Allemagne, 2018.
Note: ★★★
Qu’est-ce que l’art et à quoi sert-il? En dépeignant près de trois décennies de la vie d’un jeune artiste nommé Kurt Barnert (interprété par Cai Cohrs, puis Tom Schilling), librement inspirée du peintre allemand Gerhard Richter, Florian Henckel von Donnersmarck propose quelques avenues possibles à cette question sur fond de montée du nazisme et d’après-guerre en Allemagne.

Pour un film abordant principalement l’art visuel, la scène d’ouverture se veut être une excellente entrée en matière. Alors que l’on suit le discours d’un guide d’une exposition « d’art dégénéré », terme issu du régime nazi pour qualifier l’art moderne, la caméra fait tout sauf suivre l’action. Au contraire, tel un jeune garçon curieux, son regard se pose lentement d’une œuvre à l’autre, complètement indifférente au discours ambiant. Cet enfant, Kurt, découvre l’art. Point central du film, la définition du geste artistique reçoit ici une première ébauche de réponse. Il serait davantage dans l’œil de celui qui s’y arrête que dans le tourbillon de discours entourant l’œuvre. Cette idée sera renforcée peu de temps après alors que Kurt, devant Elisabeth (interprétée par Paul Beer), sa jeune tante nue, reçoit l’injonction suivante : « Ne regarde jamais ailleurs, Kurt. Tout ce qui est vrai est beau. » Et cette vérité, où se trouve-t-elle? Elisabeth tentera de l’initier à cette sensibilité du monde qui l’entoure. Marginal à tout le moins, son comportement, considéré comme de la schizophrénie par le régime, amènera les autorités à l’interner. Lorsqu’on vint la chercher, Kurt regarda sans se détourner.

L’art au service du peuple
Après cet apprentissage à la sensibilité artistique, nous retrouvons Kurt en jeune artiste dans l’Allemagne de l’Est. Rapidement, on le met en garde contre les dérives du formaliste. Il est plutôt encouragé à développer un art au service du peuple. Ce n’est qu’en passant à l’Ouest qu’il pourra enfin se reconnaître comme créateur et peut-être trouver ce qui est vrai. La pratique artistique libérée de ses dictats idéologiques n’est toutefois pas que fleurissante. Sans ces balises si contraignantes, l’art s’expose alors facilement à sa marchandisation. Advient alors la même dichotomie qu’en ouverture, soit entre la perception première de l’œuvre et le discours dont on peut la draper.
Le film respecte bien son sujet avec une caméra à l’avant-plan lors des trois heures de projection. Une caméra tantôt froide, comme ce médecin membre des SS, sinon frivole et exaltante dans la frénésie de la création. Généralement efficaces et adéquates, les images permettent au long-métrage de bien naviguer jusqu’à bon port. La réflexion artistique est réellement le moteur du film alors que la trame narrative permet surtout de ponctuer les différentes esquisses de réponses que propose von Donnersmarck. Si le scénario s’étire par moments, il rend bien le tortueux processus de création. Comme quoi c’est par notre regard que l’on donne une valeur aux banalités du quotidien.

Film-fleuve, Never Look Away (ou Werk ohne Autor) amène le spectateur à la patience que requiert la contemplation artistique tout en demeurant assez froid et distant. Ce sera au spectateur d’élaborer sa propre vérité. Preuve que la valeur de l’œuvre est dans l’œil de celui qui la regarde.
Durée: 3h08