Non, le cinéma serbe ne se limite pas à Emir Kusturica. Kusturica d’ailleurs dont j’ai particulièrement aimé la prestation tout en auto-dérision dans un des segments du très inégal 7 Jours à La Havane, soit dit en passant. Mais ne nous dispersons pas… Je ne voudrais pas que mon rédacteur en chef adoré me tape dessus et me rappelle à l’ordre à grands coups de bobines super-8… Alors revenons à Klip, premier film de la jeune réalisatrice Maja Milos ♥♥½
Aujourd’hui, quelque part en Serbie, une ado, ses premiers émois, son téléphone portable… Elle est amoureuse, elle se filme, elle le filme… Pas de tabou. La jeune réalisatrice Maja Milos a pris le parti de nous montrer absolument tout. Et comme bien souvent dans les films dits classiques, quand les érections crèvent l’écran, revient l’éternelle question: le sexe explicite dans ce film, racoleur ou nécessaire?
Jasna est une adolescente de 16 ans qui apprend le monde comme l’Internet veut bien le lui dépeindre. Sa réalité, c’est ce que la toile lui montre, ce que les réseaux sociaux lui renvoient, ce que YouTube lui suggèrent et non pas ce que son quotidien sordide lui impose. Son père se meurt, sa mère se débat au quotidien pour la survie de la famille, le béton de sa banlieue miséreuse l’étouffe, mais invariablement, elle se cloître dans sa chambre, chante à tue-tête des chansons pop aux propos légers et hyper-sexués, se prend en photo dans des poses inspirées par la porno du web. Sa réalité, ce sont les soirées à boire de la vodka volée chez l’épicier et les sorties en club avec ses amies délurées et tout aussi déconnectées. Du coup, quand elle tombe amoureuse pour la première fois, c’est la déroute des sentiments. Mais plutôt que de se languir d’un amour chaste et pur, elle attire son bel indifférent dans la pissotière crasseuse du lycée.
Le film est un patchwork de scènes du quotidien, tournées de façon conventionnelle, et de vidéos miteuses et tremblotantes saisies par des téléphones cellulaires, comme un mouvement de balancier entre le sordide du monde et les fantasmes de Jasna. Et bien que le procédé finisse par devenir un brin répétitif, il sert merveilleusement le propos. Il y a quelques semaines, sur le même sujet, Harmony Korine nous livrait dans son assez mauvais Spring Breakers un tableau toutefois bien inquiétant d’une jeunesse américaine en perte de repères. Maja Milos, ici, nous met devant le même constat, mais avec une froideur et une aridité sans doute plus à propos. La mauvaise qualité des vidéos « amateurs » ôte toute sensualité aux rapports sexuels. Jasna et son amant font l’amour comme ils l’ont vu faire dans les films pornographiques, de façon mécanique, orchestrée. Dans une scène très évocatrice d’ailleurs, ils conviennent de ne pas se toucher, de simplement se regarder se caresser. La dématérialisation du rapport au monde, sans pour autant qu’elle anhile la réalité des sentiments, creuse un gouffre immense entre le désir amoureux et la crudité de la sexualité. Sur cette question, le film propose des pistes de réflexions très intéressantes.
Klip est donc un premier film prometteur. Il a le courage du propos qu’il veut dénoncer, mais malheureusement, il agace parfois tant les personnages secondaires manquent d’épaisseur, nous donnant trop souvent l’impression qu’ils n’existent que pour appuyer le postulat de la réalisatrice. La jeunesse a mille facettes et il aurait été intéressant d’en confronter quelques-unes au regard de Jasna. Cela aurait sans doute brisé la monotonie du montage et mis un peu de lumière dans le film. Car Klip n’est pas un produit MTV. Il est gris, désespérément gris. Trois pommes donc pour ce premier essai qui vaut largement qu’on suive les prochains travaux de sa maîtresse d’oeuvre, sexe explicite ou pas.
critique par: Thien NGuyen