dans la 91e course aux Oscars pour « le meilleur film en langue étrangère ». On lui souhaite la meilleure des chances.
Durée : 1h37