Italie, Belgique, Allemagne, France, 2024
★★1/2
Si on peut reconnaître une qualité à L’Empire, le dernier long-métrage de Bruno Dumont, c’est que le réalisateur est parvenu à créer un univers tout à fait original. En effet, cette science-fiction campagnarde médiévale où les vaisseaux spatiaux empruntent leur design à l’architecture gothique (l’un des vaisseaux est inspiré de la Sainte-Chapelle de Paris), revêt un caractère et une esthétique uniques en leur genre. Mais ce bouillonnement d’idées, tout aussi stimulant qu’il puisse être, n’excuse pas tous les autres problèmes du film, qu’on voyait déjà poindre à l’horizon avant sa sortie.
Dès les premières minutes de l’œuvre, on nous situe au cœur d’une communauté éloignée où les quelques personnes composant la microsociété semblent tous agir étrangement, de manière éthérée, presqu’inhumaine. Et pour cause : plusieurs personnes font en réalité partie de deux races extra-terrestres se camouflant sous une apparence humaine afin de se disputer l’avenir d’un jeune bébé, né dans le village, qui serait l’incarnation de l’Antéchrist. D’un côté, les «1», représentés par Jane (Anamaria Vartolomei), se disent une force angélique souhaitant annihiler le bambin, tandis que les «0», travaillant pour Belzébuth (Fabrice Luchini), tentent de protéger le nouveau-né.
Derrière ce village, traité un peu comme une communauté niaise et innocente, se cache donc un fil narratif plus complexe qui sera exploité de manière originale, autant à la mise en scène que dans sa direction artistique. Les idées de Dumont sont ingénieuses, magnifiques, et parviennent à créer un univers complètement loufoque qu’on se plaît à explorer tout au long de l’intrigue. Mais c’est malheureusement cette dernière qui fera bien vite défaut, alors qu’au lieu d’exploiter cette histoire simple, mais foisonnante d’idées de toutes sortes, on préférera se contenter de blagues sexistes, d’une trame narrative insipide et de choix de réalisation questionnables. L’actrice Adèle Haenel, qui devait d’abord incarner l’un des rôles principaux du projet, s’est d’ailleurs retirée de l’équipe avant le tournage, mentionnant des désaccords éthiques avec le réalisateur. On peut comprendre le choix, puisque le scénario semble exiger de ses personnages féminins de se dénuder le plus possible… pour le bien de l’intrigue, évidemment.
Il est déplorable de voir une aussi bonne trame narrative s’écarter devant autant de facilités, d’autant plus qu’il ne manque pas de talents au sein de l’équipe de L’Empire. De manière générale, la réalisation est soignée, le jeu est engageant, même pour quelques personnages interprétés par des non-acteurs, et les effets visuels sont pour la plupart réussis. Le film a des allures de parodie de space opera, faisant quelques clins d’œil directs à Star Wars, mais l’intrigue s’efface rapidement au profit de trop de facilités.
Ceci dit, malgré tous ses problèmes et la confusion générale qui se dégage de l’œuvre, il est tout de même curieux de passer un peu de temps dans cet univers on ne peut plus original et son potentiel énorme. La trame de fond est si intéressante et inventive qu’on reconnaît certains bons coups au travail de Bruno Dumont. Le cinéaste fera notamment référence à sa propre œuvre au cours de quelques scènes sympathiques mettant en scène les deux gendarmes de sa série P’tit Quinquin. Par contre, si on est à la recherche d’un véritable récit de science-fiction philosophique réellement abouti, il faudra fouiller ailleurs.
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Durée : 1h50
Crédit photos : 3B Productions