Le vent se lève [The wind rises]

Rêve éveillé – ♥♥♥½ – Ultime oeuvre de Miyazaki, visuellement superbe, mais déroutante sur le thème choisi et la manière de l’aborder.

Dans les années 1920, le jeune Jiro Horikoshi rêve de devenir pilote d’avion, mais sa mauvaise vue l’en empêche. Dirant ses études d’ingénieur en aéronautique, il rencontre la belle Nahoko. Bientôt, Jiro est embauché par une firme. En ces années d’avant-guerre, on le charge de construire l’avion de combat dont le Japon aura besoin pour épauler l’Allemagne nazie…

le_vent_se_leveEn ouvrant sur une scène de rêverie, Miyazaki nous rattache à un univers qu’il a modelé : un jeune enfant dans un paysage rural «traditionnel» (comme dans Mon voisin Totoro), passionné d’engins aériens (comme dans Kiki la petite sorcière), rêvant d’ avions et de l’ingénieur aéronautique Caproni (rappellant Porco Rosso) et ne supportant pas l’injustice car comme le lui répète sa mère, «se battre n’est jamais justifié !». Le réalisateur s’éloigne peu à peu de ce cadre connu, en faisant planer une menace, insidieuse tout d’abord (des créatures informes, comme dans Le château ambulant, apparaissent dans ses rêves), puis terriblement concrète avec la scène marquante du tremblement de terre de Kanto de 1923, rendu magistralement avec une image sobre et un silence absolu, accompagnant les paysages dévastés. La rupture est alors donnée : la rêverie est terminée, il faut s’éveiller et se confronter aux terribles réalités du monde contemporain. Jiro se dévoue totalement à cette passion, ne voulant et ne recherchant que l’amélioration technique. Mais son objectif final lui est connu dès le début : concevoir un avion de combat pour la flotte nippone, durant la Seconde Guerre, qui sera le A6M Zero. En cela, le malaise est aussi du côté du spectateur : pourquoi avoir choisi de consacrer son ultime film à ce personnage, auquel nul ne pourra s’identifier ?

Tremblement de terreMis à distance, lorsqu’il assiste sans réagir, à une ratonnade dans un ghetto allemand, ou lors des reproches répétés de sa soeur Kyo (sorte de Chihiro adulte) sur son égoïsme et son égocentrisme, ce personnage principal reste mutique, et le spectateur ne verra que son travail acharné, sa passion et ses songes. Dans la dernière partie du film, Miyazaki nous dévoile un aspect inédit de son oeuvre : intime et sensible, mais aussi triste et noir sur la nature humaine : la réalité change le plus juste et passionné des hommes, qui sans remords ni regrets, finit par se mentir à lui même («on n’est pas des marchands d’armes, on veut juste construire de bons avions»). Miyazaki plante par de brefs éléments le contexte politique, mais comme son personnage, il ne s’y intéresse pas. Le réalisateur a l’intelligence et la finesse de disséminer dans son film les éléments de réponse aux critiques qu’il semble avoir prévu (pourquoi, contrairement au reste de sa filmographie, a-t’il pris comme personnage principal un tel antihéros ?). Il offre ici un portrait complexe de la nature humaine et ce n’est que par quelques bribes que Jiro se dévoile, désemparé et sans aucune illusion («mon rêve est maudit»).

CaproniVéritable génie du cinéma actuel, Miyazaki ne laisse aucun élément au hasard, marquant une nette rupture avec ses longs-métrages précédents mais tissant constamment des rapprochements permettant au spectateur de comprendre, la première des clefs étant donnée d’entrée de jeu, par le titre du film (tiré du poème de Paul Valéry Le Cimetière marin : «Le vent se lève, il faut tenter de vivre»). En effet, pour faire face à cette réalité trop terrible à supporter, Jiro se consacre entièrement à ses avions, se plaçant ainsi dans une sorte de rêve éveillé («les avions sont de magnifiques rêves») et plus la réalité le rattrape, plus il s’enferme dans son travail. Les effets sonores de Koji Kasamatsu sont en ceci magnifiques, évitant tout aspect mécanique ou métallique dans les éléments sonores, les atténuant et les adoucissant comme dans un rêve, nous faisant par là pénétrer dans l’univers mental de Jiro. Autre élément de réponse, le réalisateur file le lien entre artistes et ingénieurs, ayant même recherche et même destin : concevoir leur travail comme l’oeuvre de toute une vie, mais en être dépossédés si tôt qu’ils la transmettent.

Les adorateurs du réalisateur seront peut-être surpris par le thème et le côté désagréable voire détestable du personnage principal, mais reste la « patte » Miyazaki, son trait et son souffle, dont l’absence marquera un vide difficile à combler dans le cinéma contemporain.

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