France, 2019
Note : ★★★★1/2
Le cinéma d’animation donne accès à des degrés d’émotion parfois difficilement atteignables en prises de vue réelles en raison des contraintes de réalisme ou de la difficulté pour un réalisateur d’émouvoir sans sombrer dans le larmoyant ou recourir à un jeu d’acteur trop appuyé. La liberté narrative et technique du cinéma d’animation permet de faire fi de ces contraintes et d’aller toucher des émotions universelles. Ma vie de Courgette de Claude Barras et Funan de Denis Do sont deux films d’animation réalistes, récipiendaires du prix Cristal du long métrage du Festival international du film d’animation d’Annecy respectivement en 2016 et 2018. Ce sont également deux des films les plus émouvants des dernières années. J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin s’inscrit dans la lignée de ces deux films, gagnant du même prix en 2019, et tout autant porteur d’une puissante émotion, magnifique, triste, douce et universelle. La sélection parallèle du Festival de Cannes a d’ailleurs remis le Grand Prix de la Semaine de la critique au film de Clapin, une première pour un film d’animation.
D’abord, l’animation permet de faire d’une main coupée un des personnages principaux du film. Elle s’évadera d’un laboratoire au début du film et traversera tout Paris dans une cavale haletante, dissimulée aux regards de tous, avec comme seul objectif de retrouver son corps. Parallèlement, on suit Naoufel, jeune homme paumé d’origine maghrébine alors qu’il tombe amoureux et tente de se rapprocher de Gabrielle, une bibliothécaire de son âge. Cela avant le terrible accident qui lui coûtera sa main.
Trépidantes, les scènes mettant en vedette la main s’inscrivent dans la lignée des films d’animation du studio Pixar, notamment Toy Story (1995). Tout comme dans ce classique du cinéma d’animation, la caméra de Clapin se met à la hauteur du petit héros et, à partir de là, la perception se transforme. Comme dans Toy Story, les objets banals du quotidien deviennent des lieux d’aventure, des outils ou des sources de danger. À travers sa quête frénétique, la main de Naoufel devra escalader des meubles, se battre avec des rats et un pigeon, se cacher sous une conserve de ravioli, s’envoler accrochée à un parapluie, etc.
La virtuosité de la mise en scène de Clapin se trouve dans cette dimension aventureuse et effrénée. Elle tient aussi, voire surtout, au fait que le réalisateur arrive à faire côtoyer avec brio cette énergie avec une mise en scène beaucoup plus méditative, onirique par moments, d’une grande poésie visuelle. Le personnage de cette main qui ne parle pas, qui n’a pas de visage, même pas de regard, inspire une grande empathie. Là réside l’impressionnant pouvoir d’évocation émotionnelle du film d’animation.
Grâce à un habile montage, l’histoire de la main coupée s’entremêle très bien avec celle du jeune homme à qui elle appartenait, peu avant l’accident qui les a séparés. L’histoire d’amour au cœur du film est belle à souhait, en grande partie grâce aux personnages très humains et attachants qui en sont les protagonistes et aux conversations inspirées qui lui confèrent réalisme, douceur et poésie.
Mais plus encore qu’une histoire d’amour, J’ai perdu mon corps se positionne comme un questionnement existentiel par rapport au destin. Les souvenirs, les traumatismes, les fondations qui font qui l’on est, notre construction personnelle en somme, sont explorés de manière sensible et poétique. L’émotion et l’intensité sont soutenues par l’excellente trame sonore et l’éclatant montage. Et c’est finalement la possibilité de prendre une autre voie que le chemin prédestiné qui, sur une note d’espoir, conclut de manière magnifique le film.
Durée: 1h21
Ce film a été vu dans le cadre du Festival du nouveau cinéma 2019.