Québec, 2021
★★★ 1/2
Maria Chapdelaine est la quatrième adaptation du roman éponyme de Louis Hémon publié en 1913 qui brosse le portrait d’une époque teintée de violence et de rudesse. C’est une œuvre hautement esthétisée et magnifiquement peaufinée que Sébastien Pilote nous livre. Il actualise cette histoire maintes fois portée à l’écran, d’abord en 1934 par le français Julien Duvivier, en 1950 par Marc Allégret, puis par Gilles Carle en 1982. Pilote offre une tout autre interprétation de ce récit désormais mythique, en lui donnant un nouveau souffle.
Poétiser l’ordre naturel des choses
Sara Montpetit personnifiant Maria Chapdelaine rayonne dans son premier rôle au cinéma. L’histoire se construit autour du questionnement de celle-ci âgée de dix-sept ans, quant au choix du mariage. Face à ses trois prétendants, la fille de Laura et Samuel Chapdelaine se voit confrontée à ses émotions, à l’hostilité de la vie en bordure de la rivière Péribonka, au nord du Lac-Saint-Jean.
La direction photo de Michel La Veaux magnifie l’image du territoire brut, rude et ardu du Québec. Les plans, tous merveilleusement peaufinés, mettent en évidence la poétique dualité entre le romantisme du terroir et la violence qui a forgé l’Histoire de tout un peuple qui est le nôtre. Les éclairages jouant tantôt sur les couleurs chaudes du soleil et de la terre, tantôt sur celles impitoyablement froides, participent au binarisme entre la beauté que recèlent les traditions et la figure mythique de l’homme des bois. La direction photo illumine le corps presque céleste de Maria, ivre d’amour et bientôt emportée par le désespoir.
Chacun des plans méticuleusement réfléchis sublime l’impuissance de l’Homme face à son environnement. Pilote travaille l’image de la même manière que Laura (Hélène Florent) et Samuel Chapdelaine (Sébastien Ricard) labourent et exploitent leur terre, avec ardeur et précision. Les cadrages rapprochés percent l’âme impénétrable de ces personnages impassibles. L’accès à une telle proximité affective témoigne de la complexe introspection qu’a faite le réalisateur pour arriver à un tel remaniement du texte pour lequel il semble vouer une admiration incommensurable. On arrive à ce constat en se remémorant les subtiles références au roman dans ses œuvres précédentes, plus spécifiquement, dans Le Démantèlement et Le Vendeur. Les nombreux plans rappelant ceux de John Ford dans The Searchers poétisent la simplicité et la beauté de l’ordinaire en plus de dresser un portrait lyrique de la solitude.
Transcription auditive et visuelle d’une poétique de la ruralité
La sublime musique originale que signe Philippe Brault amène à elle seule une dimension poétique qui est envoûtante. Celle-ci accompagne avec justesse les émois amoureux, sentimentaux de chacun des personnages principaux. Le travail de l’espace sonore creuse davantage l’isolement que l’on constate et que l’on ressent au cours du visionnement. Le cinéaste réussit à emprisonner ceux appartenant à cet univers dans leur environnement familial et physique. Il piège le spectateur dans une cellule émotionnelle, ne lui laissant aucun autre choix que de pénétrer dans cette bulle diégétique qu’est la terre des Chapdelaine. Un espace loin de la civilisation et de ses méandres. Celui-ci est barricadé par une clôture et par les nombreuses souches d’arbres qui s’apparentent à un cimetière. On ne voit jamais l’horizon, de la même manière que l’on ne peut jamais rêver la fin du calvaire imposé par la vie de colons. Le jeu des acteurs est remarquable, Hélène Florent en incarnant la mère transcende particulièrement l’écran. Elle ne fait pas qu’interpréter un rôle, elle le vit entièrement et intègrement. C’est sans oublier la performance de Sébastien Ricard, par sa surprenante imprégnation émotionnelle, il achève de complexifier Samuel. La distribution composée de Martin Dubreuil incarnant Edwige Légaré, Gilbert Sicotte dans la peau d’Éphrem Surprenant et Gabriel Arcand dans le rôle du Docteur, perfectionne le tout.
Cette adaptation cinématographique se distingue par sa capacité d’approfondir les trois prétendants de Maria : Eutrope Gagnon (Antoine Olivier Pilon), Lorenzo Surprenant (Robert Naylor) et François Paradis (Émile Schneider). On personnalise chacun de ces hommes et l’on va au-delà d’une incarnation de trois archétypes, contrairement au roman qui les anonymise en manquant de développer la dimension psychologique de ceux-ci. François Paradis est investigué en profondeur et contraste avec la maigre description que nous offrait le roman. Malgré les nombreuses forces du film, la longueur de certains plans est parfois pénible. Le scénario est superbement travaillé et maîtrisé, mais l’œuvre beaucoup trop longue rend le visionnement ardu par moments. Il s’émane de Maria Chapdelaine une beauté et un lyrisme irradiant. Cette dernière réalisation de Pilote se doit indéniablement d’être vue. Il renouvèle la perception collective de ce classique du terroir et propose une adaptation qui détonne par son style épuré.
Bande-annonce originale :
Durée : 2h38
Crédit photos : MK2 Mile End