Québec, 2019
Note: ★★★ 1/2
Les amis ne jugeraient pas. Regardez-les, voilà qu’ils s’échangent des regards et des hochements de tête complices. Ils savent forcément, ils ont même l’air d’accepter. C’est qu’ils voient mal ce que ça changerait, que Matthias ait le béguin pour Maxime. Qu’il soit même amoureux de lui. Mais pour Matthias, ce n’est pas tant le regard potentiellement critique des autres qui le gêne, que celui qu’il porte sur lui-même. Et Matthias ne s’aime pas. Il se déteste même.
Ils ont grandi ensemble, mais proviennent de classes différentes. Le premier d’une famille aisée, le second d’une cellule orageuse avec en son centre une mère toxicomane. Aujourd’hui approchant la trentaine, Matthias (Gabriel D’Almeida Freitas) est un avocat promis à un bel avenir, tandis que Maxime (Xavier Dolan) travaille dans un bar et s’occupe de sa mère en retraite imposée, aujourd’hui sobre mais toujours instable. Maxime, la moitié gauche du visage balafrée d’une tache de vin, signe d’un embarras qui l’habite sourdement, semble vivre dans un état d’angoisse perpétuel, incompatible à ce qui l’entoure.
La bande se réunit pour fêter dans un chalet. Retombées d’un pari stupide, Matthias et Maxime devront jouer dans le court métrage de la jeune sœur de l’ami Rivette (Pier-Luc Funk), archétype du film étudiant faussement deep, caméra Super 8 incluse. Le hic, c’est que les deux amis devront s’embrasser devant la caméra, ce qui provoquera chez Matthias, en couple avec une jeune femme douce et attentionnée (Marilyn Castonguay), un torrent de sentiments contradictoires. Maxime semble plus en paix avec son attirance pour les hommes, bien que sa relation avec une collègue de travail (Catherine Brunet) soit des plus ambiguës.
Matthias aurait-il honte de s’avouer gai ou bisexuel ? Ce qui l’effraie en réalité est cette prise de conscience que sa vie en apparence parfaite n’aurait été qu’un leurre, qu’une construction d’artifices miroitants. Le mensonge, à force de répétitions, n’invalide pas les sentiments éprouvés, il les révèle crûment. L’enjeu, c’est également de perdre pour de bon la dernière chose qui le relie à l’enfance; c’est le risque, en gagnant un amant, un amoureux même, de perdre un ami avec qui il a tout partagé.
Reculade
Pour Dolan, Matthias et Maxime marque un retrait stratégique, après le foutoir ciminesque (allez lire sur la production de Gates of Heaven, puis faites un ACV) qu’a été « L’affaire John F. Donovan ». Drame intimiste faisant fi des exubérances attendues, ce huitième film en dix ans est teinté d’une mélancolie franche, celle des amours qui n’ont plus rien d’imaginaire, qui sont tangibles au point d’effrayer. Pour une première fois peut-être dans l’œuvre du cinéaste, une conscience du temps qui passe, de la jeunesse (constitutive du mythe Dolan) qui s’estompe peu à peu pour laisser place à l’inconnu, à une vieillesse que le cinéaste a toujours abordée avec une certaine forme de dédain et de cynisme.
Film de retrait ou de transition, néanmoins miné par les marottes récalcitrantes. Vous savez, durant chaque réveillon en famille, la gamine de six ans qui vient faire son numéro de claquettes sous les applaudissements de matantes échauffées au vin blanc ? Et bien, imaginez cette gamine faire le même numéro tous les Noëls, en quête d’attention, jusqu’à l’âge de 27 ans. Malaise. Seront ressassées dans Matthias & Maxime les frivolités déjà présentes dans J’ai tué ma mère, les ralentis et les accélérés, l’hystérie logorrhéique et ces vieilles bourgeoises excentriques, qui ne font plus rire personne depuis belle lurette, à mitrailler sans procès (s’cusez-le).
Dolan brille ailleurs, dans les moments de tendresse et d’accalmie. Comme lors de scènes poignantes, toutes simples, où des regards échangés entre Maxime et de purs inconnus dans divers transports en commun traduisent son mal-être, sa fragilité et son désir de créer un contact avec les autres. Une conscience de l’espace se fait ressentir, les tours vitrées dans lesquelles Matthias gravit les échelons donnant de l’ombre aux zones désaffectées où Maxime erre, d’une horizontalité sans issue rappelant la banlieue de Mommy.
Gabriel d’Almeida Freitas et Xavier Dolan livrent de grandes performances en demi-teintes, leurs personnages dans l’expectative d’un autre fuyant, insaisissable (ils seront rarement ensemble à l’écran). Nous aurions apprécié une Anne Dorval (marotte, quand tu nous tiens) plus subtile, d’une neutralité suisse, le visage un peu moins sale, s’offrant sans filtre dans un spectacle, avouons-le, grand-guignolesque. Dans un autre registre, et pour ceux qui l’ignorent encore, Micheline Bernard est un trésor national (une bonne raison de faire l’indépendance : mettre sa face sur nos 10 piastres), pourtant réduite à des rôles de mère, mais toujours excellente, d’une générosité et d’une chaleur sans borne. Et les ami-e-s, on donne bientôt un premier rôle de choix à Marylin Castonguay, d’accord ?
Ce que j’ai voulu dire (en gardant le silence)
S’exposer devant les caméras, pour l’art, par orgueil ou par défi, n’implique au final pas grand chose. Mais avouer à quelqu’un, en pleine conscience, qu’on l’aime réellement, s’exposer au rejet, à l’incompréhension, voire au mépris, nécessite du courage. De tous les films de Xavier Dolan, Matthias et Maxime est l’un de ceux qui abordent l’enjeu du sentiment amoureux avec la plus grande subtilité. Il ne faut pas confondre distance et passivité : le cinéaste est attentif, mais laisse aller son récit sans le prendre en otage, signe certain d’une nouvelle maturité acquise.
Durée: 1h59