Marguerite et Julien: l’amour sans frontières

France, 2015

Note: ★★★1/2

Après l’acclamé La guerre est déclarée, et le très sympathique Main dans la main, Valérie Donzelli signe avec Marguerite et Julien une œuvre truffée d’insolence : l’histoire véridique de l’indéfectible amour d’un frère et d’une sœur dans un 17ème siècle moralement étriqué. Cet amour impossible dépassera vite l’entendement et conduira ces personnages vers une fin inéluctable.

Membres d’une fratrie de 11 frères et sœurs, Marguerite et Julien de Ravalet développent l’un envers l’autre, et ce depuis l’enfance, un amour platonique qui deviendra avec le temps une passion dévorante et destructrice. Rapidement, leur forte complicité convaincra leurs parents de les séparer en envoyant Julien dans un collège éloigné. Malheureusement, l’isolement et la notion d’interdit feront accroître leur désir et ce n’est ni le mariage forcé de Marguerite avec un homme de 32 ans son aîné, ni les conventions sociales et la bonne morale qui auront raison de leur dévotion. L’inavouable aux yeux de tous se concrétisera lors de leurs retrouvailles et de leur fugue à venir. Ils seront alors perçus comme des Roméo et Juliette qui courent à leur perte en consumant leur amour. Jugés pour adultère et inceste, il n’y aura que la mort pour les désunir à l’instar des deux amants de Vérone. Le générique, composé de clichés du couple, sera l’unique représentation de cet amour emprisonné.

« Ils ont mis tout en œuvre pour nous séparer mais rien n’y fera, on ne peut pas séparer le sang des veines, la sève de l’arbre, ni le sel de la mer. »

Marguerite & Julien : Photo Anaïs Demoustier, Jérémie Elkaïm
Copyright Wild Bunch Distribution

De nos jours, ce qui rend le film audacieux n’est que le reflet des années 1970 en pleine libération sexuelle, explicitant l’abandon du projet par Francois Truffaut à qui le scénario original était destiné. En effet, trouvant l’idée commune et un peu trop en vogue (l’amour d’une mère pour son fils dans Le souffle au cœur de Louis Malle), il déclinera le script de Jean Gruault (décédé en juin dernier). Ce n’est que bien plus tard que la réalisatrice étudiera le sujet et décidera de remanier puis de revisiter librement l’histoire des deux amants. Elle dira avoir réalisé non pas un film d’époque mais “de l’époque” où le vrai côtoie le factice. Par exemple, le château que l’on voit à l’écran est la véritable demeure de la famille de Ravalet participant ainsi au caractère romanesque d’une œuvre aux saisissants contrastes de lumières. À l’opposé, beaucoup d’anachronismes sont utilisés, notamment en musique (la bande sonore est de Yuksek), pour insuffler un élan dramatique qui va crescendo, rappelant l’effort de Sofia Coppola dans son Marie-Antoinette édulcoré et modernisé. La distance imputée à certains faits historiques est alors présente pour mieux nous faire pénétrer dans l’univers de Donzelli qui fait vivre au spectateur une expérience sensorielle unique par le biais d’images stylisées (le fantôme de Julien qui s’en vient relever le corps de Marguerite inconsciente). Un parti pris surprenant mais qui, en bout de ligne, séduit par sa fragile impudence. En outre, la narration confiée à une jeune fille d’un orphelinat participe à la dichotomie entre le réel et l’imaginaire, distillée tout au long du film, inscrivant l’œuvre dans une temporalité incertaine. On est dans le domaine du conte où la princesse, en l’occurrence Marguerite, est retenue prisonnière dans son château tandis que Julien doit escalader jusqu’à sa fenêtre afin de la retrouver. Utilisée à maintes reprises, l’ouverture à l’iris dans le montage, accentue cette idée là comme une loupe sur un pan de l’histoire où la nature répond aux actes des protagonistes (arbre qui saigne, hibou qui montre la direction à prendre).

Un film culotté débordant d’effronterie.

Marguerite et Julien AfficheSi, de prime abord, il n’est certes pas facile de s’identifier au couple (tiraillé tout comme les parents et le spectateur), la metteur en scène se questionne sur l’inné et l’acquis en filmant la naissance de leurs sentiments et les troubles qui les accompagnent. Comme à son habitude dans son cinéma, c’est l’amour qui jette son dévolu sur les personnages et non l’inverse. Ils ne sont pas malades et n’ont rien choisi si ce n’est de faire face à leurs tourments intérieurs. Marguerite est une jeune femme empêchée et étouffée qui respire seulement dans les bras de son frère et ne voit qu’à travers le regard de ce dernier.

Avec déjà 4 films à son actif, Valérie Donzelli confirme son talent de direction d’acteurs et retrouve pour notre plus grand plaisir Jérémie Elkaim qu’elle dirige depuis ses débuts derrière la caméra (elle a commencé en tant qu’actrice). Le duo Elkaim/Demoustier est en pleine possession de ses moyens. La palpable passion qu’ils nourrissent l’un envers l’autre rend l’intrigue encore plus crédible malgré la situation incongrue.

Sujet à controverse, l’inceste n’en reste pas moins un propos qui passionne et questionne encore de nos jours comme en témoigne l’amour de deux sœurs dans Les blessures assassines, d’un frère pour sa sœur dans The Dreamers et dans la plus récente série Game of Thrones. Sous ses apparats de conte, le film se révèle n’être pourtant que le reflet d’une modernité grandissante où, certes la morale et la justice condamnent encore de nos jours ces actes d’amour, mais où la mort ne les accompagne plus nécessairement. Souhaitons que la sortie de Marguerite et Julien, fixée au 2 décembre, c’est-à-dire le jour de la mort des amants, placera le film sous de bons augures.

Durée: 1h50

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