Pieces of a Woman : L’odeur de la pomme

Canada, Hongrie et États-Unis, 2020
Note : ★★★★

Le réalisateur Kornél Mundruczó, connu surtout pour White God qui s’était mérité le prix Un certain regard à Cannes en 2014, quitte sa Hongrie natale pour un premier film en langue anglaise avec cette coproduction tournée entièrement à Montréal. Pieces of a Woman explore le deuil, de manière crue et difficile, mettant surtout de l’avant l’intérieur anéanti de cette femme brillamment interprétée par Vanessa Kirby. Un film qui ne laisse rien derrière et montre tout le processus d’un deuil impossible à surpasser et difficile à exprimer.

Martha (Kirby) est enceinte. Elle est sur le point d’accoucher. La naissance, légèrement hâtive, doit se produire à la maison avec l’aide d’une sage-femme, Eva (Molly Parker). L’accouchement se transforme rapidement en drame à l’arrivée de complications qu’Eva ne peut résoudre. L’enfant ne survit pas à celles-ci, laissant Martha et son conjoint Sean (Shia LaBeouf) dans un deuil qu’ils peinent à affronter, envenimant leur relation.

Une actrice

Même si la réalisation de Mundruczó se démarque dans quelques scènes de plan-séquence, ce qui prend toute la place, c’est la performance de Kirby. Connue surtout pour son rôle de la Princesse Margaret dans la série The Crown, l’actrice a en Pieces of a Woman un véhicule parfait pour étaler l’étendue dramatique de son talent… qui pourrait bien la mener jusqu’aux Oscars, déjà en bonne position avec son prix d’interprétation à la Mostra de Venise 2020. Outre le spectacle que le deuil de son personnage lui offre, Vanessa Kirby assure. Sa Martha souffre certes, mais elle sait parfaitement doser l’expression de cette souffrance, tant intérieure qu’extérieure.

Déjà dans les premiers instants du film, Vanessa Kirby a la caméra braquée sur elle pendant de longues minutes. Le cinéaste a fait le choix, pour installer une tension qui devient progressivement dramatique, de mettre en scène l’accouchement dans un plan-séquence de près d’une trentaine de minutes. Le ton est donné. Kirby doit alors jongler entre une chorégraphie particulière qu’impose la grossesse de son personnage, un jeu extrêmement physique qu’implique un accouchement, peu de dialogue et beaucoup de voix. Une tâche qui se remarque et se démarque. Shia LaBeouf est fidèle à lui-même tout au long du film avec l’intensité qu’on lui connaît depuis quelques années.

Le deuil

Si cette première scène, qui précède le titre, est circonscrite dans le temps, ce qui suivra se produit sur un an. Le réalisateur hongrois dissèque et montre chacune des étapes, chacune des violences que Martha et Sean vivent dans cette perte. Il débute ce processus de deuil de manière explicite dans une rencontre du couple avec le coroner et l’autopsie de leur nouvelle-née allant jusqu’à aborder abondamment les différences d’opinions sur ce que le couple doit faire de la dépouille de leur enfant. S’en suit une suite de moments anodins qui ne ramènent que dans ce deuil; de la routine vide de sens aux rencontres fortuites d’une nouvelle mère ou d’une connaissance ayant pitié d’elle ou encore de produits de consommation qui lui rappellent sa maternité cruellement avortée.

Justice et détérioration

Le scénario de Kata Wéber ajoute une quête juridique au couple puisqu’il poursuit la sage-femme pour manquement professionnel. Cette ligne narrative permet une perspective plus factuelle, mais empreinte d’obsession dans l’entourage du couple comme un point de fuite où concentrer la douleur, en l’occurrence sur une coupable, même si la condamnation souhaitée allègerait en rien l’immense perte vécue. Si cette ligne structure d’une certaine façon l’évolution du deuil, comme des étapes à franchir, les développements autour de cette ligne sont une détérioration progressive de leur état psychologique, physique et de leurs rapports aux autres. Le cliché de la consommation d’alcool et de drogues est présent, mais n’est pas le focus. Le cinéaste l’utilise plutôt comme une conséquence collatérale. Martha et Sean quittent tous les deux leur emploi, les deux étant dans une phase d’autodestruction et de destruction mutuelle. Cette destruction est basée sur une réaction différente face à leur deuil : Martha étant plus pragmatique alors que Sean est plus romantique. Ils s’opposent constamment sur l’existence de leur fille morte; elle voulant retirer tout objet lui rappelant son drame (voir la scène de la chambre du bébé), lui voulant célébrer son existence aussi courte fut elle. Ces processus opposés ne font que creuser un fossé entre les deux menant à l’infidélité de la part de Sean avec leur avocate (Sarah Snook), infidélité égalée par l’obsession intérieure maladive de Martha. Les retrouvailles sur plan émotif entre les deux ne sont alors plus possibles.

La fin de leur couple est cristallisée dans un second plan séquence mettant en scène un repas familial chez la mère de Martha (la toujours excellente Ellen Burstyn) en présence de sa sœur Anita (interprétée par l’humoriste Iliza Schlesinger). Repas où Martha sort de son mutisme apparent pour exprimer son processus de deuil, poussée par la provocation que lui fait subir l’obsession de sa mère envers le procès d’Eva la sage-femme. Dans cette scène pivot, chacun exprime leur rapport au deuil. La confrontation finale de cette scène entre Elizabeth (Burstyn) et sa fille est forte en émotion. Les deux actrices s’affrontent dans un sans faute nous rappelant (s’il est vraiment nécessaire de le faire) que Ellen Burstyn sait profondément nous toucher même lorsqu’elle joue, en quelque sorte ici, une antagoniste.

Une autre scène permet à Vanessa Kirby de briller : celle du procès où Martha s’adresse à la Cour dans un monologue sur son expérience. Si narrativement ce genre de scène pourrait être catégorisée de cliché, le texte de Wéber, la réalisation de Mundruczó et l’interprétation magistrale de Kirby nous le font oublier. Ce discours incarne ce moment de relâchement, libérant une tension maintenue depuis le début du film. Pieces of a Woman n’a que très peu de moments optimistes, mais se termine sur une note plus joyeuse, démontrant que la vie continue malgré les épreuves traversées.

Pont et pommes

Le film est parsemé de métaphores et de détails qui nourrissent sa complexité. La pomme, image emblématique de la fertilité féminine (ce fruit complexe est en fait l’ovaire du pommier), parsème les 126 minutes de Pieces of a Woman. Le fruit est toujours montré en relation avec Martha lors d’un moment d’intériorité et de solitude. Dans une symétrie inverse, des images d’un pont aux différentes étapes de sa construction font un parallèle à la destruction de la relation entre Martha et Sean. Ce dernier étant travailleur sur ce même chantier, nous pourrions rattacher ces images à sa situation personnelle, mais plus le pont se forme, plus sa relation avec Martha se déforme. La métaphore fonctionnerait plutôt bien si ce n’était pas du fait que l’histoire du film est située à Boston. Le problème étant qu’il s’agit du pont Samuel-De Champlain, facilement reconnaissable pour le public québécois. Le principal point négatif du film demeure cet échec, pour un public montréalais du moins, de faire passer Montréal pour la plus grande ville du Massachusetts : difficile d’y croire quand la tour de Radio-Canada est clairement identifiable à chaque image du pont. Autre point négatif : la sous-utilisation de l’acteur et réalisateur Benny Safdie (Good Time, Uncut Gems).

Pieces of a Woman est certes un film sur le deuil et les conséquences d’une perte incommensurable, mais est également un film sur la prise de parole d’un processus de création de sens où sens il n’y a point. Kornél Mundruczó réussit, principalement par son travail avec son actrice principale, mais également par quelques plans de lèvres (Martha, Elizabeth, Eva), à rendre cette complexité qu’est l’articulation en mots de cette épreuve. Film éprouvant, mais bien maîtrisé.

 

Bande-annonce originale :

Durée : 2h06

Disponible sur Netflix dès le 7 janvier 2021.

 

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