Esquisses d’une cinématographie dans l’attente d’une consécration inévitable… Voici de quoi faire votre introduction au cinéma black
En plein mois de l’histoire des Noirs, l’occasion est belle (bien que la préoccupation devrait être permanente) pour souligner l’apport majeur (trop souvent relégué aux oubliettes) de cette communauté au patrimoine cinématographique mondiale. En effet, le cinéma africain et antillais notamment demeurent extrêmement marginalisés, tant dans le cinéma contemporain que dans l’histoire du cinéma. Dans le but de remettre les pendules à l’heure et de découvrir plus en profondeur cette riche culture cinématographique (et pour mieux se préparer au Festival du film Black en septembre!), voici un (très) bref résumé de certaines tendances de cette riche culture cinématographique.
Décolonisation : à l’origine d’un cinéma africain engagé
Pour parler de cinémas nationaux en Afrique, encore faut-il qu’on parle de nations! Les cinémas nationaux africains ont effectivement pris naissance dans la décolonisation progressive du continent dans la 2e moitié du 20e siècle. On peut noter deux pionniers en ce sens, tout deux Sénégalais : Paulin Soumanou Vieyra et Djibril Diop Mambety. Vieyra, sans doute le premier réalisateur de l’Afrique subsaharienne, réalisa son premier court-métrage en France dès les années 1950 puisqu’il était interdit de tourner à l’époque dans les colonies, avant de se tourner vers le documentaire de retour en Afrique. En plus de produire nombre de documentaires engagés dans les années 1960, il fut d’une grande aide (en tant que producteur notamment) au réalisateur Ousmane Sembène, sans nul doute l’un des cinéastes africains les plus reconnus à l’étranger (on se souviendra de ses œuvres farouchement engagées, précisément du Camp de Thiaroye, qui lui valut le prix du jury au Festival de Venise en 1988).
Djibril Diop Mambety est l’autre pierre angulaire de l’histoire du cinéma africain à la fin des années 1960. Son premier long-métrage, Touki Bouki, demeure l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma africain. Dérangeant et audacieux, jamais le choc des cultures et les effets pervers du colonialisme ne seront démontrés de façons plus percutantes dans le cinéma africain. Ces deux hommes paveront la voie pour des cinéastes du calibre de Moussa Sene Absa, Ousmane William Mbaye ou Mansour Sora Wade.
Même si, timidement, certains cinéastes commencent à avoir la place qui leur est due dans la planète cinéma aujourd’hui (Mahamat Sale Haroun a notamment été sélectionné en compétition officielle à Cannes en 2010 pour l’excellent Un Homme qui crie et en 2013 pour grigris), leur présence est injustement défavorisé par rapport à la quantité et la qualité d’œuvres qui sont produites chaque année sur le continent.

Haïti : Tournez sinon nous sommes perdus !
Si la diffusion du cinéma africain est définitivement déficiente, celle du cinéma haïtien a quant à elle toujours été anémique. Ne suivant pas la même courbe historique que les pays africains au niveau de son indépendance (1804), l’histoire cinématographique n’en est pas moins marquée par des tragédies nationales, nommément la dictature de la tristement célèbre famille des Duvaliers. Arnold Antonin est sans contredit le premier et le plus célèbre des représentants de ce cinéma ; en plus de produire une série de documentaires engagés sur la dictature des Duvaliers (Duvalier sur le banc des accusés lance le bal d’un cinéma extrêmement dénonciateur de la tristement célèbre famille), il réalise également le premier long-métrage haïtien avec Haïti le chemin de la liberté.
Avec la chute de la dictature des Duvaliers, le cinéma haïtien connu une certaine renaissance et le cinéma de fiction prit son envol, spécialement entre les mains de Raoul Peck. L’homme sur les quais ; un film poignant qui traite de la peur et la misère auxquelles étaient confrontés les Haïtiens sous le régime de Duvalier en est un bon exemple. Plus récemment, il réalisa Moloch Tropical en 2009, une savoureuse réappropriation du film d’Alexander Sokurov du même nom. Il continua par ailleurs à faire du documentaire parallèlement à la fiction et tourna l’une de ses œuvres les plus marquantes en Lumumba, la mort d’un prophète, en 1990.
Le cinéma haïtien contemporain a encore du chemin à faire pour se faire connaître au niveau mondial alors que les moyens techniques, l’enseignement et l’argent sont absents. L’arrivée de la vidéo donne toutefois un nouveau souffle à de jeunes créateurs et semble être porteuse d’un espoir pour l’éventuelle diffusion à plus grande échelle des créateurs haïtiens.

Le cinéma black aujourd’hui
Si le cinéma africain et haïtien a été et continue d’être parsemé d’embuche, le cinéma afro-américain se porte tout de même mieux en 2013. Tout comme ses homologues africains, les préoccupations sociales des réalisateurs noirs en Amérique ont toujours été bien palpables. Nous n’avons qu’à penser à Oscar Micheaux par exemple qui, dès 1920, tourna The Symbol of the Unconquered sur un propriétaire terrien noir aux prises avec le Klu Klux Klan et Within our gates sur le viol d’une femme noire par un homme blanc. Toutefois, c’est avec le mouvement des droits civiques et les années 1960 que la reconnaissance commence à être plus officielle, notamment avec l’Oscar décerné à Sidney Poitier en 1963. Alors que les cinémas nationaux africains en sont à peine à leurs balbutiements, on commence à donner des rôles de première importance à des acteurs tels que Harry Belafonte dans le but au départ d’attirer une nouvelle clientèle dans les salles alors que la télévision avait eu comme résultat de déserter celles-ci.
Ce sont grâce à ces pionniers que nous avons pu découvrir une nouvelle génération de talents bien établis à Hollywood : Spike Lee, Lee Daniels, Morgan Freeman, Forest Whitaker ou Denzel Washington pour en nommer quelques uns. En plus des considérations politiques, les réalisateurs contemporains font également preuve d’une sensibilité historique hors du commun en se permettant de s’attarder à des sujets sensibles souvent délaissés. Le plus récent exemple est Steve McQueen avec Twelve Years a Slave qui s’attaque à une des pages les plus sombres de l’histoire américaine en racontant l’histoire de Solomon Northup, un homme libre kidnappé et vendu esclave pendant 12 ans avant de pouvoir recouvrir sa liberté. Rarement l’esclavage aura-il été remis à ce point au visage des Américains (même si l’on peut questionner la méthode) avec un devoir de mémoire sensible. Dans un registre opposé, on ne peut qu’applaudir Quentin Tarentino qui en Jackie Brown nous offre une savoureuse relecture des films de blaxploitation des années 70. Il ne nous reste qu’à espérer que le succès de ces films donne envie au public d’aller fouiller un peu plus loin dans les riches cinématographies nationales du reste du monde…
Quelques films pertinents :
– Afrique, je te plumerai (Jean-Marie Téno – Cameroun, 1993)
– Camp de Thiaroye (Ousmane Sembène – Sénégal, 1987)
– Do the Right Thing (Spike Lee – États-Unis, 1989)
– Haïti : Le chemin de la Liberté (Arnold Antonin – Haïti, 1974)
– L’Homme sur les quais (Raoul Peck – Haïti, 1980)
– Sweet Sweetback’s Badasssss Song (Melvin Van Peebles – États-Unis, 1971)
– The Symbol of the Unconquered (Oscar Micheaux – États-Unis, 1920)
– Touki bouki (Djibril Diop Mambety – Sénégal, 1973)