Etats-Unis, 2015
Note:★★★★
Sicario, un film viscéral et visuellement abouti où la tension dramatique est à son meilleur
Septième long métrage de Denis Villeneuve, Sicario, qui signifie tueur à gages en espagnol, raconte l’histoire de Kate (saisissante Emily Blunt) recrutée par une force spéciale du gouvernement américain, pour mener à bien une mission, visant à démanteler le cartel de la drogue mexicaine. Tout au long de son périple, elle sera accompagnée de Matt Grever (Josh Brolin), chef des opérations en flip-flop, mâchant de la gum non sans décontraction ce qui contrebalance avec une job, au quotidien plutôt pesante. En outre, elle sera épaulée par Alejandro (Benicio Del Toro), un mystérieux consultant au passé trouble qui agira à titre de mentor pour elle. Personnage foncièrement idéaliste, Kate devra pourtant changer son fusil d’épaule afin de s’adapter à une réalité de terrain qu’elle ne connaissait pas et qui va, dès lors, chambouler ses convictions personnelles.
L’œuvre est dans la lignée d’Incendies ou Prisoners du même réalisateur, c’est à dire sombre et dérangeante. Il nous dépeint ici une société du crime construite sur la mort de milliers de personnes comme en témoigne la scène d’ouverture du film, à la réalisation singulière et au montage dynamique, dévoilant des dizaines de morts emmurés dans une maison, lieu clef lié à Manuel Diaz, chef du cartel. L’action se situe entre l’Arizona et la ville de Juarez, aux paysages à la fois désertiques, rudes et sévères, à l’image de la vie quotidienne des habitants du coin. A ceux-ci, s’opposent des plans en plongée sur les banlieues, qui créent alors un climat oppressant, appuyés par la superbe direction photo aux teintes jaunâtres de Roger Deakins (habitué des Frères Coen). L’immensité de ces espaces, et leur beauté brute, semble au final être là pour sonder des personnages qui se perdent dans le décor comme dans leurs histoires. En effet, Kate est aux prises avec des doutes quant à l’attribution de ses nouvelles tâches. Alors qu’avant elle aurait suivit à la lettre les indications fournies par le bureau chef, elle se questionne maintenant sur les moyens de faire avancer l’opération. Son double, que l’on aperçoit plusieurs fois dans un miroir, accentuera ce trouble qui la ronge de l’intérieur. Elle apprendra à ses dépends qu’il faut parfois savoir transgresser les règles pour arriver à ses fins. Alejandro, lui, c’est un être au regard tendre mais qui pose des gestes durs à l’égard de ses victimes. Il agit instinctivement, sans état d’âme. L’affection qui le lie à Kate, comme une fille peut manquer à son père, tranche avec la froideur de ses actes. Néanmoins, s’il aide les deux américains, c’est avant tout pour satisfaire un dessein personnel.
La musique tonitruante de Sicario continue de nous hanter longtemps…
Ne sombrant jamais dans la facilité, la dernière offrande du québécois fait la part belle à la musique toujours diégétique (l’islandais Johann Johannsson) qui aide à la complexité du scénario. Des sons oppressants, lourds et graves, avec des percussions en toile de fond continuent de faire monter la pression crescendo. On pense à cette scène d’embouteillage spectaculaire où on nage en pleine zone grise à savoir la légitimité de tuer des dizaines de personnes pour n’avoir le but d’en atteindre qu’une seule. L’intelligence de la réalisation de nous présenter les forces américaines toujours en ligne droite, les voitures se suivant de près constamment, nous laissent entrevoir une manière de penser où l’on ne transige pas.
Malgré tout ce soucis du détail, Sicario n’est pas un film bavard. Même s’il a beaucoup de choses à dire, le réalisateur n’a de cesse de suggérer plutôt que d’imposer. A l’action principale, Denis Villeneuve greffe des scènes de tendresse entre un père, policier corrompu, et son jeune fils, joueur de soccer. Ces moments de pause semblent être là pour faire écho aux intentions d’Alejandro qui ne cherche finalement qu’à se battre pour sauver ces vies de familles instables, dont la violence fait partie intégrante du quotidien (affiches de gens disparus, morts suspendus). De bien rares moments de silence annonçant le chaos à venir qui ne nous quittent pas, même une fois sorti de la salle.
Durée: 2h01