France, 2018.
Note: ★★★
Premier film de la comédienne Naidra Ayadi (Polisse, 2011), Il a déjà tes yeux, 2016), Ma fille est une relecture arabo-musulmane du roman de Robert Clavel Le voyage du père également transposé au cinéma en 1966 par Denys de La Patellière avec Fernandel dans le rôle principal. Le fait d’extraire la substantifique moelle de l’histoire originale et de l’ancrer dans une Algérie d’après-guerre a permis à la réalisatrice de nourrir son film en profondeur et par la même occasion, de gagner l’assentiment du spectateur.
Établi en France depuis plus de 20 ans dans le Jura, Hakim (convaincant Roschdy Zem) y a rencontré sa femme Latifa qui lui a donné deux filles, Leïla et la plus jeune Nedjma (la débutante mais non moins attachante Natacha Krief). Alors que tout le monde attend impatiemment le retour de l’aînée partie faire ses études de coiffure à la capitale, la cadette reçoit un message de sa part prétextant une surcharge de travail pour annuler sa venue durant les fêtes de fin d’année. À trois jours de Noël, Hakim décide de partir à Paris la chercher avec Nedjma pour la ramener à sa mère, très inquiète de ne pas avoir vu sa fille depuis presque un an. De mensonges en mensonges, ils vont rapidement se rendre compte que Leïla n’est peut-être pas la personne qu’ils pensaient connaître.
Dès l’ouverture du film, les montagnes enneigées jurassiennes laissent entrevoir un cadre extrêmement paisible où il fait bon vivre, loin du chaos des attentats qui ont forcé Hakim à quitter son Algérie natale. Après la désillusion de son installation parisienne, c’est dans ces paysages où règne un calme olympien qu’il a trouvé, au fil des années, une forme de plénitude qui sied bien à ses valeurs et ses principes de vie. Lui travaille dans une scierie pendant que sa femme fait des ménages pour subvenir aux besoins familiaux. Même si l’argent ne coule pas à flot, les enfants n’ont jamais manqué de rien, surtout pas d’amour. De fait, on se questionne très rapidement sur les raisons qui ont poussé la jeune fille à s’éloigner des siens. Aux vues des signes assez ostensibles que la réalisatrice dissémine ici et là (calendrier d’une femme nue, présence de prostituées), la suite des aventures n’a rapidement plus rien d’une surprise. À mesure que le film avance, Hakim va de déconvenues en déconvenues, perdu dans un dédale de clubs plus sordides les uns que les autres où il va découvrir tout un pan de la vie de sa fille qu’il ne soupçonnait pas. La gorge nouée, il sent l’étau se resserrer sur Leïla qui poursuit lentement sa déchéance.
On ne peut passer sous silence la délicate et subtile prestation de Roschdy Zem qui compose un père réservé, pudique et discret à la fois, à l’inverse de Nedjma beaucoup plus prolixe. Quelques travellings viennent ici et là renforcer l’empathie que le spectateur porte à ce personnage, perdu dans une ville beaucoup trop grande et remplie de technologies factices qu’il juge futiles. On l’accompagne ainsi dans sa peine, à la recherche de sa fille, de ce même sang qui coule dans ses veines.
Pour Naidra Ayadi, filmer la nuit est une occasion de montrer le sombre versant d’une immigration clandestine, de Pigalle à Stalingrad, où il ne faut pas se fier aux apparences. D’ailleurs, Hakim l’apprendra à ses dépens lors de sa rencontre avec une maquerelle lui expliquant les raisons qui l’ont conduite à la prostitution (enfants à nourrir). À son arrivée à Paris se dessine alors un contraste malaisant entre l’émerveillement de la cadette Nedjma pour la ville lumière (sûrement le même qu’a connu Leïla) et son discernement à lui face à la dureté de l’émigration (vision d’une femme voilée faisant la manche). Difficile de se faire un nom dans une ville où les arabes sont tous les homonymes des uns et des autres pour une certaine partie de la population (la patronne condescendante du salon de coiffure). En effet, il est plus commode de faire connaître son patronyme et son individualité dans un environnement moindrement peuplé, favorable aux échanges et à la découverte de l’autre. Un conflit générationnel se dresse alors sous nos yeux. Il permet à Hakim d’ouvrir le dialogue avec la plus jeune de ses filles jusque-là préservées d’un pan de son passé. Celui qui a passé sa vie à débiter du bois, n’a jamais su débiter des paroles avec ses proches. A son contact, il essaye de faire amende honorable pour les erreurs commises avec son aînée et surtout de se pardonner de ne pas l’avoir assez supportée lors de son arrivée. Il pensait débonnairement que son indépendance l’aiderait à se forger un esprit critique. Mais Leïla a entrepris des choix de vie qui font défaut aux valeurs familiales qu’on lui a inculquées. Son attrait pour l’argent, symbole de la réussite, va l’entraîner dans les bas-fonds de la ville, là où les mendiants et les prostituées se côtoient comme des voisins de paliers face à l’opulence d’autres quartiers.
Si en arabe Leïla veut dire « nuit », il n’est pas surprenant d’apprendre que la cadette tire son prénom d’un célèbre roman de Kateb Yacine, Nedjma, qui signifie « étoile ». L’œuvre du poète engagé pour l’indépendance de l’Algérie traduit la quête identitaire d’un pays aux prises avec des cultures métissées. D’après les dires du producteur Thierry Ardisson, ce changement d’identité a rendu les réactions du père beaucoup plus fortes et crédibles face à la sexualité controversée de sa fille. Qu’importe si les tenants et les aboutissants du film sont éventés dès les premières minutes, Naidra Ayadi propose une fiction tellement juste et sincère qu’on oublie les quelques imperfections d’une narration à l’emporte-pièce au profit d’une indéniable émotion.
Durée: 1h20.
Ce film a été vu dans le cadre du Festival Cinémania 2018.